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Les politiciens capitalistes, de même que les médias de masse,
s’efforcent en permanence de présenter la soi-disant crise de la dette
souveraine comme étant comparable au sort d’un individu qui, après s’être
trouvé en difficultés financières, doit maintenant faire des sacrifices en
échange d’une aide financière. Le renflouement du Portugal est le dernier
exemple en date. En annonçant la décision de son gouvernement intérimaire de
demander une aide d’urgence de l’Union européenne, le premier ministre José
Sócrates a déclaré qu’il cherchait, au nom « de l’intérêt national », une
assistance financière pour « notre pays ».
Tout comme dans le cas de la Grèce et de l’Irlande qui l’ont précédé,
l’objectif du renflouement portugais, qui est supposé atteindre au moins 80
milliards d’euros, est de soutenir les banques européennes en imposant des
coupes profondes dans les niveaux de vie et les conditions sociales de la
classe ouvrière.
La période qui a précédé l’annonce de mercredi soir suit un schéma qui
est à présent familier. D’abord, des mesures d’austérité ont été appliquées
qui, dit-on, allaient éviter de demander un renflouement. Mais les pressions
continues exercées par les marchés, les agences de notation et les banques
se sont poursuivies et ont culminé dans la dégradation de la note de la
dette portugaise à un statut proche de la catégorie « junk ». Les banques du
pays annoncèrent alors qu’elles ne pouvaient plus accepter de dettes
gouvernementales dans leurs comptes.
L’une des découvertes scientifiques les plus profondes de Karl Marx a été
de montrer comment les opérations du « libre marché » donnait l’impression
qu’un pillage et un vol systématique, s’accompagnant de l’appauvrissement
des masses de la population, était le résultat « d’événements naturels »
pour lesquels il n’y avait pas d’alternative. Et, c’est ce qui s’est passé
dans ce cas précis. L’aggravation constante au cours de ces derniers mois de
la crise des finances du Portugal, qui est apparue comme le résultat
d’inévitables forces du marché, avait été une opération visant à obliger le
gouvernement à demander un renflouement et à assurer que des pertes
encourues par les grandes banques européennes soient garanties par l’Etat.
Immédiatement après l’annonce de la décision de sauvetage, les banques
portugaises ont jubilé lorsque les cours de leurs actions ont augmenté entre
4 et 6 pour cent durant la journée boursière de jeudi.
Des montants énormes d’argent sont en jeu en même temps que la
solvabilité de l’ensemble du système bancaire et financier européen. Selon
les données de la Banque des règlements internationaux (BRI) – appelée
parfois la banque centrale des banques centrales – l’exposition totale des
banques étrangères à la Grèce, à l'Irlande, au Portugal et à l'Espagne
s'élève à plus de 2,5 mille milliards de dollars. De cette somme, les
banques allemandes ont 569 milliards de dollars d’exposition, les banques
françaises 380 milliards de dollars et les banques britanniques 431
milliards de dollars.
L’importance du renflouement des banques est révélée par les chiffes
fournis par le groupe de finance japonais Nomura Securities. Celui-ci a
calculé que si la dette de l’Irlande, de la Grèce et du Portugal était
« restructurée » – soit par amortissement soit par prolongement de leurs
délais de maturité – les pertes directes et indirectes des banques de la
zone euro totaliseraient 240 milliards de dollars. Ce chiffre passerait à
480 milliards de dollars au cas où l’Espagne en ferait partie. Les banques
allemandes figurent parmi les plus lourdement exposées et enregistreraient
une perte de 185 milliards de dollars, ce qui correspond à un tiers de leur
capital total, si les dettes envers les soi-disant quatre « [Etats]
périphériques » étaient restructurées.
L’une des principales raisons pour laquelle la Banque centrale
européenne, ainsi que le gouvernement allemand d’Angela Merkel, ont rejeté
la restructuration de la dette est la crainte que tout affaiblissement des
banques européennes serait à l’avantage des banques américaines qui ont été
renforcées par l’apport de fonds massifs et par des prêts à taux d’intérêt
quasiment de zéro accordés par le Reserve fédérale américaine.
Le renflouement du Portugal a été accompagné par des commentaires dans la
presse financière selon quoi il devrait marquer la fin de la ‘contagion
financière’ qui avait débuté en avril-mai 2010. Dans un éditorial intitulé
« Tirer un trait dans le sable ibérien, » le Financial Times a
insisté pour dire que ce renflouement devait être le dernier et qu’« il
était important pour toute l’Europe, mais surtout pour l’Espagne, de trouver
la bonne solution pour le renflouement portugais. »
Mais, il n’y a pas de raison objective pour que la crise ne se prolonge
pas. Comme le remarquait le rédacteur économique du Guardian, Larry
Elliott : « Lorsqu’il s’agit des problèmes économiques de base il n’y a pas
grande différence entre le Portugal et l’Espagne. » Elliott conclut en
disant : « Alors qu’il peut être rassurant pour les politiciens à Bruxelles
et à Francfort de penser que la crise de la dette souveraine arrive à sa fin
avec le renflouement du Portugal, il est bien plus probable que l’appel à
l’aide de Lisbonne mercredi soir ouvre une nouvelle et encore plus
dangereuse phase de la crise. »
Cette « nouvelle et encore plus dangereuse phase de la crise » sera
accompagnée d’attaques encore plus drastiques à l’encontre de la classe
ouvrière que celles mises en oeuvre jusque-là.
Il est ici indispensable de dresser un bilan politique des événements de
l’année passée depuis l’émergence de la « crise de la dette souveraine. »
L’annonce de la demande portugaise de renflouement n’a pas créé de
perturbations sur les marchés financiers. En fait, les marchés boursiers ont
généralement connu une évolution à la hausse et l’euro s’est renforcé
vis-à-vis du dollar.
Cette réaction n’est pas le signe d’un renforcement du système financier
européen. C’est le résultat de facteurs politiques et non économiques. Le
calme relatif qui a accompagné l’annonce de renflouement est l’expression du
fait que les marchés financiers ont conclu que bien que la situation
économique risque d’empirer, l’ensemble de l’appareil politique officiel
continuera d’œuvrer pour garantir que ses exigences soient imposées. Au
Portugal, les deux principaux partis parlementaires, le Parti Socialiste et
le Parti social démocrate, droitier, d’opposition, sont tous deux engagés à
imposer des mesures d’austérité pour le compte des banques, quelle que soit
l’issue des élections qui se dérouleront dans le pays le 5 juin.
En ce qui concerne le soi-disant Bloc de Gauche (BE), il a publié un
communiqué disant qu’il soumettra un « projet en réponse à la situation de
la dette. » Mais, les marchés financiers ont pris la mesure des partis de
« gauche » et de la direction syndicale sur la base des expériences de ces
12 derniers mois en Grèce, en Irlande et au Portugal même. Ils ont déjà
« considéré » dans leurs calculs que dans chaque pays ces appareils
s’opposent avec véhémence au développement d’une lutte politique
indépendante de la classe ouvrière pour le renversement des gouvernements du
capital financier.
Les forces pour une telle lutte font toutefois leur apparition. Les
manifestations du 12 mars qui ont vu protester des milliers de familles et
de jeunes travailleurs et furent organisées indépendamment des appareils
officiels, indiquent la voie à suivre. Ce mouvement doit être armé avec un
programme socialiste international afin de mettre en place des gouvernements
ouvriers dans la lutte pour les Etats socialistes unis d’Europe. C’est la
perspective du Comité International de la Quatrième Internationale.
(Article original paru le 9 avril 2011)