La diplomatie impérialiste révélée au grand jour: ce que cache la chasse
aux sorcières contre Julian Assange et WikiLeaks
Par James Cogan
5 janvier 2011
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La conférence suivante a été donnée par James Cogan, l’organisateur national
du Parti de l’Egalité socialiste (Socialist Equality Party, SEP, Australie)
lors des réunions publiques les 20 et 21 décembre à Melbourne et à Sydney.
James Cogan
La campagne qui est menée contre WikiLeaks et son rédacteur Julian
Assange montre la répudiation totale des conceptions les plus fondamentales
des droits démocratiques, des libertés civiques et de la liberté de la
presse au sein des cercles dirigeants américains et de la classe dirigeante
internationalement.
Il y a trois semaines, WikiLeaks avait commencé à publier les premiers de
quelques 250.000 télégrammes diplomatiques américains qui avaient été
divulgués au site par une personne sur les deux millions qui avaient accès à
ces données. Un jeune soldat de 23 ans, Bradley Manning, a été accusé d’être
à l’origine de ces divulgations.
Ce qui s’est ensuivi est sans précédent. WikiLeaks et Julian Assange ont
immédiatement été qualifiés de criminels par le ministère américain des
Affaires étrangères. Des figures influentes au sein de l’establishment
politique américain sont allées plus loin, en insistant pour dire qu’Assange
était un terroriste. L’ancien candidat à l’investiture républicaine pour
l’élection présidentielle, Mike Huckabee, a appelé à son meurtre. Un ancien
conseiller du premier ministre canadien a exigé l’assassinat d’Assange en
suggérant que le président Obama utilise un drone pour ce faire.
Amazon a fermé ses serveurs à WikiLeaks. EveryDNS a supprimé son nom de
domaine, wikileaks.org. PayPal, MasterCard et Visa ont bloqué toutes les
transactions financières de WikiLeaks qui dépend exclusivement de dons pour
maintenir ses opérations.
Le parquet suédois a lancé à l’encontre d’Assange lui-même un ordre
d’arrestation en le plaçant sur la liste des personnes les plus recherchées
par Interpol (notice rouge) au motif d’accusations hautement douteuses
d’abus sexuels. Un premier juge avait décidé qu’il n’y avait pas lieu de
statuer et avait rejeté les accusations. Elles n'ont été reprises qu’après
qu’un autre juge a été abordé par un politicien suédois de droite dans le
contexte de l’indignation politique croissante contre WikiLeaks aux
Etats-Unis et ont été utilisées pour emprisonner Assange en Grande-Bretagne.
Le Sydney Morning Herald a fait état d'une série de soupçons concernant
la jeune femme, Anna Ardin, qui a initié les accusations contre Assange en
Suède. Le journaliste australien et spécialiste de l’espionnage, Philip
Knightley, l’identifie comme quelqu’un que la CIA « considérerait comme un
atout » en raison de ses liens avec l’establishment politique suédois
viscéralement anticommuniste.
Des conditions de caution normalement associées à un meurtrier ou à un
patron de la mafia ont été appliquées à Assange et l’on spécule fortement
que les autorités américaines sont en train d’élaborer une demande
d’extradition pour l’envoyer aux Etats-Unis et le juger pour crime
d’espionnage. Il y a des craintes légitimes que Bradley Manning, qui est
détenu en isolement carcéral dans une prison de haute sécurité, est
effectivement torturé afin de lui arracher un faux témoignage selon lequel
Assange aurait exercé une pression sur lui ou l’aurait payé pour qu’il
divulgue le matériel à WikiLeaks.
Ce week-end, le vice-président américain, Joe Biden, a dit qu’Assange
« se rapprochait davantage du terroriste de haute technologie » que d’un
représentant des médias.
Des questions fondamentales de droits démocratiques et la survie même
d'internet en tant que moyen d'échange libre et honnête de l’information
sont en jeu. En raison de ce point de vue à lui seul, la classe ouvrière a
grand intérêt à défendre WikiLeaks et Julian Assange. Si l’Etat capitaliste
est capable de détruire le site web et d’emprisonner ou de tuer son
fondateur pour avoir dévoilé la preuve de meurtres de civils en Irak,
d’atrocités massives commises à la fois en Irak et en Afghanistan ainsi que
des messages jetant la lumière sur la réalité quotidienne de la diplomatie
impérialiste – alors nos droits à nous tous souffriront un sérieux revers.
Beaucoup de choses ont été dites et écrites pour essayer de discréditer à
la fois WikiLeaks et Assange, et je pense donc qu’il est important de
souligner, sans équivoque, que WikiLeaks est indiscutablement une
organisation médiatique. Elle a été établie en 2006 par un groupe de gens
talentueux, disposant d’un grand sens du sacrifice et courageux, dirigé par
Assange qui a vu qu'internet pouvait être utilisé comme un moyen puissant
pour ce qu’on appelle des « dénonciateurs » (whistle-blowers) afin de
divulguer des informations au monde en révélant au grand jour les crimes et
les violations de gouvernements et d'entreprises.
Les révélations de dénonciateurs sont le quotidien du journalisme
d’investigation – le moyen par lequel les secrets des pouvoirs constitués
sont révélés au grand jour et soumis à l’examen public minutieux. Jadis,
quitte à aller en prison, tout rédacteur ou journaliste digne de ce titre,
protégerait la légitimité de publier des révélations et la confidentialité
de ceux ayant dévoilé l’information.
WikiLeaks a rapidement pris de l’importance. En 2008, WikiLeaks a été
récompensé par le prix des nouveaux médias du magazine Economist et, en
2009, par le prix des médias du Royaume Uni d’Amnesty International.
Les critiques furieuses du site n’ont commencé qu’en avril de cette année
lorsqu’il a publié sous le titre de « meurtre collatéral » une vidéo
montrant un hélicoptère américain en train de massacrer un groupe de civils
en Irak dont deux journalistes employés par Reuters.
En juin, il a publié près de 77.000 documents sur la guerre en
Afghanistan qui ont révélé un nombre de victimes civiles considérable et la
corruption absolue du gouvernement du président Hamid Karzai mis en place
par les Etats-Unis. En octobre, WikiLeaks a publié plus de 400.000 rapports
militaires américains sur l’Irak y compris la preuve de 15.000 victimes
civiles inconnues auparavant ; et la connaissance de la part de l’armée
américaine que les forces de sécurité du gouvernement fantoche irakien
torturaient et assassinaient à une échelle massive des soi-disant insurgés.
C’est la divulgation de la diplomatie américaine toutefois qui a
déclenché les attaques les plus virulentes à l’encontre de WikiLeaks.
Dans différents domaines, des tentatives ont été faites pour minimiser ou
même ridiculiser la publication des messages envoyés à Washington par les
ambassades et les consulats américains du monde entier. Les révélations
contenues dans les messages ont été rejetées comme « n’étant rien de
nouveau » voire même des « ragots ».
L’humoriste Jon Stewart figure parmi les personnes les plus en vue de
cette couche. Des millions de jeunes gens aux Etats-Unis et
internationalement suivent son émission « The Daily Show » dans l’espoir
d’obtenir un commentaire critique sur la politique américaine et les
événements qui se passent dans le monde en général.
En réponse toutefois aux révélations faites par WikiLeaks Stewart n’a
fait preuve que d’indifférence et d’hostilité.
Il a dit à son auditoire: « La transparence est une bonne chose, les
méfaits du gouvernement deoivent être détectés. Ce n’est pas parce ce que
quelque chose est secret que cela doit obligatoirement signifier qu’elle est
néfaste. » Il a minimisé les télégrammes diplomatiques comme étant
« intéressants et pourtant moins explosifs et pas vraiment un réquisitoire
brûlant. »
Stewart a poursuivi en donnant une leçon imaginaire à Julian Assange :
« Je pense que vous sous-estimez à quel point les Américains sont déjà
cyniques à l’égard du gouvernement. Nous avons organisé des coups au Chili,
en Iran, au Guatemala, etc… Nous vendons des armes aux ennemis de nos
ennemis qui d’une manière ou d’une autre deviennent ensuite à chaque fois
nos ennemis en nous obligeant à nous défendre contre nos propres armes. Cela
arrive souvent…. C'est beaucoup d'effort pour bien peu nous impressionner.
Vous devriez vraiment vous informer sur ce que nous savons sur nous-mêmes.
Donc, à moins que nous ne découvrions dans ce WikiLeaks que les Aliens
d’Area 51 ont tué Kennedy, … Allez, arrêtez cette comédie. »
Que Stewart exige que WikiLeaks cesse la publication n’est évidemment pas
un phénomène isolé. Ceux qui appellent au meurtre d’Assange veulent aussi
que ces publications cessent. Paul Kelly du journal The Australian a affirmé
hier que ses sources aux Etats-Unis, et il en compte de nombreuses, lui
avaient dit que dans l’ensemble de l’establishment américain – gouvernement,
médias, entreprises, et ainsi de suite – une « ligne intransigeante »
presque unanime existe envers WikiLeaks.
Pourquoi? Qu’est-ce-qui fait que les messages diplomatiques qui sont mis
à la disposition du monde causent autant de colère et de peur dans les
cercles dirigeants américains et parmi les soi-disant libéraux et des
figures anti-establishment tel Jon Stewart ?
Traitons d’abord ceux du type de Stewart: ce sont des gens qui ne sont
pas contre l’impérialisme américain. Ils se sont constitués une masse de
fans en s’opposant à certains des excès les plus évidents de l'impérialisme
américain, telles la guerre en Irak et les violations anti-démocratiques qui
y sont liés et qui avaient été commis par le gouvernement de George Bush au
nom de la guerre contre le terrorisme.
Des années durant, ils ont dépeint la guerre et ses atrocités comme étant
le fait d’individus dérangés existant au sein du gouvernement Bush, comme
Dick Cheney et Donald Rumsfeld. Ils ont activement encouragé la conception
que l’élection d’un jeune démocrate noir, Barack Obama, engendrerait de
vastes changements dans la politique extérieure et intérieure américaine.
Qu’a divulgué WikiLeaks ? Il a révélé que quel que soit le parti
capitaliste qui siège à la Maison Blanche et au Congrès, la politique
étrangère américaine reste la même. Les Etats-Unis sont une puissance en
faillite et en déclin, divisée par d'énormes inégalités sociales et des
tensions de classe, et qui est confrontée à une série de rivaux dans le
monde entier.
Les messages qui ont été publiés jusqu'ici révèlent la faiblesse, le
désespoir, la cruauté et avant tout les mensonges, la criminalité et la
belligérance qui imprègnent chaque action des représentants du capitalisme
américain – dans lequel j'inclus les médias américains. WikiLeaks a permis
au monde de voir comment derrière les portes closes, les diplomates
américains et leurs alliés sont impliqués en permanence dans des complots
contre d’autres gouvernements et préparent activement de nouvelles guerres.
Pour ne donner que quelques exemples:
Durant les premiers jours du gouvernement Obama, la secrétaire d’Etat,
Hillary Clinton, et le premier ministre australien de l’époque, Kevin Rudd,
avaient discuté de la possibilité de recourir « à la force » contre la
Chine, si elle rechignait à se plier à des accords dans la région
Asie-Pacifique qui est sous dominance américaine. Une année plus tôt, en
2006, un message avait révélé que l’ancien dirigeant du Parti travailliste
australien, Kim Beazley, avait dit à des responsables américains que
l’Australie n’aurait « pas d’autre alternative » que de se joindre aux
Etats-Unis dans une guerre avec la Chine au sujet de Taïwan.
D’autres messages ont révélé des projets de déployer plus de 100.000
troupes américaines et de l’OTAN dans les Etats baltes pour faire face à la
Russie si elle empêchait une plus grande adhésion de ces derniers à l’OTAN.
Ces deux propositions pour une confrontation entre des Etats disposant de
l’arme nucléaire soulignent les dangers énormes auxquels l’humanité est
confrontée.
Nous savons par WikiLeaks que Clinton avait ordonné aux représentants des
ambassades américaines et des Nations unies de collecter des informations,
tels des numéros de cartes de crédit et même de prélever des échantillons
d’ADN sur les dirigeants étrangers, dont le secrétaire général de l’ONU, Ban
Ki-Moon. Le seul but d’un tel exercice de collecte d’informations en étant
l'utilisation pour faire chanter ces gens afin qu’ils s’alignent sur les
exigences des Etats-Unis.
Nous savons qu'une guerre contre l’Iran est débattue régulièrement avec
différents régimes du Moyen Orient. Nous savons que l’ambassade américaine
en Géorgie connaissait les projets du gouvernement géorgien d’attaquer des
séparatistes qui étaient directement soutenus par la Russie, au risque de
provoquer une confrontation armée avec Moscou.
Ici, en Australie, nous en savons beaucoup plus sur les circonstances qui
ont précédé le coup de main politique du 23-24 juin qui a évincé Kevin Rudd
comme premier ministre au profit de Julia Gillard. Nous savons que le Parti
travailliste australien (ALP) et des figures syndicales sont ce qu’on ne
peut décrire que comme des agents des Etats-Unis qui informent et sont
informés en permanence par l’ambassade et le service de renseignement
américains. Rudd avait perdu l’attention que lui portait Washington après
diverses tentatives de mener une politique étrangère plus indépendante des
Etats-Unis, ce qui avait culminé le 23 juin dans l’annonce que les troupes
australiennes quitteraient l’Afghanistan d’ici deux à quatre ans.
En l’espace de 24 heures, Gillard, qui dès 2008 avait été pressentie par
l’ambassade des Etats-Unis pour succéder à Rudd, fut placée à la tête du
gouvernement. Elle procéda immédiatement à l’alignement total de son
gouvernement sur Washington en promettant de maintenir les troupes
australiennes en Afghanistan durant une nouvelle décennie.
Des télégrammes ont révélé le bombardement américain secret du Yémen ; la
fomentation d’une conspiration avec l’armée pakistanaise au sujet d’un
éventuel coup pour renverser le gouvernement civil et diverses autres
conspirations contre des gouvernements d’Amérique latine. En 2006,
l’ambassade américaine en Thaïlande avait discuté avec l’armée thaïe de
projets de renverser le gouvernement élu du premier ministre Thaksin.
Une fuite publiée aujourd’hui a révélé ce qu'on pourrait appeler le
télégramme « Blood for Milk » (Sang contre lait). Il dévoile que l’ancien
gouvernement travailliste néo zélandais d’Helen Clark avait changé sa
décision de ne pas envoyer de troupes en Irak après une mise en garde que
l’exportateur néo zélandais de lait, Fonterra, pourrait perdre de ce fait un
contrat dans le cadre du programme de l’ONU « oil for food » (Pétrole contre
nourriture).
Ceci n’est qu’une révélation parmi tant d'autres montrant à quel point
les décisions gouvernementales sont prises sur la base de calculs totalement
mercenaires en fonction des besoins de l’élite financière et patronale.
Un autre télégramme révèle que l’ambassade américaine en Azerbaïdjan
était au courant d’une explosion en 2008 sur une plateforme pétrolière de BP
dans la Mer Caspienne. Aucune action ne fut entreprise pour vérifier les
normes de sécurité des installations de BP aux Etats-Unis ou ailleurs. La
conséquence en fut la catastrophe dans le Golfe du Mexique qui a provoqué la
mort de 11 personnes et la contamination de la région du golfe par des
millions de tonnes de pétrole.
Comme l’écrivait le World Socialist Web Site dans une récente
perspective : « Ceux qui veulent voir couler le sang d’Assange en qualifiant
ses actions de 'criminelles' sont responsable des vraies crimes dont les
victimes se comptent par centaines de milliers, si non par millions. »
(Voir : Free Julian Assange! Hands off WikiLeaks!
http://wsws.org/articles/2010/dec2010/pers-d08.shtml)
La fureur contre WikiLeaks reflète l'urgence absolue, ressentie par les
élites dirigeantes et leurs représentants politiques, de la nécessité
d’imposer une mainmise sur le flux des informations. Ils savent que la crise
de leur système économique et leurs tentatives d’imposer son poids total sur
le dos de la classe ouvrière créent les conditions d’une éruption des luttes
de classe. Priver un tel mouvement d’une information libre et d’une
perspective politique est considéré comme vital.
Nous devons nous attendre et nous préparer à d’autres attaques contre la
circulation de l’information, ciblant notamment internet.
La classe ouvrière doit prendre la défense de WikiLeaks et de Julian
Assange. Contrairement aux affirmations des Jon Stewart de ce monde, que
Wikileaks et Julian Assange n’ont rien fait de significatif, ils ont, en
réalité rendu un immense service. Ils ont permis à tous ceux qui se donnent
la peine de regarder, d’étudier la réalité de la diplomatie impérialiste et
des mensonges éhontés qui sont dits tous les jours pour justifier
l’oppression de milliards de personnes.
Pour ceux qui sont prêts à engager la lutte, les révélations de WikiLeaks
peuvent être le point de départ d'un développement significatif de la
conscience politique et d’une orientation visant non pas uniquement à
révéler les crimes impérialistes mais à construire le mouvement politique
révolutionnaire de la classe ouvrière internationale qui est indispensable
au renversement de l’impérialisme et de l’ordre social capitaliste qu’il
maintient.
J’invite instamment tous ceux ici présents ce soir à s’engager dans la
lutte en demandant à rejoindre le Parti de l’Egalité socialiste, la section
australienne du Comité International de la Quatrième Internationale.
(Article original paru le 22 décembre 2010)