Le budget déposé par le gouvernement du Parti libéral de
Jean Charest devant l'Assemblée nationale le 17 mars représente une nouvelle
étape dans la poussée pour faire payer les travailleurs pour la crise.
Pour éliminer le déficit résultant des mesures prises pour
défendre les intérêts de la grande entreprise et de la finance après
l'effondrement des grandes banques américaines , le ministre des Finances,
Raymond Bachand, a réitéré qu'il fallait revenir à l'équilibre budgétaire d'ici
2013.
Les nombreux services publics déjà coupés seront encore plus
étouffés par les contraintes budgétaires alors que les généreuses diminutions
d'impôt et de taxes pour les mieux nantis et les grandes entreprises sont
maintenues.
Par contre, les étudiants universitaires devront payer 325
$ de plus chaque année pour les cinq prochaines années, soit un total de 1625
$, pour leurs études. Les frais de scolarité atteindront 3793 $ en 2017 par
rapport à 2168 $ aujourd'hui et 1668 $ il y a quatre ans. En tenant compte de
l'ensemble des frais, il en coûtera environ 4700 $ par année pour une année
d'étude universitaire en 2017. Les revenus d'un étudiant autonome sont
typiquement de l'ordre de 10.000 à 20.000 dollars duquel il faut déduire les
taxes, les impôts et d'autres charges sociales alors que l'endettement moyen
d'un étudiant à la fin du premier cycle est déjà de 14.000 $.
Le gouvernement libéral est aussi passé à l'attaque sur les
retraités. La principale mesure est en fait une carotte plutôt que le bâton.
Pour préparer le terrain pour repousser l'âge de la retraite au-delà de 65 ans
dans un futur proche, une mesure extrêmement impopulaire auprès des
travailleurs, Bachand a introduit une bonification du régime des rentes et des
crédits d'impôt pour les travailleurs de plus de 65 ans. Mais le budget libéral
a aussi son bâton pour les retraités, imposant des pénalités plus importantes
pour les travailleurs qui prendraient leur retraite avant 65 ans. Les
cotisations à la caisse de retraite publique québécoise, le régime des rentes, sont
aussi augmentées, passant de 9,9 pour cent du salaire actuellement à 10,8 pour
cent sur une période de six ans.
Le gouvernement s'est vanté d'avoir économisé 530 millions $
de dépenses prévues en gelant la masse salariale des employés de l'État. On peut
comparer la contribution des travailleurs à la diminution du déficit à celle
des grandes banques à qui l'État a payé 850 millions supplémentaires en frais
d'intérêt l'an passé, pour un total de 7,8 milliards, pour des prêts
pratiquement sans risques.
Les mesures prévues dans le budget actuel sont une
prolongation du précédent budget libéral. Toutes les mesures annoncées dans le
précédent budget et devant prendre effet cette année ou les suivantes ont été
confirmées. La taxe de vente provinciale augmentera d'un autre point en 2012,
après avoir connu une première hausse d'un pour cent cette année. Une
augmentation d'un point rapporte un milliard et demi de dollars au Trésor
québécois. Cette taxe est hautement régressive parce que toute la consommation
se trouve taxée de façon égale, peu importe la capacité de payer. De plus, les
travailleurs dépensent la très grande partie de leur salaire en biens
essentiels et ont très peu d'épargne et d'investissements et pratiquement tout
leur salaire se trouve donc dans les faits taxé en supplément alors que les
plus riches sont dans les faits exemptés en bonne partie. Le litre d'essence
sera imposé d'un cent supplémentaire (soit une augmentation du prix de
l'essence d'environ 1 pour cent). Le budget confirme aussi une nouvelle
cotisation santé de 100 $ par adulte en 2011-2012 et de 200 $ l'an prochain,
une autre taxe régressive. Tous les ménages gagnant plus qu'environ 15.000 $,
c'est-à-dire que cette taxe a été conçue de telle façon qu'une grande partie
des ménages trop pauvres pour payer des impôts seront quand même forcés de la
payer. Le budget a aussi maintenu la hausse graduelle des tarifs d'électricité
de 20 pour cent à partir de 2014.
Selon les prévisions budgétaires du gouvernement lui-même,
il manque un milliard de dollars pour atteindre l'équilibre budgétaire en 2013,
ce qui annonce des coupes encore plus sévères dans les prochains budgets.
Le budget actuel, comme le budget précédent, est une mise en
pratique de la vision des élites québécoises qui veut mettre ce qui reste de
l'État-Providence au rancart. Il s'agit de remplacer les services publics
universels et gratuits par la privatisation, la tarification et les
compressions budgétaires. Ce processus est déjà bien avancé dans l'éducation et
la santé au Québec.
Le Parti québécois (PQ), le parti préféré de la bureaucratie
syndicale et alternant au pouvoir avec le Parti libéral depuis 1970, a critiqué
le gouvernement pour ne pas couper assez dans les dépenses gouvernementales et
les services à la population.
Le député péquiste Sylvain Simard, après avoir dit que
seulement 9 postes sur les 70.0000 que compte la fonction publique avaient été
abolis l'an dernier, a continué : « On n'a pas réussi à obtenir les gains de
productivité qui auraient permis de réduire les coûts de l'État en réduisant
l'effectif de la fonction publique. » Un autre député péquiste, Nicolas
Marceau, a lui condamné le gouvernement libéral parce que les compressions ne
comptaient pas pour 62 pour cent de l'effort pour rétablir l'équilibre budgétaire,
comme annoncé dans le dernier budget. Ce à quoi Bachand a répondu que les «
plus récentes données confirment que nous tiendrons cet engagement. »
En cela, le PQ se fait le porte-parole de la grande
entreprise. Les éditorialistes et les représentants de la grande entreprise ont
quasi-unanimement critiqué le gouvernement Charest pour avoir laissé ses
dépenses croître de 3,7 pour cent plutôt que les 2,8 pour cent prévus au
précédent budget.
L'éditorialiste de La Presse, Alain Dubuc, a décrit le
budget comme bon dans l'ensemble, mais a ajouté « On ne pourra pas
véritablement contrôler les dépenses publiques sans une réforme beaucoup plus
profonde des deux grands postes budgétaires qui grugent l'essentiel des fonds
publics, la santé et l'éducation. Manifestement, les libéraux ne semblent pas
prêts à s'engager dans cette voie. »
Les dirigeants syndicaux ne se sont plaints du budget
Bachand qu'en termes très modérés.
Michel Arsenault de la Fédération des travailleurs du Québec
(FTQ) a déclaré qu'« on est déçu par l'obsession du ministre Bachand à
atteindre l'équilibre budgétaire en 2014. C'est dangereux. Nous sommes en
sortie de crise. La sortie de crise est fragile et, dans la situation mondiale
actuelle, serrer la vis peut être dangereux. »
« Ce gouvernement n'écoute pas les revendications des
milliers de personnes descendues dans la rue pour lui demander un changement de
direction », a quant à elle affirmé la présidente de la Confédération des
syndicats nationaux, Claudette Carbonneau.
Elle faisait référence à la manifestation organisée le 12
mars par les organisations syndicales et étudiantes pour demander au
gouvernement non pas de cesser les compressions, ne parlons même pas de
financer suffisamment les services publics, mais simplement de ralentir le
rythme des compressions pour retourner à l'équilibre budgétaire. (Voir Plus de 50.000
manifestent à Montréal contre les compressions budgétaires).
Les organisations syndicales ont déjà accepté que les
compressions budgétaires soient obligatoires. Pas plus pour que le budget
actuel, ils n'ont rien fait pour mobiliser les travailleurs contre les
compressions du précédent budget Charest. Ils ont même accepté en 2010 une
convention collective d'une durée de cinq ans pour les 500.000 travailleurs du
secteur public qui instaurait des augmentations de salaire sous le taux de
l'inflation et acceptait les diminutions du nombre des emplois.
Déjà en 1996, les syndicats avaient entériné le plan de
compressions sauvages des dépenses sociales du gouvernement péquiste de Lucien
Bouchard, le déficit zéro. En 2003-04, ils ont saboté le mouvement d'opposition
à Charest qui menaçait d'unir les travailleurs du secteur public et du secteur
privé contre le programme de « réingénierie de l'État » du gouvernement libéral
récemment élu. Ils ont alors consciemment cherché à détourner ce mouvement
d'opposition en un mouvement de soutien pour le PQ. Aujourd'hui, continuant à
soutenir le PQ, ils gardent un silence complice sur la position de ce parti à
droite des libéraux sur la question des compressions budgétaires.