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Nouvelles et
analyses :
AustralieLa signification politique des divulgations de
WikiLeaks
Par Nick Beams
6 janvier 2011
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La conférence suivante fut donnée par Nick Beams, secrétaire national du
Socialist Equality Party (SEP, Australie) lors de réunions publiques les 20
et 21 décembre à Melbourne et à Sydney.
Nick Beams
Les mesures extraordinaires qui sont entreprises par les Etats-Unis et
les autres gouvernements impérialistes du monde contre WikiLeaks et son
fondateur Julian Assange montrent la signification profonde de ce qui a été
révélé par les mémos américains divulgués.
La dernière décennie a regorgé d’expériences politiques importantes qui
ont laissé leur marque sur la conscience des masses. Cela a commencé avec le
vol d’une élection aux Etats-Unis en 2000. Suivirent ensuite les événements
de septembre 2001 qui demeurent inexpliqués à ce jour, puis l’invasion de
l’Afghanistan et, en 2003, la guerre contre l’Irak lancée sur la base du
mensonge que le régime irakien possédait « des armes de destruction
massive. »
La divulgation de documents par WikiLeaks a envoyé une onde de choc à
travers le monde parce que la vraie nature de la soi-disant diplomatie a été
révélée.
Cela rappelle les répercussions qui avaient accompagné une précédente
révélation de secrets diplomatiques – effectuée par Léon Trotsky en tant que
commissaire du peuple aux Affaires étrangères du gouvernement soviétique
arrivé au pouvoir en 1917.
Dans une déclaration publiée en même temps que ces documents émanant des
archives du gouvernement tsariste, Trotsky écrivait : « La diplomatie
secrète est un outil nécessaire à la minorité possédante qui est obligée de
tromper la majorité afin de l’assujettir à ses intérêts. L’impérialisme,
avec ses sombres projets de conquête et ses alliances et accords prédateurs,
a développé le système de la diplomatie secrète à son plus haut niveau. La
lutte contre l’impérialisme qui épuise et détruit les peuples d’Europe est
en même temps une lutte contre la diplomatie capitaliste qui a suffisamment
de raisons de craindre la lumière du jour. Le peuple russe ainsi que les
peuples d’Europe et du monde entier devraient connaître la vérité documentée
sur les projets fomentés en secret par les financiers et les industriels
avec leurs agents parlementaires et diplomatiques. Les peuples d’Europe ont
payé ce droit à la vérité par d’innombrables sacrifices et une désolation
économique universelle ».
Ces mots, écrits il y a plus de 90 ans, résonnent si puissamment de nos
jours parce ce que, comme le montrent les documents de WikiLeaks, les mêmes
intrigues impérialistes contre les peuples du monde sont encore menées. Les
documents du régime tsariste avaient été publiés au milieu de la Première
guerre mondiale en exposant la véritable nature de cette guerre. De nos
jours, la révélation de documents a lieu au moment où nous entamons la
deuxième décennie d’une « guerre contre le terrorisme » qui se prolonge et
où les préparatifs d’une guerre contre la Chine sont activement discutés
dans les milieux militaires et politiques impérialistes.
Le ministre australien des Affaires étrangères, Kevin Rudd, dans un de
ses premiers commentaires faits sur les révélations de WikiLeaks avaient
parlé pour tous les gouvernements impérialistes lorsqu’il avait insisté sur
le besoin d’une diplomatie secrète. Ses remarques valent la peine d’être
citées en entier :
« Je crois que personne n’a profité de ce qui s’est passé avec la
publication non autorisée d’informations classifiées. Vous le voyez, la
diplomatie est nécessaire. La diplomatie est faite en secret parce que la
diplomatie cherche à résoudre des problèmes pour lesquels il n’y pas
d’autres solutions publiques. Donc, ce qui est en jeu ici, c’est l’essence
de la manière avec laquelle nous traitons les problèmes internationaux – le
mécanisme par lequel nous traitons les problèmes internationaux, le langage
dans lequel nous traitons les problèmes internationaux. Et, lorsque ceci est
mis dans le domaine public, c’est un problème pour nous tous que de combiner
nos efforts afin de venir à bout de certains de nos défis fondamentaux.
C’est pourquoi, nous en Australie, nous condamnons la publication de ce
matériel. Cela n’aide personne. En fait, c’est un vrai problème pour nous
tous. »
Quelles sont certaines des questions pour lesquelles il n’existe pas de
solutions publiques et qui créent « un vrai problème pour nous tous » si les
discussions secrètes à ce sujet sont publiées ?
Les ordres donnés par Hillary Clinton aux diplomates américains d’obtenir
des informations concernant les passeports, les détails biométriques et
numéros de cartes de crédit de représentants de l’ONU font certainement
partie de cette catégorie. La collecte de telles informations, qui est un
délit, est pratiquée dans le but de faire du chantage. De telles
informations sont extrêmement utiles… un diplomate de l’ONU peut simplement
être informé que si lui ou elle ne vote pas dans un certain sens, alors des
informations éventuellement embarrassantes, obtenues grâce à des détails
concernant sa carte de crédit ou autres, pourraient être portées à la
connaissance du grand public.
Et cela crée certainement un « vrai problème pour nous tous » quand les
remarques adressées en septembre 2006 par le dirigeant de l’époque du Parti
travailliste australien (Australian Labor Party, ALP), Kim Beazley, à
l’ambassade américaine sont divulguées. Selon ce message : « Le gouvernement
et le ministre des Affaires étrangères, tout spécialement Downer, avaient
très incorrectement rapporté les faits, avait assuré Beazley, lorsque Downer
avait affirmé, en août 2004, à Beijing, qu’un conflit entre les Etats-Unis
et la Chine au sujet de Taïwan n’engagerait pas obligatoirement l’Australie
à exécuter ses obligations d’assistance envers les Etats-Unis en vertu du
pacte de l’ANZUS. Dans l’éventualité d’une guerre entre les Etats-Unis et la
Chine, l’Australie n’aurait absolument aucune alternative que de s’aligner
aux côtés des Etats-Unis, a dit Beazley. Autrement, l’alliance serait
effectivement morte et enterrée, quelque chose que l’Australie ne pourrait
jamais se permettre de voir arriver. »
Durant la même conversation, dans laquelle il engageait l’Australie dans
une guerre menée par les Etats-Unis contre la Chine, Beazley avait insisté
que le Parti travailliste soutenait l’implication militaire australien en
Afghanistan et « continuerait de le faire jusqu’à la fin des temps. »
Et puis, il y a la discussion de Rudd du 24 mars 2009 avec la secrétaire
d’Etat américaine nouvellement nommée, Hillary Clinton. Rudd, se qualifiant
lui-même de « réaliste brutal pour ce qui était de la Chine », avait
argumenté pour « l’intégration » de la Chine dans la communauté
internationale tout en « se préparant aussi à recourir à la force si tout
allait mal. » En d’autres termes, si la Chine n’acceptait pas le cadre
géopolitique jugé nécessaire par les Etats-Unis – c’est ce que l’intégration
dans la communauté internationale signifie – alors une guerre en serait la
conséquence.
La liste se poursuit sans fin. Le contenu de ces discussions, menées en
secret derrière le dos de la population mondiale, est exactement comme
Trotsky l’a décrite … de « sombres projets de conquête … des alliances et
des accords entre voleurs. »
Permettez-moi de passer maintenant aux questions plus générales soulevées
par les divulgations de WikiLeaks et l’intérêt avide avec lequel elles sont
lues et suivies par les gens dans le monde entier. Lors d’une manifestation
de soutien à Assange à Sydney, une jeune femme a remarqué: « George Orwell
avait dit : ‘En ces temps de tromperie universelle, dire la vérité devient
un acte révolutionnaire.’ Et nous vivons effectivement à une époque de
tromperie universelle. »
Elle a raison. Mais cette tromperie universelle n’est pas seulement le
résultat d’individus isolés. C’est le résultat d’un système social.
Comme l’a expliqué Trotsky, en politique le mensonge joue un rôle dans la
structure de classe de la société : « Les oppresseurs érigent le mensonge en
un système pour embrouiller les masses dans le but de sauvegarder leur
régime…. La révolution fait éclater le mensonge social. La révolution dit la
vérité. La révolution commence par appeler les choses et les rapports
sociaux par leur vrai nom. »
Et nous pouvons dire inversement que le désir de vérité, la revendication
de la vérité et l’appréciation profondément ressentie pour l’obtention de la
vérité signifient le début d’une nouvelle période de révolution sociale.
Ce n’est pas que dans le domaine de la diplomatie et des relations entre
les pouvoirs impérialistes que le mensonge remplit une fonction sociale et
politique essentielle. Les mensonges et les mystifications sont incorporés
dans la structure même de l’économie et de la société capitalistes.
L’ensemble de l’analyse de Marx, avant tout dans le Capital, est consacré à
la divulgation des vrais rapports sociaux qui se cachent derrière mais qui
sont dissimulés par les « réalités » du quotidien ou les formes d’apparence
du capitalisme.
La perspective scientifique du marxisme se préoccupe en premier
d’arracher les voiles derrière lesquels les rapports sociaux sont cachés
pour mettre à nu la vérité de la société capitaliste et ses structures de
classe et construire sur cette base un mouvement révolutionnaire pour son
renversement.
Le degré auquel les grandes masses peuvent comprendre l’analyse
scientifique du marxisme et auquel celle-ci peut servir de base à leurs
aspirations et à leurs luttes dépend du développement des conditions
objectives qui font que des millions de personnes saisissent ce qui ne
pouvait pas être vu ou compris auparavant.
La crise grandissante du capitalisme mondial, dont les messages publiés
par WikiLeaks donnent un aperçu important, crée les conditions objectives où
les rapports sociaux, économiques et politiques, recouverts des décennies
durant par les mystifications et les mensonges, sont maintenant mis à nu.
Prenons les 30 dernières années. Durant les années 1980, le premier
ministre britannique, Margaret Thatcher, avait avancé le slogan des élites
dirigeantes – « il n’y a pas d’alternative ». Il était même devenu un
acronyme – « TINA ». Il n’y avait pas d’alternative possible à la dominance
du « marché » et des intérêts financiers et politiques qu’il servait. Des
appels en faveur d’une réforme sociale étaient accueillis par ce cri : il
n’y a pas d’argent. L’inégalité sociale grandissante n’était pas le résultat
de la structure de la société de classe et de son économie mais était la
faute de l’individu et dû à l’échec de telle ou telle personne.
Mais, lorsque la crise financière mondiale a frappé avec l’effondrement
de Lehman Brothers en septembre 2008, il n’y avait pas de pénurie d’argent
pour renflouer les banques et les institutions financières. L’on a évalué
que le montant total qui leur a été octroyé correspondait à environ un quart
du PIB mondial. La Réserve fédérale américaine (Fed) à elle seule avait
débloqué un total de 3.000 milliards de dollars pour les banques et les
sociétés financières sans qu’aucune loi ne soit passée au Congrès. Comme le
faisait remarquer un commentaire du Financial Times : « Les institutions de
Wall Street qui marchent à nouveau la tête haute n’ont survécu que parce que
l’argent des contribuables les a sauvées. » Goldman Sachs avait recouru 84
fois à la Fed et Morgan Stanley 212 fois.
Une autre fiction politique concerne le rôle de l’Etat. Combien de litres
d’encre ont coulé pour essayer de réfuter l’analyse de Marx selon laquelle
le pouvoir exécutif de l’Etat moderne n’est rien d’autre qu’un comité pour
la gestion des affaires ordinaires de la bourgeoisie en général. Mais qu’a
révélé le test des évènements historiques?
Quand la crise financière mondiale a éclaté, les gouvernements et les
banques centrales de chaque pays ont tous agit exactement comme Marx l’avait
analysé en inscrivant dans leurs livres de compte les actifs toxiques sans
valeur des banques et des institutions financières. Aujourd’hui, vu les
exigences des marchés financiers, ces gouvernements organisent la
destruction de ce qui reste de l’Etat social afin de rassembler les
ressources nécessaires au remboursement des dettes encourues par les banques
en raison souvent de leurs activités criminelles ou semi-criminelles.
La philosophie politique libérale a toujours contesté la conception
marxiste qu’en fin de compte, l’Etat se compose d’un corps d’hommes armés
pour imposer la dictature du capital. « Pas du tout ! », insistent les
universitaires, les journalistes et autres experts. « C’est juste une autre
déclaration marxiste de mauvais goût ! »
L’Etat, nous disent-ils, est basé sur le règne des lois opérant au sein
du cadre de la démocratie parlementaire. Mais la vérité de l’analyse
marxiste est prouvée chaque jour lorsque l’armée et la police est mobilisée
contre les étudiants et les travailleurs qui protestent et manifestent en
Espagne, en Grèce, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays partout en
Europe contre les budgets d’austérité dictés par les marchés financiers.
Et ici, en Australie, le bannissement de la loi du gouvernement
travailliste sur les relations professionnelles (Fair Work Australia) qui
rend illégal tout mouvement de grève pour la défense des emplois, des
salaires et des conditions de travail, est mise en vigueur au moyen d’une
série d’attaques policières hautement organisées.
Il en est de même de l’affirmation que, d’une façon ou d’une autre, la
justice se place au-dessus des intérêts de classe et qui est réfutée
quotidiennement par la persécution dont fait l’objet de Julian Assange de la
part d’autorités judiciaires agissant sous la pression du gouvernement
américain.
Quiconque croit que les mesures prises à l’encontre d’Assange sont
déterminées par des considérations juridiques saluera aussi le Père Noël à
sa descente de la cheminée vendredi soir.
De grands mensonges historiques sont également dévoilés. L’un des plus
grand mensonges de tous est celui que la Révolution russe a été un genre de
complot criminel qui a étouffé dans l’oeuf la démocratie libérale en Russie,
juste au moment où elle allait s’épanouir. Les libéraux de la Guerre froide
ont insisté, année après année, pour dire que la démocratie fleurirait en
Union soviétique et en Europe de l’Est si seulement le capitalisme était
restauré. Il y a vingt ans leur vœu a été exaucé. Quel en a été le résultat?
La Russie est dirigée par le régime criminel de Poutine qui opère comme un
genre de mafia tandis qu’en Hongrie, pour ne nommer qu’un pays d’Europe de
l’Est, les Juifs vivent une fois de plus dans la crainte de la montée de
partis antisémites.
L’une des réalités politiques les plus significatives révélées par les
documents de WikiLeaks est l’échelle à laquelle les Etats-Unis et leurs
agences sont impliqués dans chaque aspect de la vie politique de
l’Australie. C’est loin d’être une exagération que de dire que l’Australie
est littéralement un Etat client des Etats-Unis. Les principaux organes pour
cet état de fait sont le Parti travailliste australien et la bureaucratie
syndicale.
Tous ceux qui étaient impliqués dans l’éviction de Rudd lors du coup de
force politique des 23 et 24 juin avaient entretenu des contacts réguliers
avec les responsables de l’ambassade des Etats-Unis. L’un des personnages
clé, le sénateur droitier de la Nouvelle Galles du Sud, Mark Arbib, était un
contact « protégé » qui avait été en contact avec des responsables
américains depuis qu’il était devenu connu et grimpait les échelons du Parti
travailliste de cet Etat. L’ancien agent de la CIA, Philip Agee, avait fait,
dans son livre sur les activités de la CIA, Inside the Company, une
différence entre le personnel directement employé par la CIA, les
« operatives » et celui indirectement recruté, tel les agents qui la
renseignent en agissant dans son intérêt. Selon cette définition, Arbib
était un agent de l’Etat américain.
Lorsque son rôle a été révélé, l’un de ses conseillers, l’ancien
bureaucrate droitier et sénateur du Parti travailliste australien (ALP) de
Nouvelle Galles du Sud, Stephen Loosley, a insisté pour dire qu’il n’y avait
rien d’anormal ou de fâcheux dans les activités d’Arbib. Des discussions et
des contacts réguliers avaient lieu entre l’ALP et l’ambassade américaine.
Loosley s’est rappelé avoir informé l’ambassade en 1991 en disant que
Keating remplacerait Hawke en tant que dirigeant du Parti travailliste et
premier ministre.
Loosley a fait comprendre que ce qu’Arbib avait fait s’était fait pendant
des décennies. Arbib n’avait pas initié le contact avec l’ambassade. Il
avait été incorporé dans un réseau qui existait déjà.
L’existence de ce réseau est parfaitement connue dans les cercles
journalistiques. Comme le disait le journaliste de The Australian, Paul
Kelly : « La tradition de l’intimité politique entre la droite de l’ALP et
l’ambassade américaine s’est transmise à une nouvelle génération : en
témoignent Chris Bowen, Stephen Conroy, Bill Shorten et Arbib, chacun d’eux
étant de plus en plus relié aux réseaux américains. » [The Australian, 10
décembre 2010]
En d’autres termes, les révélations concernant Arbib et les autres ne
sont que les divulgations contemporaines d’une relation historique
développée. Voyons où se trouvent ses origines et examinons les questions
politiques clé qu’elle soulève.
Le rôle fondamental du Parti travailliste et de la social-démocratie en
général, n’est pas, comme nous le savons, de lutter pour la mobilisation de
la classe ouvrière en vue du renversement de la société capitalise. Sa tâche
primordiale est plutôt la subordination de la classe ouvrière au régime
capitaliste.
Les sociaux-démocrates reconnaissent, avant tout autre chose, la
bourgeoisie comme étant les maîtres du destin de la société. Mais, les
rapports au sein de la bourgeoisie d’un pays donné, et entre les différentes
parties de la bourgeoisie internationalement, changent suite aux
développements historiques. Ces changements trouvent leur expression dans
l’orientation de la social-démocratie.
Dans ses écrits des années 1920 sur la situation en Europe, Trotsky a
fait une analyse importante de cette question. Les sociaux-démocrates en
Europe étaient devenus relativement critiques de leur « propre »
bourgeoisie, remarquait-il. Comment expliquer ceci ? Ce n’était pas la
conséquence d’un quelconque sentiment d’opposition parmi leurs dirigeants,
dont tous avaient joué un rôle clé dans la trahison du soulèvement de la
classe ouvrière européenne suite à la Révolution russe, mais le reflet du
changement de position de la bourgeoisie européenne elle-même.
Avec la montée de l’impérialisme américain immédiatement après la
Première guerre mondiale et son intervention dans ce qu’avaient été
auparavant les affaires européennes, un nouveau maître avait fait son
apparition. Les sociaux-démocrates, a expliqué Trotsky, reconnaissaient
maintenant qu’ils devaient s’adapter au « maître des maîtres », à savoir,
l’impérialisme américain.
En Australie, les développements historiques avaient pris un cours
légèrement différent. La bourgeoisie australienne définissait ses intérêts
et ses privilèges dans le cadre de l’empire britannique et son attitude
était reflétée dans la position adoptée par le Parti travailliste. A la
veille de la Première guerre mondiale, le dirigeant du Parti travailliste,
Andrew Fisher avait déclaré que le gouvernement travailliste serait engagé à
défendre l’empire britannique « jusqu’à son dernier homme et son dernier
shilling »
La situation d’après-guerre a entraîné d’importants changements, et la
montée de nouvelles puissances impérialistes. Dans les années 1930, la
Quatrième Internationale avait expliqué que lors du prochain conflit entre
les puissances impérialistes, la bourgeoisie australienne s’alignerait sur
la puissance impérialiste la mieux à même de la défendre contre le Japon.
Dès que la guerre du Pacifique avait éclaté avec le bombardement de Pearl
Harbour le 7 décembre 1941, il était clair qu’une telle tâche ne pourrait
pas être accomplie par la Grande-Bretagne. La rapidité de l’avance japonaise
avait montré que le contrôle britannique sur ce que Whitehall (le ministère
de la Défense britannique) appelait le « Far East » s’était écroulé.
Dans son message de Nouvel An à la fin de 1941, le premier ministre
travailliste John Curtin avait annoncé la nouvelle orientation de son
gouvernement : « Sans inhibition aucune, je fais comprendre clairement que
l’Australie se tourne vers l’Amérique, libre de toute mauvaise conscience
quant à nos liens traditionnels ou à notre parenté avec le Royaume Uni. »
Je doute fortement que Kim Beazley ait jamais lu la brochure de Trotsky
l’Europe et l’Amérique qui analyse les changements d’allégeance de la
social-démocratie. Mais l’ancien dirigeant travailliste a fourni un résumé
succinct des conclusions de Trotsky dans sa conversation avec l’ambassadeur
américain en septembre 2006.
Le procès-verbal de la discussion dit : « Beazley a souligné les
commentaires de Rudd sur le soutien historiquement fort du Parti
travailliste pour l’Alliance, en rappelant que le gouvernement du libéral
Robert Menzies formé immédiatement après la guerre avait éprouvé de réelles
inquiétudes quant à la politique de Washington de l’époque dont il croyait
qu’elle promouvait une décolonisation déstabilisante de l’Asie du Sud Est.
Le Parti travailliste au contraire, était guidé par le rapprochement, initié
par le premier ministre Curtin, avec les Etats-Unis pendant la Deuxième
guerre mondiale et vu comme le principal espoir d’une paix durable après la
guerre… Les Australiens sont restés obsédés par les Etats-Unis, suivant
chaque mouvement fait par Washington, peut-être au point de commettre une
erreur. »
Autrement dit, durant la guerre et immédiatement aprè,s le Parti
travailliste se rapprocha du nouveau « maître des maîtres », l’impérialisme
américain, tandis que les Libéraux sous Menzies tentaient de s’aligner sur
l’empire britannique qui connaissait un rapide déclin.
A présent, la situation connaît un nouveau revirement – la crise palpable
de l’impérialisme américain. Ayant à faire face à l’affaiblissement de sa
propre position économique et à la montée de nouveaux rivaux, il recourt au
militarisme et à l’oppression qu’il organise tous les jours en coulisses. Le
grand service rendu par WikiLeaks est d’avoir rendu publiques certaines de
ces activités.
L’attaque contre WikiLeaks et la persécution de Julian Assange ont à
juste titre suscité l’opposition de millions de personnes de par le monde.
La raison en est que les révélations ont commencé à jeter la lumière sur les
expériences amères de la décennie passée – la fausse « guerre contre le
terrorisme », les mensonges utilisés pour commencer la guerre contre l’Irak,
les assauts sans cesse plus sévères contre les droits démocratiques,
l’enrichissement d’une infime couche de la société au moyen de ce qu’on ne
peut qualifier que d’activités criminelles, la croissance de l’inégalité
sociale, pour n’en nommer que quelques uns.
Il y a une préoccupation au sein de couches grandissantes de la
population, notamment des jeunes gens, que la vérité doit être connue ; que
derrière une toile de mensonges, les politiciens capitalistes,
indépendamment de toute affiliation politique, sont en train d’effectuer une
politique qui menace l’avenir même de l’humanité.
Ces sentiments sont tout à fait corrects. Mais, jusqu’à présent, ils
manquent d’une perspective politique. Ceci ne pourra être développé qu’en
traitant le problème à la source, en comprenant que les dangers de la
guerre, l’assaut contre les droits démocratiques et l’aggravation des maux
sociaux et économiques sont tous des expressions de l’effondrement de
l’ordre capitaliste lui-même.
La lutte pour la vérité et les droits démocratiques signifie une lutte
pour le renversement du système social qui est de par son essence même, la
source des mensonges et de l’oppression. Et ceci signifie un tournant vers
la classe ouvrière internationale, la seule force sociale capable de
renverser l’ordre impérialiste et le fait de s’armer d’une perspective et
d’un programme révolutionnaires.
La réponse des gouvernements de par le monde aux attaques contre
WikiLeaks et la persécution d’Assange signifie qu’il n’existe pas au sein
des cercles dirigeants d’organe pour la défense des droits démocratiques.
Comment pourrait-il en être autrement, au moment où chaque gouvernement
organise des attaques contre de la position sociale de la classe ouvrière
tout en faisant, en coulisse, des préparatifs pour des attaques militaires
contre les puissances rivales.
Je m’empresse d’ajouter que personne ne devrait croire que l’opposition
aux attaques contre WikiLeaks venue des médias et des cercles politiques
dirigeants dans ce pays reflète l’existence d’un quelconque cas particulier
australien d’engagement en faveur des droits démocratiques. Les mêmes
figures médiatiques qui ont signé la déclaration exprimant une inquiétude
face à l’attaque contre WikiLeaks et professé leur engagement pour une
« presse libre et intrépide » avaient toutes répété les mensonges sur « les
armes de destruction massive. » Leur souci majeur n’est pas la défense de la
démocratie, mais la crainte que l’Australie, qui est de plus en plus
tributaire de la Chine, ne soit enchainée au chariot sanguinaire de
l’impérialisme américain alors qu’il fonce vers une guerre.
La défense des droits démocratiques est une question de classe. Elle doit
se baser sur un mouvement politique de la classe ouvrière. Ceci signifie la
construction d’un nouveau parti socialiste révolutionnaire de masse. Cela
requiert une rupture complète non seulement avec le Parti travailliste et
l’ensemble de l’appareil syndical – ces agences totalement corrompues de
l’impérialisme – mais avec toutes les organisations soi-disant de gauche qui
cherchent d’une manière ou d’une autre à attacher la classe ouvrière à ces
appareils.
La crise financière mondiale a révélé dans le domaine économique que tous
les problèmes auxquels la classe ouvrière est confrontée sont d’envergure
internationale. A présent, les messages publiés par WikiLeaks ont souligné
la même chose dans le domaine politique.
La voie pour aller de l’avant est celle de la construction d’un parti
qui, de par son programme et son orientation, lutte pour l’unification
internationale de la classe ouvrière. C’est la perspective du Comité
International de la Quatrième Internationale, le parti mondial de la
révolution, et de sa section australienne, le Parti de l’Egalité socialiste.
Nous vous invitons instamment à rejoindre ses rangs. »
(Article original paru le 23 décembre 2010)
voir aussi:
La
diplomatie impérialiste révélée au grand jour: ce que cache la chasse aux
sorcières contre Julian Assange et WikiLeaks [5 janvier 2011]