La cérémonie des oscars de cette année a été un étalage de banalité et de
lâcheté.
Les trois films les plus primés par l'Académie, Démineurs,
Precious, et Inglorious Basterds, incarnent dans leur ensemble ce
qu'il y a de rétrograde et malsain dans l'industrie du film, et ils avancent
tous masqués.
Démineurs, en dépit des déclarations sur son approche « apolitique »
ou « non-partisane », se révèle, à sa propre manière sans saveur, être un
film favorable à la guerre et à l'impérialisme. Loin d'offrir un point de
vue compatissant sur la vie des Afro-américains des centres-villes [pauvres,
ndt], Precious se complait dans l'arriération sociale, dont il impute
la faute aux opprimés eux-mêmes. Le repoussant Inglorious Basterds de
Quentin Tarantino se présente comme un film « anti-nazi », mais offre sa
propre version du porno et du sadisme, laquelle reprends à son compte plus
d'un élément fasciste.
Trois œuvres franchement abominables.
Il y a sept ans de cela, en mars 2003, quelques jours seulement avant le
lancement de l'invasion illégale de l'Irak, le réalisateur de documentaire
Michael Moore – recevant l'Oscar pour Bowling for Columbine –
dénonçait George W. Bush comme « faux président, » ajoutant, « Nous vivons
dans une ère où un homme nous envoie en guerre pour des raisons qui
n'existent pas… [Nous] sommes contre cette guerre, M. Bush. Honte à vous. »
Sept ans après cette déclaration intègre de Moore, l'industrie du cinéma
a officiellement jeté l'éponge dimanche dernier et de la manière la plus
basse qui soit, abandonnant même la prétention à s'opposer aux guerres
coloniales du Moyen-Orient et d'Asie centrale. En fait, le choix de
Démineurs comme meilleur film fait partie d'une réhabilitation rampante
et concertée de la guerre d'Irak, en train de se produire dans l'establishment
politique et médiatique libéral.
De la revue The Nation, où Robert Dreyfuss a écrit qu'il voyait
des « signes d'espoir » dans les récentes fraudes des élections irakiennes,
jusqu'au groupe de réflexion du Parti Démocrate, le Center for American
Progress, qui affirme que ces mêmes élections « représentent le dernier
pas des irakiens pour reprendre le contrôle de leurs propres affaires, » la
gauche officielle et le milieu libéral indiquent leur accord pour la
présence permanente des États-Unis en Irak, visant à contrôler les vastes
réserves de pétrole du pays.
Les libéraux « anti-guerre » bien en vue d'Hollywood, pour qui
l'opposition à l'invasion Irakienne de 2003 avait beaucoup à voir avec une
hostilité culturelle et psychologique, envers le gouvernement Bush, en sont
là également. L'élection de Barack Obama représentait pour eux, comme pour
tout un milieu social, la réalisation complète de leurs aspirations
politiques.
La réalisatrice de Démineurs Katrine Bigelow, a saisi
l'opportunité dans son discours de remerciement pour le prix de la meilleure
réalisation, « de le dédier aux femmes et aux hommes de l'armée qui risquent
leur vie chaque jour en Irak et en Afghanistan et partout dans le monde. »
Et après cela, en recevant l'Oscar du meilleur film, elle a répété, «
peut-être une dédicace de plus, aux hommes et aux femmes partout dans le
monde qui portent un uniforme… ils sont là pour nous et nous sommes là pour
eux. »
Non, ils ne sont pas là pour « nous ». L'armée américaine est une armée
professionnelle, pas une armée de conscription, elle opère à la manière
d'une bande de malfrats à l'échelle mondiale au service de l'élite
financière américaine. Toutes sortes d'ex-gauchistes et libéraux se rallient
actuellement autour de l'effort de guerre impérialiste, souvent par la
formule selon laquelle il faut « soutenir les troupes. » C'est un slogan
pitoyable et frauduleux. Dans la pratique, il implique un effort pour
décourager ou passer sous silence les critiques des causes, de la conduite
et des objectifs de ce conflit brutal.
Le succès de la campagne des Oscars en faveur de Démineurs donne
la mesure de la banqueroute intellectuelle des critiques et de l'élite
hollywoodienne. Ce film n'a pas eu un grand succès auprès du public, mais
comme Jeremy Kay, écrivant pour le Guardian, l'a noté, « Ce
Thriller est devenu l'égérie des critiques, loué comme le meilleur film
sur la guerre en Irak réalisé aux États-Unis, et en fait comme la meilleure
tranche de guerre montrée à l'écran depuis des années. » Ce n'est pas vrai,
mais de bien meilleurs films comme Battle for Haditha et In the
Valley of Elah, ou d'autres, ont été délibérément marginalisés par les
médias américains.
La compagnie de relations publiques engagée pour s'occuper de
Démineurs, s'est concentrée sur la perspective que Bigelow soit la
première réalisatrice à recevoir un Oscar. « L'idée était séduisante, »
écrit Kay, « et je peux témoigner de la vitesse à laquelle elle s'est
répandue dans les artères d'Hollywood. Un jour avant la nomination, le 2
février, on ne parlait quasiment de rien d'autre. »
En d'autres termes, le fait que la réalisatrice soit une femme a compté
plus que tout le reste. Bien sûr, ce n'est pas tout. Les membres de
l'Académie ont également encensé Démineurs en raison de ses thèmes.
Sous le couvert de l'objectivité et de « l'authenticité, » le film de
Bigelow présente la guerre en Irak du point de vue d'une « tête brûlée, » le
sergent William James, expert en désamorçage. La présence des forces
américaines en tant qu'armée d'occupation n'est jamais remise en cause, et
le travail de cet individu téméraire (et, franchement, psychotique) est
présenté comme sauvant héroïquement des milliers de vies.
Les quelques bribes de dialogues insérés entre les diverses scènes de
désamorçage sont forcées et ne convainquent pas. Bigelow n'a aucune idée de
ce que sont des soldats, ou de la manière dont les êtres humains
interagissent. Ses films (the Loveless, Near Dark, Blue
Steel, Point Break, Strange Days) ne sont pas faits à
partir de la vie, mais à partir de schémas confus et malsains, y compris des
morceaux épars de philosophie post-structuraliste et postmoderne.
Dans son premier film, The Set-Up (1978), par exemple, deux hommes
se battent dans une ruelle, pendant que, selon le New York Times, «
les sémioticiens [qui étudient le langage] Sylvère Lotringer et Marshall
Blonsky déconstruisent les images en voix-off. » Bigelow a expliqué à ce
propos : « le film se termine avec Sylvère parlant du fait que dans les
années 1960 on concevait l'ennemi comme hors de soi, c'est-à-dire, un
officier de police, le gouvernement, le système, mais ce n'est pas vraiment
le cas en fait, le fascisme est très insidieux, on le reproduit tout le
temps. »
On a envie de répondre, à nouveau, parle pour toi ! Bigelow est
clairement fascinée par la violence et le pouvoir… et la guerre, qu'elle
considère comme séduisante et « excessivement dramatique. » Bigelow adhère à
l'idée « qu'il y a probablement une nécessité fondamentale à ce conflit » et
qu'elle se trouve attirée par la notion d'une « psychologie de
l'accoutumance, de l'attirance, vers le combat. »
Ses admirateurs déclarent que Bigelow se plaint, ou critique, un tel état
de fait. Au contraire, Démineurs, glorifie et embellit la violence,
que la réalisatrice associe à « des réactions émotionnelles intenses. » Tout
cela, avec une dose de Nietzsche mal digéré, est assez malsain et même
sinistre, mais il correspond à un état d'esprit bien défini parmi certaines
couches considérées comme l'intelligentsia « radicale » aux États-Unis.
Le film de Bigelow, réalisé d'après un scénario du journaliste "embedded"
Mark Boal, n'est pas un film anti-guerre. Il se contente de faire une pause
de temps en temps pour méditer sur le coût élevé payé par les soldats
américains pour le massacre des insurgés et des civils irakiens. En ce qui
concerne Bigelow, tant qu'ils n'ont pas l'air de s'amuser et qu'ils montrent
des signes de fatigue et de stress, les soldats américains peuvent continuer
à tuer et à semer la destruction.
Comme l'a noté la chronique
du WSWS en août dernier, « la plus grande erreur du film est que ses
réalisateurs croient apparemment qu'il est possible de dépeindre
correctement l'état moral et psychologique des soldats américains sans
parler de la nature de l'aventure irakienne dans son ensemble, comme si cela
ne changeait pas la manière dont les soldats agissent et pensent. »
Démineurs a plu aux votants d'Hollywood, comme l'a noté avec
satisfaction un commentateur, parce qu'il « ne force pas les spectateurs à
faire un jugement politique sur la guerre, » c'est-à-dire qu'il est
compatible avec l'ultra-droite, le pentagone et le gouvernement Obama.
La cérémonie annuelle des Oscars est plus qu'une simple occasion pour
Hollywood de s'autocélébrer. La diffusion (vue cette année par 40 millions
de gens aux États-Unis.) est devenue un rituel de la vie publique
américaine, une manière de plus de forger, de manipuler l'opinion publique.
Ainsi, comme dans toutes les occasions de ce genre, la cérémonie est
maintenant un événement complètement préparé et stérile du début à la fin.
Personne n'a le droit – ou n'aurait l'idée – de sortir du rang, il n'y a
pratiquement aucun moment qui ne soit écrit à l'avance. Même si cette
cérémonie n'a probablement jamais eu son âge d'or, il y a eu une époque où
elle conservait la possibilité pour des sentiments sincères, et même une
opposition, de s'exprimer.
Même l'Oscar du documentaire, que Moore avait remporté en 2003, a été
contrôlé de près. Judith Ehrlich et Rick Goldsmith étaient en compétition
dans la même catégorie cette année avec leur film The Most Dangerous Man
In America: Daniel Ellsberg and the Pentagon Papers. Ellsberg est
l'homme qui a rendu publique l'histoire secrète du Pentagone dans la guerre
du Vietnam en 1971, portant un coup à la version des événements présentés
par le gouvernement. Il était présent à la cérémonie dimanche dernier. Dans
l'atmosphère actuelle dominée par la corruption et la peur, il aurait été
bien trop embarrassant de se souvenir de quelqu'un qui s'est opposé aux
autorités!
À la place, The Cove, un documentaire sur un village de pêcheurs
japonais où des milliers de dauphins et de tortues sont péchés chaque année,
a reçu le prix. Ce sujet peut être bon, mais il est considérablement moins
important que l'arrêt du bain de sang au Vietnam, ou de ses équivalents
actuels, en Irak et en Afghanistan.
Bref, la cérémonie des Oscars de cette année a atteint encore une fois un
niveau bien bas. Les réalisateurs, scénaristes et acteurs honnêtes
d'Hollywood devront se faire connaître et agir. La situation actuelle est
tout simplement intenable du point de vue du cinéma comme de la société dans
son ensemble.