La récente grève des travailleurs de Honda et la vague de
suicides à l’atelier de misère géant de l’électronique opéré par
Foxconn en Chine méridionale ont conduit à des débats en ligne en chinois sur
la recherche d’alternatives à l’exploitation capitaliste brutale
imposée par le Parti communiste chinois (CCP).
Les travailleurs chez Honda et chez Foxconn,
essentiellement des travailleurs jeunes, font partie des millions
d’utilisateurs d’internet en Chine. Selon le Centre
d’information sur le réseau d’internet en Chine, 61,5 pour cent des
384 millions d’utilisateurs d’internet du pays ont moins de 29 ans
et seulement 12,1 pour cent sont diplômés de l’université. Quelques 42,5
pour cent disposent d’un revenu mensuel inférieur à 146 dollars américains
ou moins.
Une recherche effectuée au hasard sur internet avec des
mots clé tels « classe ouvrière », « grève » et
« Foxconn », a ouvert des pages où s'exprimaient des sentiments de
solidarité de classe avec les travailleurs de chez Foxconn et Honda ainsi
qu’avec des travailleurs en grève en Europe et ailleurs. Les commentaires
apparemment affichés par des travailleurs étaient en général courts et furieux.
Certains appelaient les « travailleurs à s’unir, ou sinon nous
pourrions bien être les prochains » à nous suicider. D’autres ont
déclaré qu’il n’y avait que trois voies possibles pour les
travailleurs chinois : « la révolution, le suicide ou continuer comme
ça. » De nombreux courriels avaient été effacés, dans certains cas par les
censeurs de la police d’internet.
La colère est particulièrement répandue au sujet du rôle
des syndicats d’Etat qui sont « devenus les laquais des
capitalistes » ou « des syndicats jaune » pour le compte des
employeurs. Certains commentaires faisaient un lien entre la transformation de
Foxconn, de petite société en un groupe gigantesque, et le problème de
complicité corrompue de Beijing avec des capitalistes. Les bureaucrates
bénéficient de « villas, de dollars américains, de bons vins et de jolies
femmes », tandis que les jeunes doivent « turbiner à tout moment
comme des robots dans une cage à oiseau pour un salaire minimum. »
Un intervenant sur un blog du portail de Sina web daté du
25 mai citait, au sujet des suicides chez Foxconn, une récente nomination du
magazine américain Time des « travailleurs chinois » comme
candidats à « l’homme de l’année, » dont la
main-d’œuvre était cruciale pour empêcher que la crise capitaliste
mondiale ne s’aggrave. Le blogueur disait que les travailleurs dans les
pays capitalistes n’étaient pas mentionnés par Time parce
qu’ils s’étaient engagés dans des luttes contre les capitalistes,
telles les grèves en Grèce et la grève des travailleurs de British Airways.
Le blogueur écrivait que les travailleurs chinois avaient
reçu une « mention honorable » du Time pour avoirétayé
le capitalisme mondial parce que le gouvernement chinois avait interdit la
grève des travailleurs pour la défense de leurs droits. Le blogueur ajoutait
qu’au cours de ces trois dernières décennies, le secteur capitaliste privé
avait progressivement dominé l’économie chinoise, permettant aux ateliers
de misère comme Foxconn de prospérer. « Même dans les secteurs public et
collectif il y a de l’actionnariat, conférant un pouvoir patronal au
président, à la direction et aux patrons et en réduisant les travailleurs à une
position d’asservissement et de subordination totales. »
Les autorités étoufferaient impitoyablement toute
protestation contre de telles injustices sociales, déclarait l’auteur, si
bien que la seule voie pour aller de l’avant est la lutte. « Debout,
tous ceux qui ne veulent pas être des esclaves… les droits des
travailleurs de par le monde ont été acquis par les grèves des travailleurs,
par le sang et les sacrifices ! Et non pas octroyés par la conscience des
capitalistes. »
Un commentaire en ligne circulant parmi les blogs et les
sites de débat et intitulé « Si les travailleurs de Foxconn sont aussi
capables de faire grève, » accusait la Fédération des syndicats de toute
la Chine (ACFTU) de s’étendre à des entreprises étrangères pour pouvoir
étouffer toutes les luttes indépendantes des travailleurs. Il disait que les
suicides chez Foxconn sont le résultat de cette politique. L’auteur, un
ancien journaliste, a affirmé avoir parlé en 2001 au dirigeant de l’ACFTU
dans la province de Guangdong. Le responsable du syndicat avait déclaré que des
organisations politiques et religieuses interdites luttaient pour ramener à eux
des travailleurs du secteur privé, en disant « si tu n’organises pas
les masses, quelqu’un le fera et les travailleurs eux-mêmes
s’organiseront et ce sera un danger pour la position du parti
dirigeant. »
Le blog
disait que l’objectif réel qui se cachait derrière l’expansion de
l’ACFTU dans le secteur non public est le maintien de la stabilité
politique. « Mis à part ce but politique, les gouvernements locaux
cherchant à atteindre un PIB plus grand s’inclinent devant le capital, en
rendant tout à fait impuissants devant le puissant capital les travailleurs
désavantagés. Les syndicats ne sont non seulement pas du côté des travailleurs,
mais ils assistent les patrons pour mieux organiser la production, »
écrivait l’auteur.
Un autre forum en ligne affichait l’article de
Lénine de 1899 « A propos des grève ». Le blog faisait remarquer les
récentes grèves des travailleurs chinois dont celles chez Honda en déclarant
que les enseignements du « grand maître révolutionnaire Lénine » ont
« d’importantes implications pratiques » pour la classe
ouvrière de nos jours. L'article clairvoyant de Lénine expliquait que les grèves
des travailleurs russes contre des capitalistes individuels devaient
s’étendre jusqu'au développement de la conscience politique socialiste et
au renversement du régime autocratique du tsar.
Dans les commentaires qui font suite à l’article de
Lénine, un blogueur notait : « Partout en Chine il y a des
combustibles secs, ce qui fait défaut c’est une personne qui y mette le
feu, » en ajoutant que la Chine doit à nouveau fonder le Parti communiste,
comme elle l’avait fait en 1921. Un autre intervenant écrivait :
« A partir des luttes qui se déroulent sous nos yeux, les prolétaires
chinois s’éveillent à nouveau face à la réalité brutale. Il est temps de
penser d’abord à établir des syndicats indépendants ensuite de construire
une nouvelle organisation politique secrète représentant les intérêts du
prolétariat » afin de renverser le régime du CCP. « Peu importe la
complexité de la lutte et en dépit de la répression de la part des bureaucrates
et de la bourgeoisie privilégiés de la Chine, ceci émergera probablement et
même inévitablement. »
De tels sentiments ont suscité des craintes au sein des
cercles dirigeants. Lors d’un discours du 1er mai prononcé
quelques semaines seulement avant la grève chez Honda, le président Hu Jintao a
cherché à calmer les travailleurs. Il a qualifié la classe ouvrière de
« classe dirigeante » du pays – un terme qui n’avait pas
été employé en Chine depuis des années. Son discours a déclenché une vague de
commentaires de la part des médias d’Etat parlant du bout des lèvres du
rôle joué par la classe ouvrière pour faire de la Chine une puissance
économique mondiale. La campagne des médias a dépeint de façon ridicule les
bureaucrates privilégiés du parti et qui ont fait de la Chine l'atelier de
misère du monde capitaliste comme étant « l’avant-garde
prolétarienne ».
Un commentaire, « Le statut des travailleurs chinois:
le gouffre insurmontable entre la théorie et la réalité, » affiché le 4
juin sur le site web semi officiel China Election and Governance Website illustre
les difficultés auxquelles est la confrontée la machine du parti pour fabriquer
des moyens idéologiques afin de faire dévier l'effervescence sociale et
politique.
L’article indiquait que depuis l’enfance, on
avait constamment dit aux Chinois qu’en Chine la « classe ouvrière
contrôle le pouvoir d’Etat » mais, quoiqu’il en soit, ils
apprennent la réalité de l’exploitation capitaliste. Le fait que les
travailleurs se suicident et se lancent dans d’autres formes
d’actions désespérées montre que pour la population laborieuse, devenir
le maître de sa propre vie n’est qu’un « rêve lointain. »
Le commentaire poursuit: « Un travail intensif, des
heures supplémentaires continuelles, un travail facile mais répétitif, des
logements rudimentaires et une gestion de style militaire dans un lieu confiné,
du temps libre ennuyeux et un manque de respect humain – telle est la vie
des travailleurs. Une telle vie n’est pas due aux conditions spéciales
d’un atelier de misère particulier, ou d’une entreprise
particulière appartenant à des étrangers. Imagine, si des produits
‘fabriqués en Chine’ inondent le monde, combien de ces ateliers de
misère doit-il y avoir pour satisfaire à 'l’honneur’ d’être
'l’atelier du monde’ ? »
L’auteur Qing Wuyu (qui semble être un nom de plume)
discute également de la grève chez Honda. Le droit à la grève ayant été retiré
de la constitution en 1982, écrit-il, toute grève doit être autorisée par
l’ACFTU ce qui signifie bien qu’il ne représentait pas les
travailleurs, mais « a atteint un stade où il entre en conflit » avec
eux.
Qing cite des études estimant que sur le rendement
économique annuel, la bureaucratie de l’Etat prend 40 pour cent et le
capital d’entreprise 40-50 pour cent, laissant aux travailleurs à peine
15-20 pour cent. « Dans un tel mode de distribution, qui pourrait croire
que la classe ouvrière contrôle le pouvoir d’Etat et est la force
dirigeante du pays ? »
La conclusion de l’article, toutefois, est
d’exprimer l’espoir que les injustices sociales éveilleront la
« conscience » du gouvernement et des entrepreneurs chinois qui
légaliseront la grève pour permettre aux travailleurs de protéger leurs droits
fondamentaux. Qing affirme que les syndicats pourraient alors jouer un rôle
modérateur.
En réalité, les intérêts antagonistes de classe que le CCP
représente et ceux des travailleurs et des paysans chinois sont
irréconciliables. Une controverse précédente avait éclaté sur internet après
que les médias chinois ont rapporté que 91 pour cent des millionnaires les plus
riches – ceux détenant 100 millions de yuan d’actifs (14,6 millions
de dollars US) ou plus – étaient les enfants des hauts fonctionnaires du
CCP. Les 450.000 millionnaires en dollars de la Chine, représentent à peine 0,4
pour cent de la population et contrôlent 70 pour cent de la richesse nationale.
De tels niveaux d’inégalité, exacerbés par la
criminalité et la corruption largement répandue du régime CCP provoquent un
mécontentement et une colère générale et qui trouvent leur expression dans les
débats sur internet, en dépit des efforts de censure de Beijing, et les
premières tentatives vers un authentique parti marxiste pour renverser
l’Etat policier.