Les récentes protestations contre la politique nucléaire
du gouvernement allemand et le projet de construction de la nouvelle gare dans
le cadre de Stuttgart 21 sont systématiquement exploitées pour accroître les
chances électorales du Parti des Verts.
Les Verts cherchent à se présenter comme les dirigeants de
ces mouvements de protestation. Dans un communiqué commun visant les
protestations anti nucléaires à Gorleben, le groupe parlementaire des Verts et
la direction nationale ont déclaré : « Nous représentons cette
majorité contre la politique du gouvernement fédéral. » Des dirigeants du
Parti des Verts, tels Claudia Roth, Cem Özdemir, Jürgen Trittin et
d’autres se sont rendus à Gorleben en ne manquant pas une occasion pour
se mettre en scène au milieu des manifestants.
Une grande partie des médias a également rendu compte de
ces protestations d’une manière extrêmement favorable et en soulignant le
rôle joué par les Verts. Dans un communiqué inhabituel, même le syndicat de la
police a rendu le gouvernement responsable des blocages et des conflits
concernant les transports Castor de déchets nucléaires et qui la semaine
dernière ont duré plusieurs jours, plutôt que de rejeter la faute sur les
manifestants eux-mêmes et les Verts, comme elle le fait d’habitude.
Les scores du Parti des Verts ont progressé dans les
sondages suite aux protestations et à la couverture médiatique favorable. Sur
le plan national le parti atteint un score record de 20 pour cent de soutien
et, dans deux des six Länder, où des élections sont à l’ordre du jour
l’année prochaine – Berlin et le Bade-Wurtemberg – les
experts prédisent qu’ils pourraient avoir suffisamment de soutien pour
prendre la tête des gouvernements régionaux.
Cinq ans après l’éclatement de la première coalition
sociale-démocrate (SPD)-Verts (1998-2005) jamais, les Verts sont une fois de
plus apprêtés pour entrer dans un gouvernement. La raison n’est pas
difficile à comprendre. L’élite dirigeante a besoin d’un parti pour
maintenir le contrôle sur une opposition sociale grandissante.
C’était précisément le rôle que les Verts avaient
joué il y a dix ans quand le parti était intervenu pour réduire les
protestations et les blocages annuels contre les transports des déchets
nucléaires à destination de Gorleben. Le ministre Vert de l’Environnement
de l’époque, Jürgen Trittin, avait approuvé un soi-disant
« consensus nucléaire » avec les géants énergétiques qui à long terme
envisageait une sortie du nucléaire tout en garantissant à court terme aux
centrales nucléaires une durée de vie moyenne de 32 ans. Ceci signifie que les
réacteurs nucléaires contestés pourraient tranquillement poursuivre leur
activité – alors que tous les partis savaient parfaitement qu’un
nouveau gouvernement annulerait le « consensus » comme cela s'est
maintenant produit.
Une composante du consensus nucléaire qui avait été
acceptée il y a dix ans était la reprise des transports controversés de déchets
nucléaires vers Gorleben. Le prédécesseur de Trittin au ministère de
l’Environnement, en l’occurrence l’actuelle chancelière
Angela Merkel (CDU), avait arrêté ces transports en 1998 parce que des doses de
radiation alarmantes avaient été détectées dans les conteneurs Castor.
Lorsque des activistes ont protesté contre la reprise des
transports, Trittin a adressé une lettre où il ne mâchait pas ses mots au Parti
des Verts du Land de Basse-Saxe qui était enclin à soutenir les
manifestants : « Si nous voulons rester crédibles alors nous devons
accepter les conséquences de notre politique. Les conditions pour
l’exécution des transports ont été remplies et donc il n’y pas de
raison que les Verts protestent contre ces transports. »
La tâche des Verts au sein du gouvernement fédéral ne se
limitait pas à la répression des protestations anti nucléaires. Malgré une
opposition substantielle au sein du parti, la direction a ouvert la voie aux
déploiements internationaux de l’armée allemande et, avec le SPD, a
approuvé le programme antisocial de l’Agenda 2010 – qui a abouti à
la destruction la plus drastique des acquis sociaux de l’histoire de la
République fédérale.
Les récentes images de Gorleben rappellent fortement
celles des années 1990 avant l’entrée des Verts dans le gouvernement
fédéral. Depuis, toutefois, les conditions politiques et sociales ont
énormément changé. L’Europe se trouve en pleine crise économique, la plus
profonde depuis les années 1930. Partout sur le continent de vastes couches de
la population sont obligées de payer le prix de la crise.
En réaction, de puissantes grèves et des protestations se
sont développées en Grèce, en Espagne et en France. En Allemagne, le
gouvernement a jusque-là réussi à réprimer des mouvements sociaux comparables.
Il le doit surtout aux syndicats qui depuis de nombreuses années pratiquent une
restriction salariale, soutenu la création d’un énorme secteur à bas
salaire et appuyé les mesures d’austérité imposées par le gouvernement
allemand dans l’Union européenne.
Malgré cela, le gouvernement Merkel est en crise. La
raison en est l’éclatement précisément des couches de la classe moyenne
qui formaient la base traditionnelle des partis conservateur et libéral
démocrate allemands. Les récentes protestations à Gorleben et à Stuttgart sont
elles-mêmes une expression de l’éclatement des classes moyennes. Socialement
hétérogènes et politiquement confuses, elles reflètent le mécontentement
largement répandu à l’encontre des grands groupes et des banques et de
leurs hommes de main.
C’est là que les Verts entrent en jeu. Leur rôle est
d’empêcher que les protestations à Stuttgart et à Gorleben ne se
développent en un mouvement social plus vaste. Le principal reproche des
dirigeants des Verts à l’encontre du gouvernement mené par Merkel et
Westerwelle est qu’ils ont « délibérément ravivé un conflit dans la
société allemande qui avait été apaisé. »
Les dirigeants des Verts ont repris à leur compte les
revendications des manifestants tout en rejetant catégoriquement toute
tentative de lier ces revendications à des questions sociales plus générales.
Bien que se sont les mêmes intérêts corporatistes, qui soutiennent à la fois
l’attitude agressive et arrogante du lobby nucléaire et les mesures
d’austérité du gouvernement, les Verts refusent catégoriquement
d’infléchir l’orientation du mouvement de protestation vers un
cours anticapitaliste.
Depuis son départ du gouvernement fédéral, le
parti s’est rapproché du patronat. Selon un sondage effectué par le
journal Handelsblatt auprès de 800 cadres supérieurs, les Verts ont
affiché le meilleur score de tous les partis. Les meilleures notes attribuées
au parti sont venues notamment des patrons de grandes entreprises employant
plus de 5.000 salariés.
Les Verts justifient même leur opposition à la politique
nucléaire du gouvernement en avançant les besoins du patronat. Selon une
déclaration commune du groupe parlementaire des Verts et de la direction
fédérale, le prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires est
« ruineux pour les entreprises d’énergie renouvelable en
Allemagne. »
Les préoccupations véritablement fondées et liées à la
santé et à l’environnement ainsi que la colère contre la duplicité du
gouvernement avec les grands groupes nucléaires, ont conduit des milliers de
personnes à descendre dans les rues pour protester. En ce qui concerne
toutefois les Verts et leurs partisans dans les affaires et les médias ils se
servent cyniquement des protestations pour préparer un gouvernement alternatif
qui ne se différenciera de l’actuelle coalition CDU-FDP qu’en un
seul point : l'application sans heurts et bien plus directe de la volonté et
des exigences du patronat.
Dans la situation d’une crise capitaliste mondiale,
la protection de l’environnement de même que la défense des droits
démocratiques, des acquis sociaux et autres besoins sociaux ne peuvent être
garanties que dans le cadre d’un programme socialiste qui attaque le mal
à la racine du problème : la subordination de l’ensemble de
l’activité économique aux intérêts de profit des banques et des grands
groupes.