Mardi, le président
français Nicolas Sarkozy a rencontré le premier ministre italien Silvio
Berlusconi à Rome pour le sommet franco-italien annuel. Le sommet a mis en
évidence les tensions grandissantes au sein de l'Europe dans le contexte de la
poursuite de la guerre et de l'austérité sociale.
L'objectif étant de
désamorcer les tensions franco-italiennes concernant l'immigration, Paris et
Rome se sont mis d'accord pour demander que la Commission européenne éviscère
les accords de Schengen afin de rétablir les frontières nationales au sein de
l'Europe. Les autres accords qui ont émergé étaient principalement sur la
politique militaire et financière à laquelle le gouvernement de l'Allemagne, la
plus grande économie d'Europe, est largement hostile.
Avant ce sommet, Paris
et Rome avaient eu un désaccord public sur la question de l'immigration, après
que Rome eut accordé des permis de séjour temporaires à 20 000 immigrants,
principalement tunisiens, qui sont arrivés en Italie depuis le début des
protestations de masse en Afrique du Nord. Avec les accords de Schengen, les
personnes sont libres de circuler à l'intérieur de la zone Schengen, soit dans
la plupart des pays de l'Union européenne à l'exception du Royaume Uni et de
l'Irlande.
Conformément à la politique du président Sarkozy consistant à faire
appel aux sentiments anti-immigrants et au Front national néo-fasciste, Paris a
attisé les craintes que ces immigrants, qui pour la majorité parlent le
français et ont de la famille en France, se rendraient en France. Ces dernières
semaines, la France a à plusieurs reprises rétabli les contrôles à la frontière
avec l'Italie.
Paris et Rome ont
conjointement écrit une lettre au président de la Commission européenne José
Manuel Barroso lui demandant de réformer les accords de Schengen pour permettre
aux Etats membres d'imposer à nouveau des contrôles aux frontières nationales.
Cette lettre dit, «La
situation migratoire en Méditerranée pourrait rapidement se transformer en une
véritable crise, qui affecterait la confiance que peuvent avoir nos concitoyens
dans la libre circulation de l'espace Schengen.» La lettre ajoute, «Il faut
examiner la possibilité de rétablir temporairement le contrôle aux frontières
intérieures en cas de difficultés exceptionnelles dans la gestion des
frontières extérieures communes, dans des conditions à définir. »
Sarkozy a dit, «Nous
voulons que Schengen vive, et donc il doit être réformé. Nous croyons à la
liberté de circulation des personnes, mais nous croyons à l' Etat de droit et
au respect d'un certain nombre de règles.»
M. Berlusconi a dit
que ni la France ni l'Italie ne souhaitaient abandonner le traité mais que «dans
les circonstances exceptionnelles, nous croyons qu'il doit y avoir des
modifications du traité. »
Une telle proposition signifie en essence la suppression de la zone
Schengen de libre circulation des personnes, étant donné que les pays de
l'Europe pourront la suspendre à leur gré. Le quotidien Le Monde écrit,
« Des experts estiment qu'une remise en cause des principes de Schengen
signerait la fin d'un acquis essentiel de la construction européenne.»
Le sommet a aussi
discuté de l'escalade de la guerre en Libye lancée par la France, le Royaume
Uni et les Etats-Unis et qui a pour objectif d'installer le Conseil national de
transition basé à Benghazi comme régime fantoche de la Libye. Au commencement
de la guerre en Libye, l'Italie, ancienne puissance coloniale en Libye et plus
important consommateur de pétrole libyen, avait éviter d'y participer.
Mais lundi, après une
conversation avec le président américain Barack Obama, Berlusconi a annoncé que
l'Italie se joignait à l'assaut contre la Libye. Aux côtés de la France,
l'Italie a aussi reconnu le Conseil national de transition comme étant le
gouvernement de la Libye et a récemment envoyé des conseillers militaires en
Libye.
La décision de l'Italie de se joindre à la guerre
américano-franco-britannique en Libye souligne ses inquiétudes concernant une
diminution de sa part des intérêts substantiels en Libye. Le Financial Times
commente, « Le conflit franco-italien sur l'immigration fait suite à des
différends importants concernant la Libye, et Rome a été entraînée dans une
guerre qu'elle aurait préféré éviter, craignant qu'une connexion Paris-Benghazi
ne l'écarte de ses intérêts substantiels dans le pétrole et le gaz
libyens. »
Sarkozy et Berlusconi ont soutenu la proposition de Mario Draghi de la
Banque centrale italienne de remplacer l'actuel président de la Banque centrale
européenne (BCE) Jean-Claude Trichet dont le mandat prend fin cet automne. La
décision concernant le prochain président de la BCE sera prise par le Conseil
européen en juin.
La France soutient le
candidat italien à la BCE dans un contexte de tensions grandissantes avec
l'Allemagne en matière de politique économique. Parmi les différends, on compte
la mauvaise volonté de l'Allemagne l'an dernier à financer les renflouements de
banques en Grèce qui auraient davantage bénéficié aux grandes banques
françaises qu'aux banques allemandes, ainsi que la préférence traditionnelle
allemande pour une politique monétaire de faible inflation. Mais cette
politique crée des tensions avec la France et l'Italie dont les exportations ne
peuvent être compétitives lorsque la valeur élevée de l'euro signifie que leurs
produits sont plus chers sur les marchés mondiaux.
L'Allemagne soutenait
précédemment l'ancien président de la Bundesbank allemande Axel Weber ,
pressenti comme le meilleur candidat pour la BCE. Mais Weber a soudain décidé
en début d'année de ne plus faire campagne pour la présidence de la BCE. Avec
Paris et Rome qui soutiennent Draghi, l'Allemagne n'a pas encore déclaré quel
était son candidat préféré. Le porte-parole de la chancelière allemande Angela
Merkel, Steffen Seibert a dit que l'Allemagne s'exprimerait sur un possible
candidat «en temps voulu. »
Draghi est un ancien
cadre de la banque Goldman Sachs de Wall Street qui avait été fortement
impliquée à la fois lors de l'effondrement des subprimes américains de 2008 et
lors de la crise de la dette grecque.
Selon le New York Times, « M. Draghi semble avoir réussi à
surmonter les réserves sur son rôle de directeur général de Goldman Sachs de
2002 à 2005. La banque d'investissement était le chef de file d'une transaction
de produits dérivés en 2001 qui avait permis à la Grèce de falsifier ses
comptes de façon à la faire entrer dans le club euro, mais M. Draghi a
clairement fait entendre qu'il n'était pas directement impliqué dans cette
affaire. »
Les médias français ont suggéré que Merkel hésiterait à provoquer
davantage de tensions diplomatiques en bloquant la candidature de Draghi, s'il
était soutenu par Sarkozy. Le Figaro écrit, «Exercer un veto à la
candidature de Draghi à la tête de la BCE risquerait de déclencher une nouvelle
crise dans la zone euro et de créer un conflit dommageable avec la France,
alors même que les relations entre Paris et Berlin ont été durement affectées
par le refus de l'Allemagne de soutenir la résolution de l'ONU sur la Libye. »
Mais la candidature de Draghi est ouvertement contrée par des sections
de la droite allemande qui ont critiqué les pays méditerranéens au sujet de
leur dette. Le journal de droite Bild a écrit que «Inflation et
Italiens » vont de pair « au même titre que sauce tomate et
spaghetti. »
Un autre sujet du
sommet était les intérêts grandissants des entreprises françaises pour l'économie
italienne. Le jour du sommet, l'entreprise française de produits laitiers
Lactalis a lancé une offre publique d'achat (OPA) de 3,4 milliards d'euros sur
le géant italien de l'alimentaire Parmalat qui rencontre des difficultés
financières. Lactalis a déjà 29 pour cent de participation chez Parmalat et
espère obtenir le reste des 71 pour cent de Parmalat, devenant ainsi le leader
mondial du secteur laitier.
S'exprimant lors de la
conférence de presse après le sommet, Berlusconi a dit qu'il espérait que les
entreprises italiennes parviendraient à un accord avec Lactalis. Il a dit,
« Je ne considère pas que ce soit une OPA hostile. »
La politique d'OPA des
entreprises françaises a provoqué la crainte en Italie que les entreprises
françaises ne prennent une position de commande dans des secteurs stratégiques
de l'économie italienne. Le groupe français de produits de luxe, LVMH a
récemment acheté l'entreprise italienne de joaillerie Bulgari. Il semblerait
aussi qu'Electricité de France (EDF) s'apprête à prendre une participation
majoritaire chez le producteur d'électricité italien Edison.