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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France: Des travailleurs de Continental victimes de représailles perdent leur procès en appel

Par Antoine Lerougetel 
18 janvier 2010

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Six travailleurs de l'usine de pneumatiques de la transnationale allemande Continental, sise à Clairoix (en Picardie, dans le Nord de la France) ont perdu le 13 janvier leur procès en appel contre la condamnation requise par le l'avocat général pour dégâts causés à la sous-préfecture de Compiègne le 21 avril de l'année dernière.

L'altercation s'était produite le jour où les travailleurs avaient appris qu'ils avaient été déboutés lors du procès engagé visant à stopper la fermeture de leur usine. La Cour d'Appel d'Amiens a confirmé les peines de prison de 3 à 5 mois avec sursis ou des travaux d'utilité publique, pour les six travailleurs. Ils doivent aussi payer une amende de 63 000 euros (91 000 dollars américains.)

L'avocat général a cyniquement décidé d'ignorer la violence sociale infligée aux travailleurs de Continental et à leur famille, privés de leur gagne-pain dans une région dévastée par la récession. En comparaison, les dégâts causés dans la sous-préfecture perdent de leur importance. Il a dit à la Cour, «Je ne vais pas requérir la relaxe. Ce serait la porte ouverte à l'impunité. »

La décision du tribunal revient à donner le feu vert aux patrons qui font porter le fardeau de la crise sur le dos de la classe ouvrière, et rompent fréquemment des accords antérieurs comme cela a été le cas avec les patrons voyous de Continental.

C'est une tentative de la part du gouvernement d'intimider et de criminaliser les travailleurs qui luttent pour défendre leurs emplois et leurs droits. C'est un retour aux lois anticasseurs, abolies il y a 30 ans et qui pouvaient incriminer toute personne qui organise ou est présente à une manifestation où est commis un délit , que la personne ait ou non pris part au délit.

Une déclaration conjointe de la Ligue des droits de l'homme, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, déclare que les condamnations imposées aux six travailleurs de Continental en septembre dernier et contre laquelle ils faisaient appel mercredi sont « en parfaite harmonie avec l'air du temps » et avaient «anticipé le vote imminent de la loi Estrosi [la résurrection mais plus dure encore de la loi anticasseurs] sur les bandes [résurgence aggravée de la loi anti-casseurs] qui prévoit rien moins qu'une responsabilité collective en matière pénale. »

Les travailleurs comparent la sévérité des condamnations des travailleurs de Continental avec la clémence avec laquelle les fraudeurs fiscaux ultra-riches sont actuellement traités. Il font remarquer qu'on a accordé à Total « le bénéfice du doute »et que les charges qui pesaient sur la compagnie ont été levées dans l'affaire de l'explosion, due à la négligence présumée des règles de sécurité basiques, de son usine AZF de Toulouse. L'explosion avait provoqué la mort de 31 personnes, blessé 2 500 autres et causé des dégâts estimés à 2 milliards d'euros.

La réaction des syndicats et des partis de « gauche » dont le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot et le groupe Lutte ouvrière (LO) face à cette attaque contre des travailleurs et les droits démocratiques est abjecte.

La CGT (Confédération générale du travail), proche du Parti communiste (PCF) s'est contentée de faire une déclaration « défendant » les six travailleurs de Continental deux jours avant leur comparution en appel, après avoir pendant des mois studieusement ignoré leur situation difficile. Le dirigeant nouvellement réélu de la CGT, Bernard Thibault, n'est jamais venu sur un piquet de grève de Continental ni dans les manifestations et refuse de donner des interviews sur le sujet, son entourage disant qu'il est «trop occupé pour répondre. »

Les déclarations du dirigeant CGT des travailleurs de Clairoix, Xavier Mathieu, qui, un jour s'est distingué en qualifiant Thibault de « racaille »pour n'avoir pas pris la défense des six travailleurs victimes de représailles, ne sont rien de plus que des appels démoralisés à la clémence à l'attention du gouvernement sans aucune perspective de lutte. Mathieu est starisé par les médias et glorifié par le NPA et LO.

Lundi, devant l'usine, Mathieu a dit lors d'une assemblée générale qu'il espérait que « que l'Etat ne se porte pas partie civile...Mais s'ils pouvaient aussi demander la relaxe, ce serait feux de Bengale et la fête ! On espère qu'on va enfin nous foutre la paix. Les Conti, on a assez dérouillé ! »

 
Devant la gare d'Amiens

Mercredi, la manifestation de 1 500 travailleurs devant la Cour d'Appel d'Amiens n'a pas reçu le renfort d'une mobilisation officielle des principales confédérations syndicales. Mathieu avait promis à la mairie contrôlée par le Parti socialiste, qui lui fournissait un système de haut-parleur et l'accès à l'électricité, qu'il garderait le contrôle sur ses troupes.

Le 5 juin dernier, renonçant à toute lutte de principe pour sauver l'usine et ses 1 200 emplois, les syndicats de Clairoix avaient signé un accord d'indemnité de licenciement avec la direction et l'Etat accordant aux travailleurs licenciés une prime exceptionnelle de 50 000 euros en plus des indemnités de licenciement réglementaires et d'autres concessions.

L'accord comprenait aussi une clause obligeant les syndicats de Clairoix à ne pas engager d'action de solidarité avec les travailleurs des autres sites de Continental. Le Courrier Picard explique que cet accord signifie que « Continental promet d’abandonner les poursuites contre les auteurs du saccage du poste d’entrée de l’usine le 21 avril moyennant un engagement de l’intersyndicale à ne pas détruire ou bloquer les sites Continental en France et à l’étranger. »

Cet accord laisse complètement tomber les travailleurs des usines de fournisseurs et détruit les perspectives d'emplois des jeunes de cette région déjà économiquement sinistrée. Cela signifie aussi l'abandon des travailleurs confrontés à des fermetures et des licenciements dans d'autres usines Continental d'Europe, comme par exemple Stijcken en Allemagne. L'usine Continental de Traiskirchen en Autriche a été fermée cette année et il est prévu de supprimer 75 emplois dans l'usine de pneus pour camions de Puchov en Slovaquie.

Cet accord avait été négocié avec le soutien et la collaboration de Lutte ouvrière (LO) soit-disant de « gauche. » Mathieu était en contact étroit avec Roland Szpirco, dirigeant de LO et conseiller municipal dans la région. Comme Mathieu l'avait dit à la presse, « Dès le début, Roland a insisté pour qu'on aille chercher l'Etat par le colback afin d'engager des négociations tripartites. »

L'hebdomadaire de LO saluait le 5 juin dernier cet accord dans un article intitulé «Continental-Clairoix : la lutte arrache de nouveaux reculs, peut-être décisifs.» Il déclarait que la lutte des travailleurs «a fini par payer. » Néanmoins l'article reconnaissait que malgré tout « chacun avait conscience que rien ne pourrait indemniser le désastre social de la fermeture... »

Le quotidien régional Le Courrier Picard du 11 janvier confirmait l'étendue de la trahison perpétrée par les syndicats: «Le réveil est douloureux pour les 1 120 salariés qui se sont vus notifier leur licenciement en décembre. » Jusqu'à présent, seuls 36 ouvriers licenciés de Continental, principalement du personnel d'encadrement, ont trouvé du travail. L'agence Altedia responsable de leur formation en vue d'autres emplois a révélé que sur les 170 travailleurs de Continental qui ont répondu à des offres d'emploi « Dix seulement ont obtenu un contact ; trois, un entretien. » 

Le journal cite Stéphane Baquet, représentant du syndicat des cadres, la CGC: « Aujourd'hui, les gens sont en préavis ; ils touchent l'intégralité de leur salaire. Beaucoup ont demandé des formations. La difficulté, ce sera quand ils auront achevé leur formation et qu'ils arriveront sur le marché du travail.  »

Les syndicats de l'usine Goodyear d'Amiens où la direction a annoncé son intention de supprimer 820 emplois sur 1 400, considèrent la trahison de Clairoix comme un exemple à suivre. Le dirigeant du syndicat CGT de l'usine, Mickaël Wamen, a rendu hommage à l'accord « très honorable » « arraché par la lutte des Conti. » Wamen jouit du plein soutien du Nouveau parti anticapitaliste de Besancenot.

Le WSWS s'est entretenu avec un certain nombre de manifestants devant la Cour d'Appel d'Amiens:

Mickaël Mallet

Mickaël Mallet, travailleur chez Goodyear, en grève et présent à la manifestation en soutien aux travailleurs de Continental victimes de représailles nous a dit, « Le 27 janvier, le tribunal de Versailles va statuer sur la décision de Goodyear de licencier 817 d'entre nous. Les condamnations des Conti ont pour but de servir d'exemple. Bernard Thibault [dirigeant de la CGT] ne serait pas le bienvenu ici.

« Les patrons se servent de la crise comme prétexte. On ne peut pas lutter contre ça juste au niveau local ou régional. »

Sur la question de l'accord signé chez Continental, Mallet a dit, « 50 000 euros, c'est rien. C'est deux ans de salaire. Je préfère garder mon emploi. L'erreur des Conti c'est qu'ils ne se sont pas battus pour leurs emplois. »

 Woihid Ben Sassi

Woihid Ben Sassi travaille à Clairoix depuis 10 ans: « On n'a aucun soutien des syndicats au niveau national. Je ne peux pas dire que je suis satisfait de l'accord. On veut que l'usine reste ouverte. Ca ne représente que deux ans de salaire. Cela fait des années que l'entreprise prévoyait cette fermeture. La production part à l'usine de Timisoara [en Roumanie] où ils ont installé des machines dernier cri. La bataille pour les emplois n'a pas été gagnée. »

Olivier qui a travaillé 20 ans à Continental était avec un groupe de collègues qui avaient eux aussi passé le plus gros de leur vie active à l'usine de Clairoix. « Tous les syndicats devraient être là. » Il était tout particulièrement hostile envers Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste qui, en tant que ministre du gouvernement de Gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002), n'avait rien fait pour empêcher la victimisation de Jean-Marc Hisquin, un membre de Lutte ouvrière.

 
Olivier au centre dans la manifestation

Laurie et Thomas, tous deux étudiants en sociologie à l'université d'Amiens, avaient été actifs l'année dernière contre les attaques du gouvernement contre l'enseignement universitaire et s'étaient opposés aux coupes dans les soins hospitaliers et les menaces de licenciements chez Goodyear. Thomas: « Je suis contre la criminalisation des luttes des travailleurs. Les entreprises licencient et on appelle ça le progrès! Les informations à la télévision dénigrent ces luttes. »

Laurie: « On n'est pas libre. Il n'y a qu'à voir la police: C'est la Cour qu'ils protègent, pas nous. Les travailleurs ont raison quand ils disent 'C'est pas nous les voyous!' »

Ils ont dit être d'accord que dans le contexte économique il n'est pas possible de défendre les emplois et les droits au niveau régional, ni même national. « Les luttes doivent être articulées au niveau local et plus large. » « Les partis et les syndicats ne se préoccupent que de leurs propres intérêts. On ne peut pas gagner comme ça. »

 


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