Depuis
la fin du mois de mai et jusqu'à la mi-juin, les plus importantes
compagnies pharmaceutiques ont imposé un embargo sur les hôpitaux
publics grecs pour protester contre la tentative du gouvernement
social démocrate PASOK de réduire la dette du service public de
santé. Ce boycott a représenté un risque de catastrophe sanitaire
en Grèce, les médecins étant contraints de reporter des
interventions médicales du fait d'un manque de produits essentiels.
Le
gouvernement Papandreou a cherché à vendre la dette du service de
santé (qui s'était accumulée principalement du fait des prix
excessifs imposés par les compagnies pharmaceutiques) sous forme
d'obligations à forte décote ou « à coupon zéro »
qui auraient forcé les compagnies pharmaceutiques à supporter une
perte estimée à 19 pour cent sur une dette combinée de 6,2
milliards. Cette mesure concernant la dette fait partie de la
promesse d'Athènes d'appliquer les diktats des marchés financiers
mondiaux l'enjoignant à réduire de façon draconienne les dépenses
publiques.
La réaction des
compagnies pharmaceutiques a été de refuser de livrer aux hôpitaux
publics les produits afin de forcer le gouvernement à changer de
politique. Un accord a été trouvé cette semaine qui a vu la
décote moyenne réduite à 15 pour cent tandis qu'un montant de 100
millions d'euros de la dette a été payée d'avance et comptant à
500 compagnies, ce qui représente près de 200.000 euros par
compagnie.
Contrairement
aux obligations conventionnelles, les obligations « à coupon
zéro » n'ont pas d'intérêts et sont vendues à des prix
plus bas que leur valeur réelle, ce qui explique la rentabilité de
l'investissement. Bien que les fournisseurs aient la possibilité de
vendre leurs obligations directement aux banques, ils trouvaient
regrettable que le remboursement de la dette de cette façon réduise
d'un cinquième l'argent qui leur était dû.
C'est la seconde fois en
un mois que les compagnies pharmaceutiques ont cessé leur livraison
pour faire du chantage à Athènes. Le gouvernement a annoncé le 3
mai qu'il réduirait de 25 pour cent le prix de tous les médicaments
ce qui représenterait une partie des 1,2 milliards d'euros de
coupes budgétaires. En réponse la compagnie pharmaceutique danoise
Novo Nordisk a annoncé le 29 mai qu'elle cesserait sa livraison
d'insuline. Novo Nordisk est le principal fournisseur mondial de
l'insuline pour les diabètes sous sa forme la plus développée.
Une
autre compagnie danoise, Leo Pharma, a accordé au gouvernement grec
un délai de trois mois, déclarant son intention d'arrêter la
livraison de certains de ses médicaments. La compagnie a dit
qu'elle continuerait l'approvisionnement de 11 produits sur 29, mais
que d'autres, dont le médicament Daivobet contre le psoriasis et un
produit qui liquéfie le sang, seraient suspendus.
La compagnie
pharmaceutique allemande Merck a continué l'approvisionnement de
ses médicaments mais a déclaré qu'elle « n'acceptait pas »
le décret réduisant les prix et elle a porté plainte.
Le vice-président de Novo
Nordisk, Mike Roulis, a dit qu'il était impossible de vendre des
médicaments selon le plan de réduction des prix car cela
conduirait à des pertes de 6 millions d'euros sur le marché grec
et à un effet domino de réévaluation du prix des médicaments
dans toute l'Europe.
Bien que la Grèce
représente un marché peu important pour Novo Nordisk, l'année
dernière ses ventes en Grèce ont représenté moins d'un pour
cent de son revenu total de 8,37 milliards de dollars, cela fait 20
ans qu'elle est active en Grèce et contrôle 50 pour cent du marché
pour les médicaments contre le diabète. De façon plus importante
pour l'industrie pharmaceutique, Novo Nordisk a été en mesure de
profiter de la crise fiscale en Grèce pour imposer ses conditions à
Athènes sur des aspects clés de la politique du service de santé.
Le 14 juin, le
gouvernement PASOK a cédé à la pression de la compagnie et a
remis les prix à presque leur niveau d'avant. Dans l'accord, Novo
dit que les nouveaux prix sont plus élevés que ceux conformes à
un décret appliqué à partir du 3 mai, mais plus bas que la
moyenne des trois prix les plus bas d'Europe. Dans une déclaration,
la compagnie a dit, « C'est toujours une réduction de prix
par rapport aux prix en cours avant le 3 mai. Ce n'est plus une
réduction de 25 pour cent mais plutôt autour de 10 pour cent. Nous
avons donc accepté les nouveaux prix temporaires. »
L'embargo des compagnies
pharmaceutiques en représailles à la réduction des prix et au
programme des obligations à coupon zéro a menacé de provoquer
une catastrophe sociale mettant en danger des centaines de vies
humaines. Plus de 50.000 personnes en Grèce utilisent l'appareil de
Novo Nordisk pareil à un stylo pour l'injection de l'insuline.
L'association des diabètes de Grèce a qualifié les actions de
Novo Nordisk de « chantage capitaliste brutal ».
Selon
un article de Ethnos du 19 juin, « Les administrateurs des
hôpitaux de l'ESY [le service public de santé grec] dans les trois
derniers jours de l'embargo ont envoyé un SOS dramatique eu égard
aux 580 cas critiques. Ils ont lancé un appel aux fournisseurs des
hôpitaux pour se faire livrer d'urgence des produits jetables car
des vies étaient menacées. »
L'article décrit comment
« dans le plus grand hôpital du pays, Evaggelismos [à
Athènes], le service de cardiologie avait un besoin immédiat de 3
pacemakers. L'administration a donné son accord pour un
approvisionnement d'urgence. Le comité de vigilance des prix avait
établi le prix à 2.850 euros. Puis l'hôpital a contacté les
fournisseurs qui ont réclamé 3.800 euros! Une série d'appels
téléphoniques en catastrophe ont abouti, mais moyennant un coût
important...
Les produits qui manquent
terriblement incluent ceux qui dont on a besoin pour les prises de
sang, et toute une série de réacteurs chimiques nécessaires pour
des tests diagnostics déterminant si une opération est nécessaire.
Il y a aussi une pénurie de matériel jetable nécessaire pour les
opérations orthopédiques d'urgence, tels des gants chirurgicaux,
du fil, et des films pour les radios.
Les
personnes souffrant de maladies des reins ont été affectées par
des pénuries de médicaments et de filtres nécessaires pour les
dialyses. « On peut remettre à plus tard une opération, mais
avec une dialyse, ce n'est pas possible, »dit Giorgos
Kastrinakis, le président du Syndicat panhellénique des malades du
rein. « Les médecins nous disent que bien que les hôpitaux
aient des filtres pour reins il n'y en a assez que pour quelques
jours seulement. Des malades du rein m'ont informé qu'à l'hôpital
Attikon les médecins leur conseillaient, par sécurité, de trouver
des cliniques privées car il ne restaient plus beaucoup de
filtres. »
Dans le nord de la Grèce,
les médecins ont dû envoyer 500 patients qui venaient de subir une
greffe de rein vers des hôpitaux privés car ils n'étaient pas en
mesure de procéder à la surveillance intensive dont ils avaient
besoin.
Tandis que l'industrie
pharmaceutique réagit comme si elle avait été abusée par le
système grec de santé, en fait ces dettes sont, pour une grande
part, le résultat de prix excessivement élevés imposés par les
fournisseurs de médicaments.
Les
prix sont souvent trois fois plus élevés que dans d'autres pays
européens, un fait qui n'est un secret pour personne depuis au
moins 1995. Le cardiologue Dimitris Katritsis qui a fait une étude
sur les prix exagérément élevés de l'industrie pharmaceutique a
dit à Kathimerni qu'il « soulève cette question auprès de
ministres depuis [1995], mais que rien ne se passe. »
Au
contraire, le gouvernement a pris des mesures qui aggravent la
situation. Dès 2001, le gouvernement grec avait déclaré qu'un
certain nombre de produits médicaux, dont les pacemakers et les
filtres pour reins, « n'étaient pas comparables » et
donc ne pouvaient être soumis à la concurrence du marché. Les
prix n'en seraient limités que par des plafonds mis en place par le
gouvernement. Cela a eu pour conséquence que les dettes des
hôpitaux ont augmenté et sont passées de 2,5 milliards d'euros en
2005 à 6,2 milliards en 2010.
Le nouveau régime
d'application des prix a développé une culture de la corruption et
de la criminalité au sein du service public de santé. « Les
dettes des hôpitaux n'étaient pas déterminées uniquement par les
compagnies d'approvisionnement, puisqu'elles ne définissent pas les
prix unilatéralement, » selon Kathimerini. « Il y a
quelqu'un qui donne son aval pour les prix. »
Les « lobbies »
des fournitures d'hôpitaux sont nombreux et ont des intérêts
contradictoires: Des comités représentant les fournisseurs et
composés en majorité de médecins et de personnalités issues des
ministères de la santé et de l'économie, etc. Les pots-de-vin aux
médecins sont un secret de polichinelle, certains sont des
actionnaires dans les compagnies de fournitures médicales, ce qui
est une violation flagrante de l'éthique médicale. »
Le refus d'approvisionner
en médicaments des pays tout entiers, comme cela a été le cas
pour la Grèce, révèle que rien n'arrêtera les principales
compagnies pharmaceutiques dans leur course au profit. Il faut que
ce soit un avertissement pour toute la classe ouvrière européenne
et internationale.
Les
soins médicaux, y compris l'approvisionnement des médicaments sur
ordonnance, est un droit humain fondamental. Il doit être mis à
disposition gratuitement et selon les besoins uniquement . Les
compagnies pharmaceutiques et les autres grandes entreprises qui
dominent la santé doivent être retirées des mains de leurs
propriétaires milliardaires et converties en des services publics
gérés démocratiquement.
On ne
peut réussir à le faire que par un mouvement politique et social
de masse de la classe ouvrière contre le capitalisme et ses
représentants politiques à Athènes et dans les autres capitales
européennes. Telles sont les mesures socialistes nécessaires pour
résoudre la crise actuelle en Grèce.
Les pénuries dans les
hôpitaux soulignent la nature parasitaire des entreprises privées
de santé et des fournisseurs pharmaceutiques qui retiennent en
otage des populations entières et mettent des vies en danger sans
raison afin de sauvegarder et maximiser les profits.