Plus de deux millions de travailleurs et de jeunes ont manifesté dans 220
villes de France mardi contre les coupes sur les retraites imposées par le
président Nicolas Sarkozy. Parallèlement aux manifestations et
rassemblements, plus de deux millions de travailleurs du secteur public ont
fait une grève de 24 heures et ont été rejoints par de nombreux travailleurs
du secteur privé.
Cette journée d'action massive, à l'appel des fédérations syndicales
faisait suite aux manifestations qui se sont tenues samedi contre les
expulsions de masse de Roms perpétrées par Sarkozy et associées à des
propositions sécuritaires, qui ont mobilisé plus de 100 000 personnes dans
tout le pays.
Les manifestations de mardi étaient les plus importantes jusqu'ici contre
les « réformes » de Sarkozy sur les retraites, dépassant de 40 pour cent la
précédente mobilisation record de juin dernier, selon les estimations de la
police et des organisateurs. La journée d'action était prévue ce jour-là
pour coïncider avec l'ouverture des débats au parlement sur le projet de loi
sur les retraites.
La manifestation parisienne
Selon les chiffres des syndicats, 270 000 personnes ont défilé à Paris,
soit deux fois plus qu'en juin dernier. A Marseille, 200 000 personnes sont
descendues dans la rue, tandis qu'à Rennes 48 000 travailleurs se sont
mobilisés. Toulouse a vu 110 000 personnes défiler et Lyon 35 000, tandis
qu'à Bordeaux on en a dénombré 100 000.
La principale fédération syndicale enseignante, la FSU, a estimé que 60
pour cent des enseignants du primaire et 55 pour cent du secondaire, soit
près d'un demi million, étaient en grève. Plus de 25 pour cent des
fonctionnaires et plus de la moitié des cheminots, 22 pour cent des
travailleurs de la RATP ( métro et bus parisiens), jusque 40 pour cent des
travailleurs de la poste et 38 pour cent des 100 000 travailleurs de France
Telecom étaient en grève.
Des étudiants à Paris
Plus de 21 pour cent des travailleurs on fait grève à EDF (Electricité de
France), ce qui a fait perdre 8 000 megawatts à l'entreprise. Les transports
en commun étaient paralysés en région parisienne ce qui a provoqué 152 kms
de bouchons.
L'Autorité de l'aviation civile a annulé 25 pour cent des vols en région
parisienne. Les six raffineries de pétrole publiques françaises ont
travaillé au ralenti. Parmi les banques et le secteur privé de l'industrie
touchés par la grève, on compte Rhodia, Renault et Peugeot-Citroën,
Saint-Gobain, Alcatel, Airbus et la compagnie pétrolière Total.
Les sondages d'opinion ont montré que 73 pour cent de la population
française soutenait la journée d'action.
La mobilisation de masse montre de façon encore plus manifeste la
contradiction entre la détermination et la volonté de lutter de la classe
ouvrière et la lâcheté et la traîtrise des fédérations syndicales. Cette
journée d'action avait été appelée par la CGT (Confédération générale du
travail, liée aux staliniens) et la CFDT (Confédération française
démocratique du travail, liée au Parti socialiste.) Elle était soutenue par
le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et le Nouveau parti
anticapitaliste, ainsi que d'autres organisations soi-disant « d'extrême-gauche. »
Pompiers à la manifestation de Nice
Les syndicats français appellent régulièrement à des grèves et des
manifestations de 24 heures dans le but de miner la combativité des
travailleurs et de ronger leur résistance tandis que les dirigeants
syndicaux négocient les termes de leur capitulation avec Sarkozy. On voit
bien que les syndicats préparent une trahison de plus, à leur insistance
pour que l'action de protestation se limite à une journée (certains
cheminots pensaient reconduire leur grève) et à leur appel à de nouveaux
pourparlers avec le gouvernement.
Les syndicats colportent l'illusion que les attaques contre les
retraites, dont l'allongement de deux ans de l'âge de départ à la retraite,
et les autres attaques sociales peuvent être stoppées en faisant pression
sur le parlement, alors même que Sarkozy dispose d'une nette majorité pour
faire passer la législation de la « réforme. » Dans le même temps, les
syndicats cherchent à canaliser la colère de la classe ouvrière derrière les
aspirations électorales du Parti socialiste pour 2012.
Les syndicats sont confrontés au scepticisme croissant des travailleurs.
Selon des sondages d'opinion, 65 pour cent des personnes interrogées ont dit
penser que ces protestations n'auraient aucun impact sur la politique du
gouvernement et 48 pour cent que « la gauche ( le Parti socialiste]
n'abrogeraient aucune des réformes de Sarkozy» si elle gagnait la
présidentielle en 2012.
Défiant les recommandations des syndicats, les cheminots de Picardie ont
reconduit la grève mercredi. Bernard Thibault de la CGT et François Chérèque
de la CFDT avaient tous deux dit clairement qu'il fallait arrêter la
mobilisation après la journée d'action jusqu'à ce que l'on obtienne une
réaction du gouvernement. Et ce malgré l'affirmation de Sarkozy le lendemain
de la mobilisation que le gouvernement ne reviendrait pas sur l'allongement
de 60 à 62 ans de l'âge légal du départ à la retraite.
Après l'annonce par Sarkozy mercredi qu'il n'y aurait pas de changement
significatif au projet de loi sur les retraites, les syndicats ont appelé à
une nouvelle journée d'action le 23 septembre.
Lundi, le conseiller spécial du président, Henri Guaino avait invité les
syndicats à des négociations sur certains aspects mineurs de la « réforme »
des retraites. La réaction de Thibault avait été de déclarer que le
gouvernement « changeait de ton. »
Chérèque, interviewé sur France 2 mardi, a enjoint le gouvernement à
proposer rapidement des concessions avant la réunion des dirigeants
syndicaux mercredi après-midi, cherchant de toute évidence un prétexte pour
clore le mouvement de protestation. Refusant de s'engager à une reconduction
de la journée d'action, il a catégoriquement exclu une grève illimitée, tout
comme Thibault, et a suggéré qu'une manifestation un samedi ou un dimanche
pourrait convenir.
Il est significatif que les syndicats et le Parti socialiste tout comme
le Parti communiste se sont retenus de toute attaque contre le principal
responsable au gouvernement de la législation sur les retraites, Eric Woerth
qui est englué dans des affaires, suite à des allégations l'accusant d'avoir
obtenu des financements politiques illégaux pour le parti au pouvoir, l'UMP
(Union pour un mouvement populaire) et pour Sarkozy lui-même, en échange de
millions d'euros d'abattements fiscaux en faveur de l'héritière milliardaire
Lilliane Bettencourt. Woerth a félicité les syndicats pour leur
« élégance. »
Une jeune femme défilant à Paris contre les attaques de Sarkozy contre
les retraites a dit au World Socialist Web Site, «Les syndicats ne vont pas
suivre le peuple, qui veulent continuer à lutter. Je ne pense pas qu'il y
aura une grève générale. je ne pense pas que les syndicats vont l'organiser,
parce que les syndicats sont des traîtres. L'année dernière, déjà, il y a eu
tellement de grèves dans les usines et dans le monde du travail etc...mais
elles n'ont pas été coordonnées. Moi, je n'attends rien des syndicats. Je
n'attends rien non plus des partis politiques. L'extrême gauche est un peu
inexistante.
« Il y a aussi un danger comme les années 1930 avec la montée du
racisme et les partis de l'extrême droite, qui sont de plus en plus
médiatisés. C'est un retour en arrière. »
A Amiens, le WSWS a interviewé Julien, professeur en lycée professionnel
et son amie Céline qui travaille dans un centre culturel.
Céline a dit, « Là j'ai un CDD de 6 mois. J'ai 28 ans et depuis dix ans
je n'ai eu que des emplois à courte durée et à temps partiel. » Ils ont
parlé de leurs parents qui seraient obligés de « travailler jusqu'à se
rompre les os car ils ont trois enfants qui n'ont pas de travail. »
Julien a dit, «il y a plein de jeunes diplômés qui n'ont pas de travail
et des collègues en fin de carrière qui sont en décalage avec les jeunes
générations. » Il a dit qu'ils devraient pouvoir prendre leur retraite à
taux plein et laisser ainsi la place aux jeunes.
Julien a dit voir la persécution des Roms par le gouvernement et ses
mesures anti-immigrés comme une extension logique de sa politique sociale.
Il voit la campagne de Sarkozy contre les droits des immigrés comme «une
brèche » dans les droits démocratiques fondamentaux et une dérive vers
Berlusconi. « Sarkozy n'est pas proprement facho mais ce n'est pas
rassurant, » a-t-il dit.
Sullivan, qui travaille sur une machine depuis plus de neuf ans à l'usine
Dunlop d'Amiens a parlé des conditions insalubres, de l'air pollué par la
poussière et du travail lourd et physiquement épuisant à l'usine. Il était
particulièrement amer au sujet de l'accord passé entre Dunlop et la CGT et
qui intensifie fortement les rythmes de travail. « La CGT nous a trahis,
a-t-il dit. « Depuis 10 ans les syndicats n'ont pu gagner aucune lutte. Je
pense que le Parti socialiste ferait la même chose en considérant ce qu'il a
déjà fait au pouvoir. Il ne travaille que pour les riches. »