Suite à la crise financière mondiale, les partis des Verts
ont connu des succès électoraux dans un certain nombre de pays. En Australie et
en Suède, ils jouent le rôle de pivot entre les partis conservateurs et les
partis sociaux-démocrates, étant en mesure de décider de la formation du
gouvernement.
Une fois de plus les Verts voient aussi leur soutien
augmenter en Allemagne où, entre 1998 et 2005, le parti avait partagé le
pouvoir de la coalition gouvernementale et s’était totalement discrédité
en soutenant les mesures d’austérité à l’intérieur du pays et le
militarisme à l’extérieur.
Selon un sondage Forsa publié mercredi, les Verts
allemands ont pour la première fois depuis leur fondation le même niveau de
soutien que le Parti social-démocrate (SPD). Selon ce sondage, si des élections
avaient lieu dimanche, 24 pour cent de l’électorat voterait pour les
Verts et autant voteraient pour le SPD.
De tels niveaux de soutien signifient qu’une
coalition des deux partis jouirait d’une confortable majorité au
parlement allemand. Avec le parti La Gauche (Die Linke), atteignant 10 pour
cent, les trois partis nommément de centre-gauche ont une avance de 24 pour
cent par rapport à l’actuelle coalition gouvernementale. Depuis les
élections de l’année dernière, le soutien pour les chrétiens démocrates a
chuté de 34 à 29 pour cent et celui des démocrates libéraux de 15 à 5 pour
cent.
Les sondages ne sont pas des résultats électoraux et
d’autres sondages ont présenté d’autres chiffres. Néanmoins, il est
évident que les Verts connaissent un renouveau de soutien électoral.
Dans deux Länder allemands où des élections sont prévues
l’année prochaine – le Bade-Wurtemberg et Berlin – les Verts
devancent largement le SPD dans les sondages. Ils pourraient être le parti
majoritaire dans une coalition avec le SPD et choisir le ministre-président. Le
nombre de leurs adhérents est également en augmentation et dépasse pour la
première fois depuis 1998 le chiffre des 50.000.
Qu’est-ce qui se cache derrière l’essor des
Verts ?
C’est le résultat d’un processus de
fermentation au sein de la classe moyenne. Durant les décennies qui ont suivi
la Deuxième guerre mondiale, c’était cette couche sociale qui avait
assuré la stabilité sociale et formé l’épine dorsale des partis
communément appelés en Allemagne « partis populaires » – les
Sociaux-démocrates et les Chrétiens-démocrates.
A présent, nombreux sont ceux au sein des classes moyennes
à être affectés par les coupes et les licenciements du fait du réajustement
budgétaire. D’autres ont été contraints d’occuper des emplois
précaires et mal payés.
Les milliards d’euros débloqués par le gouvernement
pour sauver les banques et pour couvrir leurs pertes spéculatives ont mis en
colère ces couches de la classe moyenne et les ont aliénées des partis plus
anciens et traditionnels. Un grief supplémentaire est la fatuité des
politiciens qui a poussé des dizaines de milliers dans la rue à Stuttgart par
exemple contre la construction d’une nouvelle gare ferroviaire. Un autre
grief est la capitulation du gouvernement devant le lobby nucléaire dans le
pays qui a redonné vie au mouvement antinucléaire.
Seuls les Verts ont tiré profit de la perte de soutien des
partis de la coalition dirigeante. Des études ont confirmé que la croissance du
parti est en grande partie due au soutien venant de la classe moyenne. Ses
nouveaux membres sont titulaires d’un diplôme universitaire, ils ont en
moyenne 38 ans et ont des enfants. Les bastions des Verts sont des villes avec
une forte proportion d’universitaires. C’est là que le parti a été
en mesure d’accroître sensiblement son soutien, y compris dans des
quartiers plus nantis.
Pour ce qui est du SPD, il stagne au bas niveau de ses
résultats aux élections de 2009. Les travailleurs et les personnes socialement
défavorisées, principaux partisans d’antan du SPD, associent en grande
partie le parti aux lois antisociales Hartz IV, aux coupes des programmes
sociaux et à l’insécurité économique. Ils délaissent les urnes.
La Gauche, qui est de plus en plus indiscernable du SPD,
n’a pas été capable d’augmenter son niveau de soutien au-delà de 10
pour cent.
L’afflux de sections de la classe moyenne vers les
Verts repose sur des illusions. Les Verts transmettent l’idée d’un
mode de vie alternatif mais leur politique n’est pas différente de celle
des autres partis bourgeois. Ils font en sorte que le mécontentement et
l’opposition sociale au sein de la classe moyenne soient déviés vers des
canaux inoffensifs.
L’ironie de tout cela réside dans le fait que lors
des élections les Verts profitent de leur éclectisme et de leur manque de
principes. Ceci leur confère la capacité à dire tout et son contraire.
Le parti se dépeint comme une organisation pacifique —
mais soutient la guerre en Afghanistan et la transformation de l’armée
allemande (Bundeswehr) en une armée de métier.
Le parti se plaint du démantèlement de l’Etat
providence et du déclin de l’infrastructure et de l’éducation
– mais soutient une politique d’austérité fiscale.
Il entretient d’étroites relations avec les grands
groupes d’énergie – mais affirme s'opposer à eux.
Suite à ces positions droitières, les médias ne doutent plus
de la fiabilité politique des Verts et les qualifient régulièrement de parti
bourgeois du centre.
Le parti affiche une attitude tout aussi opportuniste en
ce qui concerne le choix de ses partenaires que sa politique. En 1998, il avait
salué Rouge-Verts (la coalition avec le SPD) comme étant le projet du siècle
– pour ensuite introduire des réductions d’impôts pour les riches,
des coupes sociales pour les nécessiteux et des missions de combat pour
l’armée allemande. A présent, il est prêt à former des coalitions avec
les chrétiens-démocrates et les démocrates libéraux, même si cela signifie
– comme c’est déjà le cas à Hambourg et en Sarre – être
obligé de laisser tomber les principaux points écologiques de son programme.
Sitôt le parti des Verts au pouvoir dans un Land plus
important ou au niveau fédéral, il verra à nouveau inévitablement sa popularité
décliner. Il ne sera plus en mesure de dissimuler sa politique droitière et
néolibérale derrière un beau discours. C’est ce qui s’est passé il
y a 12 ans après l’entrée du parti dans le gouvernement fédéral. A
l’époque, les Verts avaient perdu un cinquième de leurs adhérents et ont
finalement perdu le pouvoir non seulement au niveau fédéral mais aussi au
niveau de chaque Land.
Toujours est-il qu’il serait faux de sous-estimer
les dangers associés à un retour des Verts. Des illusions déçues et des
promesses électorales non tenues entraînent une déception facilement
exploitable par des courants d’extrême droite, comme l’a montré le
cas de Thilo Sarrazin, et qui est délibérément promu par certaines couches de
l’élite dirigeante.
Les Verts considèrent comme leur tâche principale
d’empêcher que l’indignation régnant au sein de sections de la
classe moyenne ne fasse liaison avec un grand mouvement social de la classe
ouvrière. Le parti cherche à dominer les actuels mouvements de protestation
tout en leur retirant tout contenu social et politique en général. Face aux
tensions sociales grandissantes, les Verts s’efforcent de restaurer la
confiance dans le gouvernement et dans l’Etat. Au cas où l’actuelle
crise du gouvernement allemand s’intensifierait, les Verts sont prêts à
poursuivre la politique de la chancelière chrétienne démocrate Angela Merkel,
dans une coalition soit avec les Chrétiens-démocrates soit avec le SPD.
La crise de la société capitaliste a atteint un stade où
aucun problème social ne peut être résolu sans briser le pouvoir des banques et
des principaux grands groupes et réorganiser la société sur la base d’une
perspective socialiste. C’est précisément cela que les Verts rejettent
avec véhémence.