Ces dernières semaines, les autorités françaises ont
mis en garde contre un risque majeur d’attaque terroriste qui serait
préparée en France par al-Qaïda au Maghreb islamique.
L’AQMI a dernièrement revendiqué la responsabilité
de l’enlèvement de sept travailleurs d’entreprises minières
françaises au Niger.
Le 16 septembre, cinq ressortissants français, un
Malgalche et un Togolais ont été enlevés dans la région d’Arlit, dans le
Nord nigérien. Tous travaillaient pour les sociétés françaises nationalisées
Areva et Satom, qui exploitent des mines d’uranium au Niger. Quelques
jours plus tard, AQMIrevendiquait
la responsabilité de cet enlèvement dans un message diffusé par la chaîne de
télévision Al-Jazeera. Il y a lieu de penser qu’AQMI
détient les otages dans le désert au Nord du Mali.
Paris a dit que les otages seraient en vie et que tous les
efforts étaient entrepris pour les libérer, y compris d’éventuelles
négociations avec AQMI. Le 23 septembre, le ministre
français de la Défense, Hervé Morin, a dit au micro de RTL, « Pour
l’instant, notre souci c’est d’entrer en contact avec Al-Qaïda,
d’avoir des revendications que nous n’avons pas. Ce que nous
souhaitons, c’est qu’al-Qaïda puisse, à un
moment ou à un autre, nous mettre au moins des revendications sur la
table. »
La semaine passée, la France a déployé quelque 80 membres
des forces spéciales et d’avions militaires à Niamey, la capitale du
Niger, et y a installé une base opérationnelle pour retrouver les otages. Pour
la première fois, le Niger a permis à la France d’utiliser son territoire
et son espace aérien pour des opérations de recherche d’otages. Selon Le
Monde, celles-ci comprennent des vols de reconnaissance dans le Tchad
voisin ainsi que des commandos français opérant à partir de la Mauritanie.
Ces opérations intensifient l’intervention de
l’impérialisme français et de ses forces mandataires dans la région. Le
19 septembre, deux femmes maliennes ont été tuées lors d’un raid aérien
mauritanien mené près de Tombouctou contre l’AQMI.
Un ancien ministre malien a dit au journal Le Monde,
« Aujourd’hui notre pays est le théâtre d’une guerre entre
forces étrangères. »
Le gouvernement et les médias ont saisi l'opportunité de
cet événement pour changer le climat politique en France au moyen
d’avertissements répétés d’attaques terroristes. La menace d’AQMI a fourni ces dernières semaines de nombreux gros titres aux
principaux journaux français.
Le gouvernement a décrété un niveau d’alerte
terroriste « rouge », le deuxième plus haut niveau d’alerte.
Les autorités affirment qu’une femme candidate à un attentat suicide et
qui a été qualifiée de « femme kamikaze » pourrait être en train de
préparer une attaque dans les transports parisiens. Des soldats ont été
mobilisés dans les principaux quartiers de Paris, dont la Tour Eiffel et les
grandes gares.
Par la suite, Frédéric Péchenard, directeur général de la
police, a réfuté les articles sur la « femme kamikaze ». Il a déclaré
à Libération, « C’est une information que nous avons eue,
mais qui, aujourd’hui, sans rentrer dans les détails opérationnels,
paraît peu crédible. »
Dans une interview accordée le 12 septembre au Journal
du Dimanche, le chef du contre-espionnage et de l’antiterrorisme,
Bernard Squarcini, a déclaré que « [L]a menace n’a jamais été aussi
grande », qu’elle est au même niveau
qu’en 1995 lorsque les terroristes islamistes algériens avaient fait
exploser une bombe dans les transports publics parisiens.
En répétant cet avertissement, le ministre français de
l’Intérieur, Brice Hortefeux, a dit, « Un faisceau d’indices
datant de ces derniers jours et de ces dernières heures démontre
que la menace terroriste est à un niveau élevé. » Il a ajouté, « Face
à cette menace terroriste, la vigilance est renforcée. Ce qui explique que nous
soyons toujours en plan Vigipirate rouge, mais plan Vigipirate rouge
renforcé. »
Les adversaires politiques de Sarkozy ont critiqué la
manière dont les avertissements concernant le terrorisme ont été émis.
L’ancien premier ministre Dominique de Villepin a dit, « Ce qui est
important c’est de prendre des mesures, d’agir, je crois que ça ne
sert à rien de créer la panique un peu partout dans notre pays. » Il a
précisé que la politique de communication du gouvernement était
« maladroite et parfois même cynique. »
Ces avertissements concernant des menaces terroristes ont
lieu au moment où le gouvernement Sarkozy est confronté à un mécontentement
grandissant au sein de la classe ouvrière. Les mesures antidémocratiques du
gouvernement, telles l’interdiction du port de la burqa,
les déportations de masse des Roms et la participation à l’occupation de
l’OTAN en Afghanistan, sont profondément impopulaires. Il en est de même
de sa politique sociale, notamment les projets de coupes massives dans les
retraites.
Le 25 septembre, Le Monde discutait les espoirs que
l’intervention africaine pourrait bien supprimer l’opposition à
l’encontre des réductions des retraites en écrivant que
l’enlèvement par al-Qaïda des ressortissants
français au Niger pourrait bien « susciter un réflexe d’union
sacrée ».
L’« union sacrée » était l’accord
par lequel les partis politiques, dont les partis sociaux-démocrates,
s’étaient unis pour supprimer les grèves et les luttes de classes en
France durant la Première Guerre mondiale. Dans le
contexte actuel, c’est une référence sans équivoque aux espoirs au sein
de la classe dirigeante que la crainte d’attaques terroristes minera
l’opposition de la classe ouvrière contre les coupes sociales.
Compte tenu de l’intérêt de la classe dirigeante à
stimuler un sentiment de panique engendré par la « guerre contre le
terrorisme », l’apparition d’articles selon lesquels des
éléments de l’Etat français étaient au courant des projets
d’enlèvement – et avaient laissé faire – sont d’une
importance politique considérable. Ces articles soulèvent la possibilité
d’une campagne délibérée de la part d’éléments de l’Etat français
ou de l’appareil sécuritaire de créer la panique sur la question de
terroristes et d’empoisonner l’opinion publique.
Les autorités locales dans la région d’Arlit avaient
mis en garde Areva il y a une quinzaine de jours contre l’enlèvement. Le
Monde a publié une lettre d’avertissement envoyée par les autorités
nigériennes le 1er septembre à Areva, disant que « la
situation » dans la région où se trouvent les mines d’Areva était en
train de se dégrader et ce, particulièrement dans la
région d’Arlit.
La lettre mettait en garde contre l’arrivée la
semaine précédente d’une « colonne de huit Toyota »
transportant un groupe d’hommes armés. Elle poursuivait, « La
riposte des éléments des forces de défense n’a pas permis à ce groupe
armé d’accomplir son dessein qui consiste, selon les renseignements, à
l’enlèvement de matériel militaire et de personnel expatrié », pour conclure en disant, « Vous comprendrez que dans ces
conditions la menace du groupe AQMI est à prendre au
sérieux. »
Toutefois, lors de l’enlèvement qui s'en est suivi,
un vaste groupe d’hommes armés aurait été en mesure d’entrer dans
une région hautement gardée et d’enlever du personnel d’Areva sans
rencontrer la moindre résistance. Areva a publié un communiqué affirmant qu’au
moins cinq voitures et 40 hommes armés avaient été capables d’entrer dans
la ville, sans rencontrer personne.
Gilles Denamur, ancien responsable de la sécurité, qui
avait brièvement travaillé pour Areva en 2007, s’est demandé comment un
groupe de « barbus » a été en mesure d’arriver dans une ville
comme Arlit où les étrangers sont détectés au bout d’une heure, et
d’y rester vraisemblablement pendant 48 heures pour suivre des gens et préparer l’opération.
Jacques Hogard, président de l’EPEE —
une société de conseil en sécurité au service d’Areva et assurant la
coordination avec les autorités nigériennes — a dit
que l’enlèvement a été « une opération quasi militaire ». Il a ajouté, « Les preneurs d’otages ont bénéficié
d’une excellente information au sein du groupe Areva, c’est clair.
On peut même appeler cela une trahison. »
Il faut souligner qu’Areva est une grande société
française contrôlée par l’Etat et opérant dans une région et un secteur
industriel hautement stratégique, l’énergie nucléaire, et disposant
d’étroites relations avec les services de sécurité français. Dans ces
conditions, une allégation faite par des responsables bien placés dans les
services de sécurité et selon laquelle Areva est complice dans cette attaque,
correspond à une allégation que l’Etat français est lui-même complice des
attaques.
Sous la bannière de la lutte contre le terrorisme,
l’impérialisme français entreprend la démarche de réaffirmer par la force
sa présence au Sahel où elle représente l’ancienne puissance coloniale.
En juillet, la France et la Mauritanie avaient effectué un raid contre un camp
d’AQMI dans le nord du Mali en
revendiquant apparemment la libération d’un otage français et en tuant
quelques membres d’AQMI. AQMI a
par la suite affirmé que l’otage français avait été exécuté en représailles
au raid franco-mauritanien.
L’intervention du gouvernement français dans la
région — le déploiement de troupes et d’avions
de combat sans rencontrer de résistance des gouvernements locaux —
souligne le caractère fallacieux de la décolonisation d’après-guerre,
dirigée par des factions de la petite bourgeoisie indigène. Aujourd’hui,
aucun de ces régimes n'est capable ni ne souhaite rassembler les masses dans
leur propre pays ou dans la classe ouvrière française contre
l’intervention impérialiste.
Le Niger est le troisième plus grand producteur
d’uranium du monde et ses réserves d’uranium sont pillées par des
sociétés étrangères. La France, dont 78 pour cent de la production
d’électricité est d’origine nucléaire, est tributaire d’une
part significative d’uranium nigérien. Areva
exploite ces réserves d’uranium depuis 40 ans. La firme exploite les
gisements des mines d’Arlit et d’Akouta qui ont produit plus de
3.000 tonnes en 2008. Areva a investi 1,2 milliards d’euros dans le
gisement d’Imouraren qui devrait produire près de 5.000 tonnes par an sur
une durée de plus de 35 ans.
La classe dirigeante française poursuit une politique
impitoyable au Sahel dans le but de sauvegarder ses intérêts vitaux tout en
négligeant totalement les conditions sociales et économiques désastreuses
auxquelles des millions de gens sont confrontés dans ce pays. La plupart des
pays du Sahel sont confrontés à un niveau extrême de pauvreté. Environ 80 pour
cent de la population nigérienne ou près de 12 millions de personnes sont menacées
de famine et le Niger se situe au dernier rang de l’indice du
développement humain de l’ONU. Plus de 60 pour cent de la population vivent avec moins d’un dollar par
jour.