Un rapport publié le 11 mars par un expert judiciaire
chargé d’analyser la faillite de la banque a conclu que durant les mois
qui ont précédé son effondrement, en septembre 2008, la banque
d’investissement Lehman Brothers de Wall Street avait publié des
communiqués financiers qui étaient « matériellement trompeurs » et
que ses directeurs s’étaient livrés à « la manipulation comptable
des bilans. »
Le document de 2.200 pages donne les détails de la fraude
comptable massive, comprenant des transactions secrètes permettant à la banque
de falsifier le montant de sa dette et de dissimuler l’ampleur de ses
pertes découlant de ses actifs toxiques liés aux prêts hypothécaires.
L’effondrement de Lehman, le 15 septembre 2008, a
déclenché un crash mondial des marchés du crédit qui fut utilisé par le
gouvernement américain et les gouvernements du monde entier pour justifier le
déblocage de milliers de milliards de dollars de fonds publics pour renflouer
le système bancaire. La crise financière a provoqué la récession la plus
profonde depuis les années 1930 en éliminant des millions d’emplois. A
présent, les gouvernements sont en train d’imposer des mesures
d’austérité brutales pour faire payer à la classe ouvrière la défaillance
des trésors publics au profit des banquiers et des spéculateurs.
Le rapport sur Lehman montre que les emplois des
travailleurs, leurs maisons, leurs salaires et leurs économies ainsi que
l’accès aux soins de santé, à l’éducation et même aux services les
plus élémentaires tels l’électricité et le chauffage sont sacrifiés pour
payer la criminalité de l’élite financière qui s’est enrichie
davantage encore suite à la catastrophe qu’elle a elle-même fabriquée.
Après la publication du rapport, d’importantes
sociétés de Wall Street telles Goldman Sachs et JPMorgan Chase ont exprimé leur
choc face aux révélations concernant Lehman en déclarant n’avoir jamais
recouru aux artifices comptables employés par leur ancien concurrent. Le film Casablanca
revient tout de suite en mémoire dans
lequel le capitaine Renault se montrait choqué en découvrant que les jeux
d’argent étaient pratiqués dans le casino de Rick.
Toutes les principales banques ont recouru à des schémas
compliqués tels « des véhicules d’investissement structurés, »
pour rayer leurs pertes de leurs bilans et faire des milliards en reficelant ce
qu’ils savaient être des prêts hypothécaires douteux (subprime) et les
vendre comme des « collateralized debt obligations » (CDO) [obligations
gagées sur dettes]. Les pratiques de Lehman n’ont été révélées que parce
que la banque était la plus faible des grandes sociétés de Wall Street et fut
poussée à la faillite en grande partie parce que ses plus grands rivaux,
sentant l’odeur du sang, ont réagi de façon agressive en faisant craquer
leur rival en difficulté.
Selon le rapport du chargé d’analyse, Lehman
s’était spécialisé dans la surévaluation de ses actifs immobiliers et la
manipulation de ses livres de comptes dans le but de fournir des rapports
financiers trimestriels qui dissimulaient son niveau d’endettement réel.
Comme l’expliquait l’auteur du rapport, Anton R. Valukas du cabinet
juridique Jenner & Block : « A l’insu du public
investisseur, des agences de notation, des régulateurs du gouvernement et du
directoire de Lehman, pour embellir ses comptes Lehman, a faussé le
ratio d’endettement (leverage ratio) de la société dans un but destiné
uniquement à tromper le public. »
La principale manipulation comptable de la banque était connue
au sein de l’entreprise sous le nom de « Repo 105 ». Les repo,
en abrégé des accords de rachat, sont une pratique courante à Wall Street. Pour
obtenir des liquidités à court termes pour des opérations de financement, la
banque emprunte auprès d’une autre banque, qui perçoit en contrepartie un
certain nombre de ses actifs comme garanties avec mention de les lui racheter
quelques jours plus tard.
Pour des raisons de comptabilité, de telles transactions
étaient enregistrées comme des transactions financières traditionnelles et non
des ventes, et les actifs qui sont transférés, souvent d’un jour à
l’autre, restaient sur le bilan de la banque qui empruntait. Lehman,
évaluait cependant ses actifs repo à 105 pour cent ou plus des liquidités que
l’entreprise recevait et enregistrait sur cette base ses « repo
105 » comme ventes – et retirant les dettes pourries de ses bilans
juste le temps qu’il faut pour maquiller ses rapports financiers
trimestriels.
Selon l’expert chargé de l’analyse, Lehman a
de cette façon rayé 39 milliards de dollars deson bilan à la fin du
dernier trimestre de 2007, 49 milliards de dollars au premier trimestre de 2008
et 50 milliards de dollars au second trimestre.
La fraude comptable était tellement nauséabonde que Lehman
n'a pas pu trouver un cabinet d’audit prêt à certifier sa légalité.
Finalement, la société a gardé une firme britannique qui a approuvé la
manœuvre comme étant légitime en vertu de la loi britannique. Lehman a dû
conduire ses opérations « Repo 105 » par le biais de sa filiale
londonienne et transférer des fonds des Etats-Unis vers l’Europe afin
d’effectuer les transactions.
Valukas affirme que le directeur général de Lehman,
Richard S. Fuld Jr. et trois directeurs financiers étaient au courant et
approuvaient les transactions louches et le cabinet d’audit de la banque,
la société Ernst &Young, avait fourni une couverture aux cadres supérieurs.
L’expert conclut que les quatre directeurs ont manqué à leur devoir
envers les actionnaires de Lehman et le directoire en ajoutant qu’il y a
« suffisamment de preuves » pour intenter une action en justice pour
« négligence grave. »
Le rapport de l’expert donne de plus amples détails
sur le rôle joué par la Federal Reserve Bank de NewYork (Fed) en permettant à
Lehman de troquer des titres sans valeur contre des fonds publics à partir de
mars 2008, lorsque la banque Bear Stearns s’est effondrée pour être
rachetée par JPMorgan Chase dans une affaire subventionnée par la Fed,
jusqu’au mois de septembre de la même année lorsque Lehman fut placé sous
la protection de la loi américaine sur les faillites. Le président de
l’époque de la Fed de New York était Timothy Geithner. Obama a récompensé
Geithner pour ses services en tant que principal intermédiairede Wall
Street en en faisant son secrétaire au Trésor.
Ni Fuld, dont la compensation atteignait 22 millions de
dollars en 2007, ni aucun autre directeur de Lehman n’a été poursuivi en
justice pour ses crimes. Et aucun cadre dirigeant de Wall Street non plus.
En réaction à la plus grande catastrophe sociale depuis la
Grande Dépression, le gouvernement Obama et le Congrès, mené par les
démocrates, a rejeté toute réforme sérieuse du système financier. Ils
n’ont tenu personne pour responsable d’avoir plongé les Etats-Unis
et le monde entier dans un désastre économique. Au lieu de cela, ils ont
consacré leurs efforts à couvrir les créances douteuses des oligarques
financiers en leur permettant d’étendre leur escroquerie et
d’accroître leur fortune.
L’histoire de Lehman n’est pas une anomalie.
La corruption, la fraude, la criminalité ne sont pas simplement le résultat de
quelques « brebis galeuses » ou simplement l’expression de la
dépravation subjectivement définie de certains cadres dirigeants. La complicité
de toutes les institutions officielles – la Maison Blanche, le Congrès,
les agences de régulation, les médias – témoigne du caractère systémique
du gangstérisme financier.
La criminalité de Wall Street est ancrée dans la crise et
les contradictions du système capitaliste. Le parasitisme financier à un niveau
sans précédent avec tous ses corolaires – accroissement des inégalités
sociales, guerre impérialiste et politique réactionnaire – est une
expression de la putréfaction du système de profit, avant tout en son centre,
les Etats-Unis.
La classe ouvrière doit tirer les conclusions appropriées.
Les directeurs financiers dont les pratiques frauduleuses ont joué un rôle en
précipitant le désastre économique doivent être poursuivis en justice. Leur
richesse mal acquise doit être expropriée pour servir à procurer un soulagement
aux chômeurs en garantissant les nécessités sociales de base. Le système
bancaire doit être nationalisé et géré comme un service public sous le contrôle
démocratique de la population laborieuse.
Il ne s’agit pas de réformer le système mais de
construire un mouvement socialiste international afin de le reléguer aux
poubelles de l’histoire où il a sa place.