La Cour suprême d'Espagne
a autorisé le parti fasciste, la Phalange, à s'associer à des
poursuites judiciaires privées contre le juge Baltazar Garzón pour
avoir tenté d'enquêter sur les crimes de la dictature de Franco.
La Phalange, qui est la seule organisation politique autorisée sous
le régime, a perpétré un nombre de crimes incalculable contre la
classe ouvrière espagnole durant la guerre civile (1936-1939) et
ensuite durant la dictature. Aujourd'hui, le nombre de ses
adhérents est minime.
Garzón qui est un membre de
la plus haute cour d'Espagne, l'Audiencia Nacional, s'est fait
connaître internationalement par ses enquêtes judiciaires
controversées. En 1999, il avait cherché à faire extrader de
Grande-Bretagne le dictateur chilien Augusto Pinochet afin de le
juger en Espagne pour génocide, terrorisme et torture. Il a enquêté
sur les activités de l'organisation séparatiste basque ETA ainsi
que sur les escadrons de la mort anti-ETA établis dans les années
1980 par le gouvernement du Parti socialiste (PSOE) de Felipe
González. Garzón a aussi participé à l'enquête sur la
corruption au sein du Parti populaire (PP).
Il a été critiqué
récemment à la fois par les Etats-Unis et par Israël après avoir
tenté d'inculper des membres de leur gouvernement respectif de
crimes contre l'humanité, les Etats-Unis pour leurs actions en
Irak, en Afghanistan et à Guantanamo Bay, et Israël pour les crimes
commis à Gaza. Il a également invité des ministres du gouvernement
chinois à témoigner sur la répression des manifestations au Tibet.
En
septembre 2008, Garzón a ouvert une instruction sur les meurtres
commis à l'époque de Franco après avoir reçu les pétitions
lancées par les familles des victimes regroupées dans l'Association
pour la récupération de la mémoire historique (ARMH) et qui
souhaitent retrouver les restes de leurs proches et connaître les
circonstances exactes de leur mort. En conséquence de son
instruction, Garzón a accusé Franco et 44 anciens généraux et
ministres ainsi que 10 membres de la Phalange de crimes contre
l'humanité. Il a exigé l'ouverture de dizaines de fosses
communes où plus 100.000 de leurs victimes avaient été fusillées
sommairement et enterrées.
Garzón
a soulevé le cas des séparations forcées d'avec leurs parents,
principalement pratiquée par le service étranger de la Phalange,
d'approximativement 30.000 enfants, le plus souvent des opposants
du régime. Il a remarqué que les tribunaux espagnols n'avaient
jamais enquêté sur aucun de ces crimes et pas un seul auteur de ces
crimes n'avait jamais comparu en justice.
Toutefois,
à peine quelques semaines après avoir émis cette mise en
accusation accablante contre Franco et ses acolytes, le juge a
abandonné ces chefs d'accusation après que des magistrats nommés
par le PSOE ont mis en cause son autorité à poursuivre l'enquête.
Selon eux, Garzón a violé une loi de 1977 accordant l'amnistie
sur les atrocités et qui avait été promulguée dans le cadre de la
soi-disant « transition pacifique vers la démocratie »
après la mort de Franco en 1975.
L'action
du PSOE a marqué une capitulation significative devant l'opposition
à Garzón du Parti populaire et qui était partie de la Phalange, de
l'Eglise catholique et des médias. Encouragés par leurs actions,
deux nouvelles organisations d'extrême
droite récemment formées, le Manos
Limpias (Mains propres) et le Libertad e Identidad (Liberté et
Identité) ont lancé une pétition pour engager des poursuites
judiciaires contre Garzón pour « prévarication dans
l'exercice de ses fonctions » et
qui a été acceptée par la cour. Si Garzón était inculpé, il
pourrait être immédiatement suspendu dans l'attente du procès.
L'action
intentée contre Garzón est une indication claire que l'élite
dirigeante est déterminée à intimider quiconque chercherait à
mettre en question le « pacte du silence » sur les crimes
franquistes, approuvé par la droite, le PSOE et le Parti communiste
(PCE) durant la transition. Nombreux sont ceux au sein de l'élite
dirigeante et des hauts responsables qui sont des héritiers directs
du régime de Franco.
Non
seulement Garzón est sur le banc des accusés,
mais les gens qui lui avaient demandé de lancer une enquête sont
mis en danger. Le tribunal a mis à la disposition de ceux qui
cherchent à intenter les poursuites judiciaires, et dont maintenant
la Phalange fait partie, les documents présentés par les
associations pour la mémoire historique et concernant des milliers
de victimes de la dictature.
Une
investigation sur les crimes du régime fasciste exposerait le rôle
joué par la soi-disant « transition vers la démocratie »,
qui a sauvegardé l'ordre capitaliste en Espagne après la mort de
Franco et qui a empêché tout règlement de compte avec les
fascistes. Depuis 35 ans, toute tentative de démasquer ce qui
s'était passé a été déjouée.
Ce
qui fait aussi partie du procès intenté contre Garzón c'est la
crainte qu'une telle enquête sur le passé ne devienne un
catalyseur pour un nouvel éclatement de colère de la classe
ouvrière et une lutte politique contre l'ordre existant, vu
notamment le mécontentement économique et politique grandissant.
Il
y a eu un vaste soutien pour Garzón en Espagne et
internationalement. L'Union progressiste
des procureurs (Unión Progresista de Fiscales) a dit appuyer
l'enquête de Garzón parce qu'« elle entrait tout à fait
dans la légalité nationale et internationale » et « ne
pouvait en aucune manière être considérée comme judiciairement
infondée ou arbitraire ». Ils ont
critiqué les poursuites à son encontre menées par des
« organisation associées aux extrémistes les plus à droite
dans le pays, certains étant des héritiers directs de ceux
impliqués dans les crimes actuellement instruits ».
L'ancien
procureur général anti-corruption à la retraite, Carlos Jiménez
Villarejo, a déclaré, « L'extrême droite espagnole a
réussi à rallier de son côté une partie du pouvoir judiciaire [.]
La question décisive est qu'il a osé faire ce que personne
n'avait fait, enquêter sur les disparitions, une centaine de
milliers de disparitions. »
Un
groupe d'éminents écrivains, d'avocats, d'universitaires et
de musiciens ont signé un manifeste de soutien au juge et ont
déclaré qu'ils étaient « tristement convaincus »
qu'il allait être soumis à un procès « kafkaesque ».
Des
lettres adressées au journal El Pais
exprimaient leur appui pour un
règlement de compte politique et judiciaire avec les franquistes.
Une
lettre a précisé, « C'est incroyable qu'aucun de ceux
impliqués dans les crimes de la dictature n'ait
jamais payé pour eux et cependant ils exigent des explications de la
part du juge qui veut enquêter sur ces crimes. »
Garcia
a remarqué, « Et, penser que les gens même qui attaquent
Garzón, s'ils venaient à arriver au pouvoir demain, ils
commettraient les mêmes crimes que leurs ancêtres, c'est
effrayant rien que d'y penser. »
« Les
mêmes juges ont donné à la Phalange des précisions sur ceux qui
ont critiqué Franco, mettant en danger leur sécurité. Ceci ne
permet d'autre interprétation que celle consistant à penser que
le juge (qui l'avait permis) est aussi un franquiste et qu'il
assiste les fascistes qui cherchent à se protéger dans la légalité.
Il est bien connu que l'extrême droite cherche à s'approprier
des positions de pouvoir, dans l'armée, la police, le système
judiciaire, des postes politiques, etc., pour établir un
gouvernement de facto, indépendamment
du parti qui est au pouvoir. Telle est sa stratégie. »
José
a concentré sa colère sur le PSOE et sa collusion avec l'extrême
droite : « La droite franquiste a gagné. Et que fait le
gouvernement ? Il la laisse manipuler. Je ne sais pas qui ils
redoutent le plus, les fascistes ou Garzón découvrant la vérité
[.] Zapatero m'a déçu. La ARMH n'est
arrivé à rien. Ont-il fait un pacte avec la droite ou quoi ? »