Le 15 septembre,
l'Assemblée nationale française a adopté une
réforme impopulaire des retraites, qui prévoit entre
autres de faire passer l'âge minimum de la retraite de 60 à
62 ans et celui pour une retraite à taux plein de 65 à
67 ans. Le projet de loi a été adopté à
la majorité de 329 voix pour et 233 contre. Il devrait entrer
en application en octobre.
Ce vote sur la réforme
des retraites est intervenu après que plus de 2,5 millions de
travailleurs et de jeunes ont défilé, et avec un
nombre équivalent de grévistes, au cours de la journée
d'action nationale du 7 septembre organisée par les
syndicats.
Le jour du vote au
Parlement, des centaines de travailleurs et de militants
syndicalistes s'étaient rassemblés à la place
de la concorde – en face de l'Assemblée nationale, de
l'autre côté de la Seine – pour protester contre
ce projet. Les syndicats ont appelé à une autre
journée d'action le 23 septembre, après les votes,
pour protester contre la réforme.
Le
gouvernement n'est en mesure d'imposer ces coupes, malgré
l'opposition populaire de masse, que parce qu'il n'y a aucune
tentative de rassembler la classe ouvrière dans une lutte
politique contre ce gouvernement. En se présentant comme des
opposants de la réforme, les syndicats et les soi-disant
partis de gauche tels le Nouveau parti anticapitaliste (NPA)
trompent la classe ouvrière avec cynisme. En fait, ils
contribuent à faire passer ces coupes en dirigeant la
résistance des travailleurs à cette politique
d'austérité vers des journées d'action qui
regroupent beaucoup de monde, mais qui
sont impuissantes.
En fait, les syndicats
sont favorables aux réductions, et les partis de la
pseudo-gauche petite-bourgeoise soutiennent les syndicats. C'est la
conclusion politique qu'il faut tirer non seulement des journées
d'actions répétées qui ne sont pas parvenues à
empêcher les coupes sociales en France, mais aussi des
déclarations de ces organisations elles-mêmes.
En
juillet, l'éditorialiste du Monde
Michel Noblecourt a cité Bernard Thibault, secrétaire
général de la CGT (Confédération
générale du travail, proche du Parti communiste). Il a
noté que Thibault « refuse
toutefois de réclamer le retrait du projet de réforme,
estimant qu'il faut "des mesures" pour assurer l'équilibre
financier des régimes, "Je refuse qu'on s'inscrive dans
une stratégie du tout ou rien, affirme-t-il. Parler de grève
générale, c'est une stupidité." »
Les
bureaucrates comme Thibault acceptent complètement les
présupposés capitalistes du gouvernement. Thibault
veut que le coût du financement des déficits publics
soit supporté par la classe ouvrière, sous la forme de
coupes sociales qui vont réduire le coût du travail et
renforcer la position de la bourgeoisie française sur les
marchés internationaux. Cela n'implique qu'une seule
question : pourquoi les syndicats
appellent-ils à des grèves contre des mesures qu'ils
soutiennent ?
Les
représentants de l'Etat au plus niveau —
qui négocient les coupes sociales avec les syndicats —
considèrent les grèves d'un jour comme indispensables
pour faire passer les réformes, en donnant l'impression que
l'opposition populaire a été prise en compte. Sur
France 2, le Premier ministre François Fillon a déclaré,
« A chaque réforme précédente il y a eu
des contestations, il y a eu des manifestations [...] Et finalement
chaque réforme précédente est intégrée
dans l'héritage social de notre pays [...] »
Dans un
entretien du 11 septembre accordé au Monde,
Jean-Marie Pernot de l'Institut des études politiques
(Sciences-Po) a ouvertement décrit ces manifestations comme
« un moment du processus de
production de la réforme. »
Notant qu'une action de grève déterminée
pouvait bloquer l'économie française et empêcher
les coupes de l'Etat, Pernot a ajouté, « Raymond
Soubie [conseiller du président sur les questions sociales]
est plus attentif aux grèves qu'aux manifestations. »
Cependant,
Pernot a également dit que « les
syndicats français semblent ne pas ou ne plus disposer »
de la capacité de déclencher des grèves. En soi
ce n'est pas exact, les syndicats conservent l'autorité
légale d'appeler à une grève :
l'inactivité des syndicats tient à une raison
politique, pas à une raison légale. Les syndicats
n'appellent pas à des grèves de grande ampleur parce
qu'elles viseraient des coupes sociales auxquelles les directions
syndicales sont favorables.
C'est ce que l'on a déjà
pu constater en Grèce. L'année dernière, le
gouvernement du PASOK social-démocrate de George Papandréou
a été élu sur de fausses promesses qu'il ferait
passer un programme social de 3 milliards d'euros pour améliorer
le niveau de vie des travailleurs. Peu après avoir pris le
pouvoir, il a réduit drastiquement les dépenses
sociales, réduit les salaires du secteur public et augmenté
l'âge de la retraite. La baisse estimée du pouvoir
d'achat des travailleurs grecs est de 30 pour cent.
Les syndicats contrôlés
par le PASOK, la GSEE et l'ADEDY ont travaillé main dans la
main avec celui-ci pour désorienter la classe ouvrière,
parvenant à faire passer des réductions draconiennes
des salaires et des dépenses sociales. Ils ont appelé
à de nombreuses journées d'actions, tout en négociant
les coupes avec Papandreou. Pourtant, quand une grève
indépendante des camionneurs grecs a menacé de bloquer
toute l'économie grecque et de remettre les coupes de
Papandreou en question, la bureaucratie syndicale a soutenu le
recours à l'armée par Papandreou pour y mettre fin.
Les syndicats n'ont pas
appelé à la grève parce qu'ils s'opposaient à
ces coupes, mais pour masquer leur collaboration avec l'Etat et
l'oligarchie financière contre la classe ouvrière. La
réduction actuelle des retraites fait partie d'une attaque
générale contre le niveau de vie des travailleurs par
la classe dirigeante européenne, les banques et les marchés
financiers menaçant de cesser de prêter de l'argent à
divers gouvernements nationaux européens.
Le gouvernement français
s'est largement exprimé dans la presse financière sur
ses craintes de ce que les agences de notations des crédits
pourraient retirer la note maximale AAA à la France, si elle
ne réduisait pas ses dépenses. Il prévoit de
les réduire de 100 millions d'euros, pour faire passer le
déficit français de 8 pour cent aux 3 pour cent
réglementaires dans la Zone euro en 2013. Combiné avec
d'autres coupes prévues dans les retraites , le gouvernement
a fait remarquer que l'augmentation de l'âge de la retraite
lui permettra d'économiser 19 milliards d'euros d'ici 2018.
Ces
coupes sont planifiées dans le contexte d'un scandale
financier qui déstabilise le gouvernement Sarkozy. Celui-ci
et son ministre du travail Éric Woerth – qui est chargé
de la réforme des retraites – auraient obtenu des fonds
de campagne illégaux de la part de la femme la plus riche de
France, Liliane Bettencourt, qui a reçu 100 millions d'euros
grâce au « bouclier
fiscal » de Sarkozy conçu
spécifiquement pour les riches.
Il y a
des signes croissants d'opposition populaire envers les syndicats.
En France, un sondage a établi qu'après la
manifestation du 7 septembre, 62 pour cent de la population pensait
qu'il « fallait des suites »
avec plus de journées d'action. Dans un autre sondage
cependant, 63 pour cent ont dit qu'ils ne croyaient pas que des
manifestations d'un jour pouvaient avoir un effet sur les réductions
des retraites – une position qui s'appuie sur des expériences
amères concernant de nombreuses coupes sociales que Sarkozy a
fait passer après quelques journées de protestations.
Dans
des conditions où la classe ouvrière est objectivement
en confrontation avec les syndicats, les partis de la pseudo-gauche
comme le NPA jouent un rôle indispensable dans la
désorientation de la population. Ils présentent les
manifestations contrôlées par les syndicats comme une
lutte sociale réelle. Cela, cependant, est une tentative de
sauver la crédibilité de l'establishment
politique et ainsi de bloquer un mouvement des travailleurs contre
les intérêts de l'oligarchie qu'ils défendent.
Le NPA
travaille en étroite collaboration avec les partis bourgeois
« de gauche »
de l'establishment
– le Parti socialiste (PS) et ses alliés satellites
comme le Parti communiste (PCF) et les Verts. Il insiste sur l'idée
que l'unité de toute la gauche derrière les journées
d'action des syndicats est vitale pour lutter contre les coupes.
À
l'université d'été du NPA en août, le
porte-parole du NPA, Olivier Besancenot a déclaré,
« la crise sociale peut se
transformer en crise politique puis en crise de régime . Mais
ce ne sera possible qu'à une condition, c'est que dans le
camp de la gauche, on ne tremble pas. Il faut tenir bon pour
réclamer, non pas la réécriture du projet de
loi, mais son retrait »puis il a appelé
à une « Grève
générale faisant partie d'un mouvement d'ensemble ».
L'appel
de Besancenot à une « grève
générale » est
trompeur et artificiel. Il ne propose pas un mouvement des
travailleurs, qui soit indépendant, contre les mesures
d'austérité de l'establishment
politique, mais un mouvement sous le contrôle des syndicats en
conjonction avec les partis « de
gauche » bourgeois. Sur LCI-RTL
télévision, Besancenot a expliqué, en parlant
du PS, « On peut additionner
nos forces, pas nos programmes ».
Si cela
réussissait, le résultat inévitable
d'un tel mouvement serait un retour au pouvoir du PS sur un
programme d'austérité à la Papandreou –
c'est-à-dire, la continuation, dans la situation de la crise
économique actuelle, de la politique d'austérité
impopulaire et des privatisations menées sous le Président
François Mitterrand puis sous le Premier ministre Lionel
Jospin, tous deux du PS.
Bien que cela ait été
admis ouvertement par des responsables du PS au début de
l'année, ils changement actuellement leur position pour
faciliter leur collaboration avec le NPA et le PCF. Ils affirment
maintenant qu'ils sont favorables au retour à 60 ans de l'âge
de la retraite, tout en interrompant temporairement le débat
interne de leur parti sur les autres mesures politiques à
adopter.
Des
responsables « de gauche »
qui ont adopté ce genre de positions admettent qu'en fait, le
PS est toujours favorable à l'austérité
sociale. Jean-Luc Mélenchon, ex-PS maintenant allié au
PCF, a expliqué, « Je
vais vous répondre aussi hypocritement que je peux le faire,
nous avons décidé de faire semblant de croire qu'ils
sont d'accord avec nous et nous sommes parfaitement conscients du
fait que ce n'est pas le cas. »
La
condition préalable à une lutte réelle contre
ces mesures d'austérité est le développement
indépendant des luttes de la classe ouvrière, en
opposition aux syndicats et à l'establishment
politique. La condition préalable à une telle lutte
est de discréditer totalement les conceptions de
collaboration de classe des syndicats et des autres partis
petits-bourgeois.