Un nouveau gouvernement a été formé en France dimanche
dans la soirée après que le président Nicolas Sarkozy a demandé la démission du
gouvernement samedi. Même par rapport au précédent gouvernement conservateur,
la nouvelle équipe ministérielle marque un virage à droite avec l'élimination
de personnalités qui avaient été nommées afin de dissimuler la politique
d'austérité de Sarkozy derrière une façade soi-disant de gauche d'égalité
ethniqueou de rénovation urbaine.
Ce remaniement ministériel est la première action
politique majeure de Sarkozy après qu'il est sorti victorieux de la grève de
plusieurs semaines dans les secteurs portuaire et pétrolier le mois dernier
contre ses coupes dans les retraites qui ont été votées au parlement le 27
octobre. Les grèves étaient très populaires, recueillant un soutien de 65 à 70
pour cent dans les sondages d'opinion, et s'accompagnaient de manifestations de
plus de trois millions de personnes au niveau national. Ce nouveau gouvernement
est le signal donné par Sarkozy qu'après avoir réussi à passer outre
l'opposition populaire, il est déterminé à poursuivre sa politique
anti-ouvrière.
Le premier ministre François Fillon conserve son poste,
malgré des spéculations d'un possible remplacement par l'ancien ministre de
l'Ecologie, de l'Energie et du Développement durable, Jean-Louis Borloo.
Architecte d'une réforme majeure de réduction des retraites du secteur public
en 2003, Fillon est très respecté et considéré dans les cercles patronaux comme
un défenseur infatigable des coupes sociales.
Laurence Parisot, présidente du Medef (Mouvement des
entreprises françaises) a fait l'éloge de Fillon, disant de lui que c'est «un homme d’une grande rigueur, » et a ajouté : « Le gouvernement qui a démissionné hier soir [samedi] a
marqué de son empreinte la vie de notre pays d’une manière positive, a
conduit des réformes majeures qui vont nous aider dans la sortie de crise. »
Ancien maire de Valenciennes, ville industrielle
sinistrée du nord de la France, Borloo s'est façonné une image médiatique
d'homme du compromis social. Il a tenu une série de petits portefeuilles
ministériels associés à l'écologie, à la rénovation urbaine dans des
gouvernements droitiers successifs depuis 2002. Après que le poste de premier
ministre lui a été refusé, il a décidé de ne pas participer au nouveau
gouvernement.
Apparemment Borloo aurait été mis en touche pour avoir
refusé de critiquer publiquement les travailleurs des secteurs portuaire et
pétrolier dont les grèves ont provoqué une pénurie de carburants le mois
dernier. Ces secteurs étaient de son ressort en tant que ministre de l'Energie.
Un ministre qui a préféré garder l'anonymat a dit à L'Express : «Il ne voulait pas s'impliquer car le sujet n'était pas
populaire. Et l'énergie n'a jamais été sa passion. » Un autre ministre a dit à L'Express que Borloo « se planque dès que le vent souffle. »
Le Nouvel Observateur
cite Borloo qui déclare qu'il « incarne les
valeurs de la droite sociale et du centre. »
Marc-Philippe Daubresse, associé politique de Borloo, a dit à Libération
que «Borloo a vocation à faire éclore une
confédération des centres. » Un tel groupe,
qui pourrait bien inclure l'ancien premier ministre Dominique de Villepin,
serait un rassemblement d'hommes politique de droite, pro-patronaux peu disposés
à soutenir publiquement les déclarations xénophobes et la politique d'austérité
de Sarkozy.
L'ancien premier ministre Alain Juppé revient à la
politique au niveau national et remplace Hervé Morin à la Défense. Architecte
d'une réforme majeure de réduction des retraites, qui avait provoqué une grève
de cheminots de plusieurs semaines en 1995, Juppé avait quitté la politique au
niveau national après avoir été déclaré coupable de corruption au plus haut
niveau de l'Etat concernant le financement du parti conservateur RPR
(Rassemblement pour la République) en 2004. Il est néanmoins maire de la ville
de Bordeaux depuis octobre 2006.
Juppé est un associé important de l'ancien président
Jacques Chirac, principal rival, à une époque, de Sarkozy dans la droite française.
Pierre Lellouche a été nommé Secrétaire d'Etat au
commerce extérieur. Il a expliqué que sa politique consistait à renforcer la
compétitivité de la France, au moment où «le
différentiel avec l'Allemagne » sur les
performances d'exportation devient « préoccupant. » Il a mentionné des pourparlers à venir avec le
bloc commercial Mercosur en Amérique latine et avec des pays dans les Balkans,
ainsi qu'un voyage prévu au Vietnam, ancienne colonie française.
Néanmoins la plupart des principaux ministres ont été
reconduits. Brice Hortefeux conserve le poste de ministre de l'Intérieur; il
récupère aussi le portefeuille de l'Immigration, sans la mention d'Identité
nationale. Christine Lagarde reste ministre de l'Economie. Michèle Alliot-Marie
passe de la Justice aux Affaires étrangères où elle remplacera Bernard
Kouchner, ancien membre du parti de l'opposition, le Parti socialiste (PS) et
dirigeant de Médecins sans frontières.
Tout comme Borloo et Kouchner, d'autres personnalités qui
donnaient un vernis soi-disant de gauche au précédent gouvernement ont été
remplacés. C'est le cas d'un autre membre du PS qui avait quitté son parti pour
rallier le gouvernement de Sarkozy, l'ancienne secrétaire d'Etat à la politique
de la ville Fadela Amara. L'ancienne secrétaire d'Etat aux sports Rama Yade a
quitté le gouvernement, critiquée pour s'être opposée au discours de Dakar de
Sarkozy en 2007 qui faisait partie de la campagne de Sarkozy visant à
relégitimer le colonialisme français.
Ce virage à droite du gouvernement est une confirmation
de plus, si toutefois cela était nécessaire, que le gouvernement a bien
l'intention de fouler aux pieds les sentiments populaires et de poursuivre ses
attaques acharnées contre la classe ouvrière. Cela souligne aussi la manière
dont la défaite récente de la grève du secteur pétrolier, qui a été isolée et
trahie par les syndicats, a donné à Sarkozy une plus grande marge politique de
manoeuvre.
Dans Les dernières nouvelles d'Alsace, Alain
Duhamel fait remarquer que les projets de remaniement ministériel de Sarkozy
sont liés à l'anticipation de conflits sociaux massifs, du type de la grève
générale de mai-juin 1968. Des sections de la classe dirigeante considèrent que
cette possibilité est suffisamment sérieuse pour mettre en péril le gouvernement.
Duhamel écrit : «Nicolas
Sarkozy voulait, après sa lourde défaite aux élections régionales, régler
d'abord le dossier périlleux de la réforme des retraites. Il ne fallait surtout
pas remanier avant car si le conflit dérapait, comme en 1968, en 1984 (bataille
de l'école privée) ou en 1995 (déjà les retraites), un changement de Premier
ministre constituait la seule issue possible. Le remaniement devait clore la
séquence de la réforme des retraites et non pas la précéder. »
Il semble à présent que Sarkozy ait tellement confiance
en la capacité des syndicats et des partis de « gauche » à étouffer
les grèves qu'il ne se sent plus obligé de faire quelque concession que ce soit
à la classe ouvrière, pas même de nature purement cosmétique. Le fait que la
classe dirigeante pensait précédemment que la survie du gouvernement était en
jeu souligne l'envergure de la défaite infligée à la classe ouvrière par les
syndicats.
Le principal débat au sein du gouvernement semble être de
trouver le meilleur moyen de contrôler l'opposition croissante de la population
à la politique ultra-nationaliste de Sarkozy et de positionner Sarkozy dans la
campagne à venir pour l'élection présidentielle de 2012.
Fillon avait dit précédemment qu'il n'aurait pas fait le
discours sécuritaire de Sarkozy du 30 juillet à Grenoble après la mort de
deux hommes entre les mains de la police. Dans son discours, Sarkozy avait
soutenu le rapatriement, fondé sur des critères ethniques, des Roms et la
déchéance de la nationalité française des personnes naturalisées. On n'avait
pas jusqu'ici déclaré ni encouragé ouvertement de telles mesures en France
depuis le régime fasciste de Vichy qui avait collaboré avec les nazis durant la
Seconde guerre mondiale.
Il semble que la suppression de la mention d'Identité
nationale dans les responsabilités ministérielles d'Hortefeux fait aussi partie
d'une tentative de désamorçage de la colère de la population à l'égard des
mesures policières antidémocratiques de Sarkozy. Mais rien ne donne à penser
que Sarkozy va changer sa politique générale consistant à faire appel à
l'extrême-droite. En effet dans une situation où le gouvernement lance des
attaques sociales massives contre les travailleurs, il va chercher à diviser la
classe ouvrière et l'inciter au racisme pour empoisonner le climat politique.
L'universitaire Olivier Le Cour-Grandmaison a dit au Figaro
: « Mais la montée du FN dans les
sondages a montré que l'opération était un échec et Nicolas Sarkozy a considéré
qu'il fallait trouver un autre biais pour siphonner le parti d'extrême droite. »
Le quotidien d'affaire Les Echos conclut que la
politique du gouvernement va se concentrer sur la « compétitivité et la
sécurité », à savoir les coupes sociales et le nationalisme de droite. Il
écrit que Sarkozy fera campagne sur la base d'un mouvement à droite: «Nicolas Sarkozy met en place une seconde étape destinée à
rassurer l'électorat de droite et lui assurer le plus haut score possible au
premier tour de la présidentielle de 2012. »