Une étude récente démontre que les
inégalités sociales au Canada atteignent maintenant une ampleur jamais vue
depuis les années 1920. En d'autres mots, les inégalités sont comparables à ce
qui prévalait avant les grandes luttes sociales qui ont donné naissance aux
syndicats industriels de masse et qui ont forcé les gouvernements et la grande
entreprise à mettre en place un filet de sécurité sociale.
Publié
par le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) et rédigé par
l'économiste du CCPA Armine Yalnizyan, La montée des 1 pour cent le plus
riche au Canada montre que « plus vous vous trouvez haut dans
l'échelle des revenus, plus rapide est l'enrichissement ». « Que
l'économie ait été en croissance ou en déclin » au cours des trois
dernières décennies « l'ascension des riches a été irrésistible ».
Des
études précédentes montrent que depuis la crise économique du début des années
1980, la vaste majorité des Canadiens n'ont eu aucune ou qu'une petite
augmentation de leurs revenus une fois l'inflation prise en compte. Pourtant au
cours des trente dernières années la production économique du Canada a plus que
doublé en termes réels.
L'importance
de la nouvelle étude du CCPA réside dans le fait qu'elle va bien au-delà des
études de Statistique Canada qui divise ses résultats en tranche de 10 et 20
pour cent de la population et démontre jusqu'à quel point la section la plus
riche de la population — soit les 1 pour cent, les 0,1 pour cent et les 0,01
pour cent des salariés se trouvant au sommet — a monopolisé les gains provenant
de la croissance économique.
Voici
quelques unes des conclusions de La montée des 1 pour cent le plus riche au
Canada :
Les
Canadiens formant les 1 pour cent le plus riche se sont approprié 32 pour
cent, soit près du tiers, de toute la croissance économique des vingt
années allant de1987 à 2007.
Cela
représente 4 fois plus que les 8 pour cent de la croissance économique que
le 1 pour cent des Canadiens le plus riche s'était partagée durant les
années 1960.
En
2007, le 1 pour cent le plus riche a eu 13,8 pour cent de tous les revenus
d'emploi des Canadiens. Cela représente près du double de sa part de 7,7 pour
cent de 1977.
Durant
la période allant de 1977 à 2007, la part de tous les revenus d'emploi
approprié par le 0,1 pour cent le plus riche des Canadiens, quelque
24 600 personnes, a presque triplé pour atteindre 5,5 pour cent.
Les
2460 plus hauts salariés ont plus que quintuplé leur part des revenus
d'emploi au cours des trois dernières décennies. Comptant pour seulement
0,01 pour cent de la population, ils se sont accaparé 2,6 pour cent des
revenus totaux d'emploi en 2007, « la plus importante part
enregistrée à ce jour ».
Le
revenu annuel moyen du 0,01 pour cent le plus riche est passé de
640.000 $ en 1982 à plus de 3,8 millions $ en 2007.
En
2007, il est estimé que 10 pour cent des Canadiens ont obtenu 41 pour cent
des revenus de marché alors que 90 pour cent de la population n'avaient, eux,
que 59 pour cent des revenus.
L'étude
du CCPA soutient que les trois dernières décennies ont été le témoin d'un
« stupéfiant renversement d'une tendance à long terme ». De la
période qui va du début de la Seconde Guerre mondiale jusqu'en 1977, la part du
revenu du 1 pour cent le plus riche avait été réduit de presque la moitié,
chutant de 14 pour cent à 7,7 pour cent. Mais, en 2007, le 1 pour cent des
Canadiens le plus riche gagnait à nouveau 13,8 pour cent de tous les revenus de
marché incluant une part de 15,7 pour cent des gains de capitaux (montant qui
n'était pas taxable avant 1971 et donc non déclaré).
Si
énorme que soit ce renversement, il y a un second élément dans la montée des
riches qui est presque aussi significatif. Comme le démontre Yalnizyan dans la
seconde partie de son étude, les riches ont non seulement monopolisé les gains
de revenu, ils ont également bénéficié de diminutions importantes des taux de
taxations sur leurs revenus et sur leurs gains en capitaux.
Conformément
à l'assaut mené par la bourgeoisie contre les services publics et les
programmes sociaux, les gouvernements à tous les niveaux et de toutes
tendances, incluant les soi-disant sociaux-démocrates du NPD et le Parti
québécois, ont coupé les impôts durant les deux dernières décennies. Mais la
diminution des impôts sur les revenus les plus élevés a été plus importante que
pour la plupart des autres Canadiens.
En
1948, le taux marginal d'imposition le plus élevé était de 80 pour cent et
s'appliquait aux revenus taxables de 250 000 $ et plus, l'équivalent
aujourd'hui d'un revenu de 2,37 millions $. En 2009, le taux marginal
d'imposition le plus élevé était de 43 pour cent et s'appliquait à tous les
revenus dépassant 126 264 $.
En
2000, le 1 pour cent le plus riche de tous les Canadiens payait en moyenne 33
pour cent en impôts (obtenu en combinant tous les impôts sur le revenu, les
salaires et les gains en capitaux et corporatifs), comparativement à un taux
d'imposition moyen de 71 pour cent en 1943.
Depuis,
les gouvernements fédéraux libéraux de Chrétien-Martin et conservateur de
Harper et toutes les provinces ont imposé des réductions massives de taxes
bénéficiant aux sections les plus privilégiées de la société. Ces réductions
étaient si biaisées, qu'en 2005, toutes taxes considérées, « le 1 pour
cent le plus riche était taxé à un taux légèrement inférieur au taux imposé aux
10 pour cent le plus pauvre des contribuables ».
L'impact
combiné de la hausse dramatique des inégalités des revenus et les diminutions massives
d'impôts pour les riches n'est pas qu'un simple « retour vers le passé
». « Aucune des générations des Canadiens riches précédentes »,
affirme Yalnizyan, « ne s'était accaparé une part si importante des gains
de la croissance économique dans l'histoire. »
L'étude
du CCPA se termine en 2007 faute de données, soit avant la crise mondiale du
capitalisme qui a envoyé des centaines de milliers de travailleurs au chômage
ou encore les a forcés à accepter de travailler à temps partiel ou à accepter
des diminutions de salaire et d'autres concessions.
La
croissance des inégalités des revenus a approfondi l'écart déjà vertigineux
entre l'élite capitaliste canadienne et le reste de la population. Une étude
récente par Investor Economics, une firme de consultation privée, estime que
3,8 pour cent des ménages canadiens détiennent 67 pour cent de toute la
richesse financière de l'ensemble des ménages canadiens.
L'étude
de Yalnizyan est une démonstration statistique de l'impact à sens unique de la
guerre de classe que la bourgeoisie canadienne a menée au cours des trois
dernières décennies. Bien que la classe ouvrière ait tenté de contre-attaquer,
ses luttes ont été étouffées et trahies par les syndicats et les sociaux-démocrates
du NPD.
Compte
tenu des liens étroits existants entre le CCPA et la bureaucratie syndicale, il
n'est pas surprenant que son étude se termine par l'expression l'illusion désespérée
d'un retour aux conditions prévalant durant la période d'essor économique d'après-guerre
alors que les revenus des travailleurs augmentaient significativement en terme
réel et que la société devenait marginalement plus égale.
« Les
excès de la période de l'Âge d'or [d'avant la Première Guerre mondiale] »,
écrit Yalnizyan, « ont provoqué son propre effondrement et ont provoqué,
en réponse, une vague de politiques publiques qui a contribué à la
redistribution de la richesse au moyen une taxation équitable des salaires
décents dans le but de grossir les rangs de la classe moyenne, de réduire la
pauvreté et de garder un couvercle sur les inégalités de revenus au Canada.
« Alors
que l'histoire se répète, la réponse au nouvel Âge d'or du Canada pourrait bien
être la même. »
Le
compte-rendu biaisé d'Yalnizyan sur la naissance de l'État providence ignore la
réalité de l'effondrement du capitalisme dans la première moitié du vingtième
siècle, une période de convulsion sociale incluant deux guerres mondiales et la
grande dépression. Il ignore également la lutte de classe, incluant la
Révolution russe de 1917 et les nombreux mouvements révolutionnaires de la
classe ouvrière à travers le monde qui ont été étouffés par la
social-démocratie et le stalinisme.
La
croissance de l'inégalité sociale au Canada et à travers le globe est enracinée
dans la résurgence des contradictions fondamentales du capitalisme, un système
dans lequel la vie socio-économique est subordonnée aux impératifs de profits
d'une infime minorité. La mobilisation de la classe ouvrière comme force
politique indépendante avec pour objectif la réorganisation radicale de la vie
économique plaçant les principaux leviers économiques sous le contrôle
démocratique de la classe ouvrière est la seule base progressiste sur laquelle
ces contradictions peuvent être résolues. Ce n'est qu'à ce moment que la
production et l'emploi pourront être basés sur les besoins sociaux et que les
énormes avancés de la productivité du travail pourront profiter à l'humanité
dans son ensemble.
(Article
original anglais paru le 9 décembre 2010)