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Asie
Les relations sino-japonaises restent tendues
Par John Chan
5 novembre 2010
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Les relations sino-japonaises continuent à se dégrader à la suite d'un
conflit aigu le mois dernier au sujet de l'arrestation d'un capitaine de
chalutier chinois par les autorités japonaises dans les eaux des petites
îles Diaoyu (appelées Senkaku au Japon) en Mer de Chine orientale. Devant la
menace d'une contre-mesure chinoise, le gouvernement japonais a relâché le
capitaine, mais les tensions persistent.
Cette zone autour des îles Diaoyu/Senkaku, actuellement sous contrôle
japonais, dispose d'importantes ressources énergétiques sous-marines. À la
mi-septembre, la Chine avait suspendu les pourparlers prévus avec le Japon
concernant l'exploitation des champs gaziers contestés en Mer de Chine
orientale. Tokyo menaçait de prendre des « contre-mesures » si la Chine
rompait leur accord de 2008 sur un développement conjoint et commençait à
exploiter du gaz seule.
La semaine dernière, Tokyo a prétendu qu'il était « très probable » que
la Chine ait commencé à forer au large du champ gazier de Shiraaba (appelé
Chunxiao en Chine). Les projets japonais d'envoi d'un navire d'étude
sismique dans cette zone pourraient entraîner une nouvelle confrontation
avec la Chine, étant donné que Pékin aurait déployé deux destroyers pour
patrouiller dans le champ de Chunxiao. Cette semaine, Pékin a envoyé des
navires de patrouille dans les eaux environnant les îles Diaoyu/Senkaku et a
annoncé des projets de construction de 36 patrouilleurs d'un tonnage
comparable à celui des navires des gardes-côtes japonais.
Les frictions ont également perduré au sujet des restrictions chinoises
sur les exportations de terres rares, qui sont vitales pour fabriquer divers
produits de haute technologie, notamment en électronique. Au cours du
conflit du mois dernier, la Chine a officieusement bloqué les exportations
des terres rares vers le Japon. La Chine dispose d'un quasi-monopole sur la
production mondiale de terres rares. Par la suite, Pékin a également cessé
les exportations vers les États-Unis et l'Europe conformément à une décision
précédente d'imposer des quotas d'exportations pour conserver ses réserves
de ce matériel.
Une pression de plus en plus importante est faite sur Pékin pour qu'elle
reprenne les exportations. Dimanche dernier, le ministre japonais du
commerce, Akihito Ohata, a demandé à Pékin de reprendre les envois de terres
rares à destination du Japon. Mais le ministre chinois du commerce, Jiang
Yaoping, en visite au Japon, a refusé d'y accéder, déclarant que la Chine
ralentissait ses exportations vers le Japon et d'autres pays dans le cadre
d'actions «anti-contrebande, » mais n'imposait pas d'embargo international.
Grâce à un coût de main d'œuvre très bas, la Chine représente
actuellement 95 pour cent de la production annuelle de terres rares. Si les
États-Unis et l'Europe ont été affectés par les restrictions chinoises,
l'effet sur le Japon est particulièrement sévère étant donné que c'est le
plus gros importateur mondial de terres rares. On estime que les réserves
stratégiques de terres rares du Japon seront épuisées en avril prochain, si
l'embargo chinois continue à s'appliquer. Tokyo cherche des sources
alternatives en Mongolie et au Vietnam.
Hier, d'après le New York Times, la Chine a mis fin à son embargo
de fait et repris les exportations de terres rares, y compris vers le Japon.
Si la pénurie va se résorber à court terme, les problèmes à long terme
persistent. Comme l'explique le journal : « Avec le quota de cette année, -
30 300 tonnes d'envois autorisés – seules quelques centaines de tonnes
restent à exporter. Pendant ce temps, la demande annuelle pour les terres
rares chinoises approche les 50 000 tonnes, d'après les estimations des
professionnels. » Les restrictions actuelles de la Chine ont fait s'envoler
les cours.
Les tensions sous-jacentes sont mises en évidence par la décision du
Premier ministre japonais Naoto Kan d'agrandir l'armée
japonaise. S'exprimant au cours d'une inspection des troupes à Tokyo lundi,
il a justifié sa politique militaire plus active en mentionnant la « menace
» chinoise et la nécessité de renforcer l'alliance américano-japonaise.
Les Principes du programme de défense nationale japonaise pour la période
2011-2015, qui devraient être publiés en décembre, comprendront une
extension de la flotte de sous-marins de 16 à 22 unités, abandonnant la
limite de 20 imposée en 1976. Un autre changement majeur en discussion est
la fin de l'interdiction d'exporter des armes, qui remonte à 1967, et qui
limitait la capacité du pays à s'engager dans les programmes de
développement avec d'autres pays et donc d'avoir accès à des technologies
militaires plus avancées.
La position plus ferme de Kan envers la Chine est encouragée par
Washington, qui cherche activement à réduire l'influence chinoise en Asie et
pousse le Japon et d'autres alliés à faire de même.
Durant une conférence de presse conjointe à Honolulu hier avec le
ministre des affaires étrangères japonais, Seiji Maehara, la secrétaire
d'Etat américaine Hilary Clinton a réaffirmé le soutien des États-Unis au
Japon dans ce conflit avec la Chine. S'exprimant immédiatement après la
reprise des exportations chinoises de terres rares, Clinton a déclaré aux
médias qu'elle espérait « que cela signifiait que le commerce de ces
matières importantes continuera sans entraves ni interférences. »
Interrogée sur le désaccord au sujet des îles Diaoyu/Senkaku, Clinton a
réaffirmé les déclarations américaines précédentes selon lesquelles cette
question entrait dans le cadre des Accords de défense américano-japonais.
Bien qu'elle n'en ait pas détaillé les implications, les remarques de
Clinton signifient clairement que les États-Unis soutiendraient le Japon
dans l'éventualité d'un conflit avec la Chine à propos de ces îles. Le
ministre des affaires étrangères Maehara a dit de l'engagement de Clinton
qu'il est « très encourageant. »
Clinton, qui réalise une tournée asiatique de deux semaines, participera
au Sommet de l'Asie orientale, dans le cadre de la conférence actuelle de
l'ANASE (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) à Hanoi. Lors d'un
précédent sommet de l'ANASE en juillet, Clinton avait délibérément fait
monter les tensions avec la Chine et se rangeant nettement du côté des
membres de l'ANASE au sujet de leurs différents frontaliers avec Pékin en
Mer de Chine du Sud. Elle y avait également déclaré que les États-Unis
avaient un « intérêt national » à garantir « la liberté de navigation » dans
cette mer qui est traversée par des routes commerciales d'une importance
stratégique essentielle entre l'Asie du Nord-Est et le Moyen-Orient.
Les États-Unis ont encouragé l'Inde à collaborer plus étroitement sur les
questions stratégiques avec le Japon, ceci fait partie d'une stratégie plus
large de Washington pour contenir la Chine grâce à une série d'alliances et
de partenariats stratégiques. S'exprimant au sujet du voyage du président
Obama en Inde prévu pour le mois prochain, un officiel américain préférant
garder l'anonymat a déclaré au Financial Times lundi : « Nous voyons
l'Inde comme une puissance d'Asie orientale. L'Inde n'est pas cantonnée au
contexte de ses voisins immédiats. »
Le Japon a signé une déclaration de « coopération de sécurité » avec
l'Inde en 2008, après avoir signé un accord similaire avec l'Australie en
2007. Sans être formellement un accord de défense, cette déclaration est un
document politique, soulignant, par exemple, que « le Japon et l'Inde
partagent des intérêts communs à la sécurité des voies de communication
maritimes » - une référence indirecte à l'expansion navale chinoise.
Une visite de trois jours au Japon par le Premier ministre indien,
Manmohan Singh, cette semaine a souligné les relations croissantes entre les
deux pays. Le commerce chinois avec le Japon ne représente qu'un vingtième
du commerce sino-japonais, mais l'on s'attend à ce qu'il se développe
rapidement. Un Accord de partenariat économique (APE) signé par Kan et Singh
supprimera les taxes douanières pour plus de 90 pour cent des exportations
japonaises en Inde au cours des dix années à venir. Cette année,
l'investissement japonais en Inde a dépassé l'investissement en Chine pour
la première fois. Singh a indiqué que l'Inde pourrait exporter ses terres
rares vers le Japon.
Le Times of India (TOI) a clairement exprimé les intérêts mutuels
en jeu : « l'effort de l'Inde pour cimenter une relation stratégique avec le
Japon ne pouvait pas arriver à un meilleur moment, Tokyo commençant
seulement à comprendre que sa politique chinoise part à vau-l'eau. Comme le
ministre des affaires étrangères Kanwal Sibal l'a déclaré au TOI, c'est le
bon moment pour que l'Inde fasse du Japon un rempart contre l'expansion
chinoise et c'est sur ce terrain que Pékin peut être mis "échec et mat". »
Les frictions continuelles entre la Chine et le Japon ne sont qu'un
élément de la rivalité entre les États-Unis et la Chine qui entraînent toute
la région dans une spirale de confrontations et de conflits.
(Article original paru le 29 octobre 2010)