Six travailleurs de l'usine de
pneumatiques de la transnationale allemande Continental, sise à Clairoix (en
Picardie, dans le Nord de la France) ont perdu le 13 janvier leur procès en
appel contre la condamnation requise par le l'avocat général pour dégâts
causés à la sous-préfecture de Compiègne le 21 avril de l'année dernière.
L'altercation s'était produite le jour où les travailleurs avaient appris
qu'ils avaient été déboutés lors du procès engagé visant à stopper la
fermeture de leur usine. La Cour d'Appel d'Amiens a confirmé les peines de
prison de 3 à 5 mois avec sursis ou des travaux d'utilité publique, pour les
six travailleurs. Ils doivent aussi payer une amende de 63 000 euros (91 000
dollars américains.)
L'avocat général a cyniquement décidé d'ignorer la violence sociale
infligée aux travailleurs de Continental et à leur famille, privés de leur
gagne-pain dans une région dévastée par la récession. En comparaison,
les dégâts causés dans la sous-préfecture perdent de leur importance. Il a
dit à la Cour, «Je ne vais pas requérir la relaxe. Ce serait la porte
ouverte à l'impunité. »
La décision du tribunal revient à donner le feu vert aux patrons qui font
porter le fardeau de la crise sur le dos de la classe ouvrière, et rompent
fréquemment des accords antérieurs comme cela a été le cas avec les patrons
voyous de Continental.
C'est une tentative de la part du gouvernement d'intimider et de
criminaliser les travailleurs qui luttent pour défendre leurs emplois et
leurs droits. C'est un retour aux lois anticasseurs, abolies il y a 30 ans
et qui pouvaient incriminer toute personne qui organise ou est présente à
une manifestation où est commis un délit , que la personne ait ou non pris
part au délit.
Une déclaration conjointe de la Ligue des droits de l'homme, le Syndicat
des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, déclare que les
condamnations imposées aux six travailleurs de Continental en septembre
dernier et contre laquelle ils faisaient appel mercredi sont « en parfaite
harmonie avec l'air du temps » et avaient «anticipé le vote imminent de la
loi Estrosi [la résurrection mais plus dure encore de la loi anticasseurs]
sur les bandes [résurgence aggravée de la loi anti-casseurs] qui prévoit
rien moins qu'une responsabilité collective en matière pénale. »
Les travailleurs comparent la sévérité des condamnations des travailleurs
de Continental avec la clémence avec laquelle les fraudeurs fiscaux
ultra-riches sont actuellement traités. Il font remarquer qu'on a accordé à
Total « le bénéfice du doute »et que les charges qui pesaient sur la
compagnie ont été levées dans l'affaire de l'explosion, due à la négligence
présumée des règles de sécurité basiques, de son usine AZF de Toulouse.
L'explosion avait provoqué la mort de 31 personnes, blessé 2 500 autres et
causé des dégâts estimés à 2 milliards d'euros.
La réaction des syndicats et des partis de « gauche » dont le Nouveau
parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot et le groupe Lutte ouvrière
(LO) face à cette attaque contre des travailleurs et les droits
démocratiques est abjecte.
La CGT (Confédération générale du travail), proche du Parti communiste
(PCF) s'est contentée de faire une déclaration « défendant » les six
travailleurs de Continental deux jours avant leur comparution en appel,
après avoir pendant des mois studieusement ignoré leur situation difficile.
Le dirigeant nouvellement réélu de la CGT, Bernard Thibault, n'est jamais
venu sur un piquet de grève de Continental ni dans les manifestations et
refuse de donner des interviews sur le sujet, son entourage disant qu'il est
«trop occupé pour répondre. »
Les déclarations du dirigeant CGT des travailleurs de Clairoix, Xavier
Mathieu, qui, un jour s'est distingué en qualifiant Thibault de
« racaille »pour n'avoir pas pris la défense des six travailleurs victimes
de représailles, ne sont rien de plus que des appels démoralisés à la
clémence à l'attention du gouvernement sans aucune perspective de lutte.
Mathieu est starisé par les médias et glorifié par le NPA et LO.
Lundi, devant l'usine, Mathieu a dit lors d'une assemblée générale qu'il
espérait que « que l'Etat ne se porte pas partie civile...Mais s'ils
pouvaient aussi demander la relaxe, ce serait feux de Bengale et la fête
! On espère qu'on va enfin nous foutre la paix. Les Conti, on a assez
dérouillé ! »
Devant la gare d'Amiens
Mercredi, la manifestation de 1 500 travailleurs devant la Cour d'Appel
d'Amiens n'a pas reçu le renfort d'une mobilisation officielle des
principales confédérations syndicales. Mathieu avait promis à la mairie
contrôlée par le Parti socialiste, qui lui fournissait un système de
haut-parleur et l'accès à l'électricité, qu'il garderait le contrôle sur ses
troupes.
Le 5 juin dernier, renonçant à toute lutte de principe pour sauver
l'usine et ses 1 200 emplois, les syndicats de Clairoix avaient signé un
accord d'indemnité de licenciement avec la direction et l'Etat accordant aux
travailleurs licenciés une prime exceptionnelle de 50 000 euros en plus des
indemnités de licenciement réglementaires et d'autres concessions.
L'accord comprenait aussi une clause obligeant les syndicats de Clairoix
à ne pas engager d'action de solidarité avec les travailleurs des autres
sites de Continental. LeCourrier Picard explique que cet
accord signifie que « Continental promet d’abandonner les poursuites contre
les auteurs du saccage du poste d’entrée de l’usine le 21 avril moyennant un
engagement de l’intersyndicale à ne pas détruire ou bloquer les sites
Continental en France et à l’étranger. »
Cet accord laisse complètement tomber les travailleurs des usines de
fournisseurs et détruit les perspectives d'emplois des jeunes de cette
région déjà économiquement sinistrée. Cela signifie aussi l'abandon des
travailleurs confrontés à des fermetures et des licenciements dans d'autres
usines Continental d'Europe, comme par exemple Stijcken en Allemagne.
L'usine Continental de Traiskirchen en Autriche a été fermée cette année et
il est prévu de supprimer 75 emplois dans l'usine de pneus pour camions de
Puchov en Slovaquie.
Cet accord avait été négocié avec le soutien et la collaboration de Lutte
ouvrière (LO) soit-disant de « gauche. » Mathieu était en contact étroit
avec Roland Szpirco, dirigeant de LO et conseiller municipal dans la région.
Comme Mathieu l'avait dit à la presse, « Dès le début, Roland a insisté pour
qu'on aille chercher l'Etat par le colback afin d'engager des négociations
tripartites. »
L'hebdomadaire de LO saluait le 5 juin dernier cet accord dans un article
intitulé «Continental-Clairoix : la lutte arrache de nouveaux reculs,
peut-être décisifs.» Il déclarait que la lutte des travailleurs «a fini par
payer. » Néanmoins l'article reconnaissait que malgré tout « chacun avait
conscience que rien ne pourrait indemniser le désastre social de la
fermeture... »
Le quotidien régional Le Courrier Picard du 11 janvier confirmait
l'étendue de la trahison perpétrée par les syndicats: «Le réveil est
douloureux pour les 1 120 salariés qui se sont vus notifier leur
licenciement en décembre. » Jusqu'à présent, seuls 36 ouvriers licenciés de
Continental, principalement du personnel d'encadrement, ont trouvé du
travail. L'agence Altedia responsable de leur formation en vue d'autres
emplois a révélé que sur les 170 travailleurs de Continental qui ont répondu
à des offres d'emploi « Dix seulement ont obtenu un contact ; trois, un
entretien. »
Le journal cite Stéphane Baquet, représentant du syndicat des cadres, la
CGC: « Aujourd'hui, les gens sont en préavis ; ils touchent l'intégralité de
leur salaire. Beaucoup ont demandé des formations. La difficulté, ce sera
quand ils auront achevé leur formation et qu'ils arriveront sur le marché du
travail. »
Les syndicats de l'usine Goodyear d'Amiens où la direction a annoncé son
intention de supprimer 820 emplois sur 1 400, considèrent la trahison de
Clairoix comme un exemple à suivre. Le dirigeant du syndicat CGT de l'usine,
Mickaël Wamen, a rendu hommage à l'accord « très honorable » « arraché par
la lutte des Conti. » Wamen jouit du plein soutien du Nouveau parti
anticapitaliste de Besancenot.
Le WSWS s'est entretenu avec un certain nombre de manifestants devant la
Cour d'Appel d'Amiens:
Mickaël
Mallet
Mickaël Mallet, travailleur chez Goodyear, en grève et présent à la
manifestation en soutien aux travailleurs de Continental victimes de
représailles nous a dit, « Le 27 janvier, le tribunal de Versailles va
statuer sur la décision de Goodyear de licencier 817 d'entre nous. Les
condamnations des Conti ont pour but de servir d'exemple. Bernard Thibault
[dirigeant de la CGT] ne serait pas le bienvenu ici.
« Les patrons se servent de la crise comme prétexte. On ne peut pas
lutter contre ça juste au niveau local ou régional. »
Sur la question de l'accord signé chez Continental, Mallet a dit, « 50
000 euros, c'est rien. C'est deux ans de salaire. Je préfère garder mon
emploi. L'erreur des Conti c'est qu'ils ne se sont pas battus pour leurs
emplois. »
Woihid
Ben Sassi
Woihid Ben Sassi travaille à Clairoix depuis 10 ans: « On n'a aucun
soutien des syndicats au niveau national. Je ne peux pas dire que je suis
satisfait de l'accord. On veut que l'usine reste ouverte. Ca ne représente
que deux ans de salaire. Cela fait des années que l'entreprise prévoyait
cette fermeture. La production part à l'usine de Timisoara [en Roumanie] où
ils ont installé des machines dernier cri. La bataille pour les emplois n'a
pas été gagnée. »
Olivier qui a travaillé 20 ans à Continental était avec un groupe de
collègues qui avaient eux aussi passé le plus gros de leur vie active à
l'usine de Clairoix. « Tous les syndicats devraient être là. » Il était tout
particulièrement hostile envers Martine Aubry, première secrétaire du Parti
socialiste qui, en tant que ministre du gouvernement de Gauche plurielle de
Lionel Jospin (1997-2002), n'avait rien fait pour empêcher la victimisation
de Jean-Marc Hisquin, un membre de Lutte ouvrière.
Olivier au centre dans la manifestation
Laurie et Thomas, tous deux étudiants en sociologie à l'université
d'Amiens, avaient été actifs l'année dernière contre les attaques du
gouvernement contre l'enseignement universitaire et s'étaient opposés aux
coupes dans les soins hospitaliers et les menaces de licenciements chez
Goodyear. Thomas: « Je suis contre la criminalisation des luttes des
travailleurs. Les entreprises licencient et on appelle ça le progrès! Les
informations à la télévision dénigrent ces luttes. »
Laurie: « On n'est pas libre. Il n'y a qu'à voir la police: C'est la Cour
qu'ils protègent, pas nous. Les travailleurs ont raison quand ils disent
'C'est pas nous les voyous!' »
Ils ont dit être d'accord que dans le contexte économique il n'est pas
possible de défendre les emplois et les droits au niveau régional, ni même
national. « Les luttes doivent être articulées au niveau local et plus
large. » « Les partis et les syndicats ne se préoccupent que de leurs
propres intérêts. On ne peut pas gagner comme ça. »