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  WSWS : Histoire et culture

Les automatistes : Révolte et art moderne dans le Montréal d’après-guerre

Par Lee Parsons
14 janvier 2010

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La Révolution automatiste : Montréal 1941-1960 : Galerie d’art Varley, Unionville, Ontario, jusqu’au 28 février 2010; Galerie d’art Albright-Knox, Buffalo, New York, du 19 au 30 mars 2010

La galerie d’art Varley, située à Unionville en Ontario, tout juste au nord de Toronto, présente ce que l’on a qualifié « d’exposition de l’année » au Canada, rassemblant les œuvres de 15 artistes connus sous le nom d’ « automatistes ». Cette exposition mérite que l’on s’y attarde pour diverses raisons.

Le nom « automatistes » fait référence à une pratique des surréalistes : l’écriture automatique (c.-à-d. écrire, ou créer en général, sans l’intervention de la pensée consciente) et fut donné à un groupe d’artistes de Montréal qui, mis à part le fait qu’ils étaient relativement inconnus, provoquèrent une tempête politique dans le Québec d’après-guerre et se trouvèrent à l’avant-garde de l’art moderne dans les années 1940 et 1950.

Tout comme les surréalistes, les automatistes voyaient le développement de l’art comme faisant partie d’un projet plus grand pour contester ce qu’ils considéraient être une réalité sociale et artistique intolérable. Les travaux des automatistes regroupent plusieurs disciplines et sont représentés dans la présente exposition par plus de 60 œuvres d’art.

Paul-Émile Borduas, Bercement silencieux, 1956, Estate of Paul-Émile Borduas / SODRAC (2008)

Paul-Émile Borduas, Bercement silencieux, 1956, Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2008)

Les automatistes, avec à leur tête l’artiste et enseignant Paul-Émile Borduas qui était leur chef et leur représentant, ont été inspirés par l’esprit d’opposition des surréalistes tel qu’exprimé par André Breton et d’autres durant la période d’entre-deux-guerres. Les œuvres choisies pour l’exposition proviennent de nombreuses sources et collections et présentent des moments critiques qui nous éclairent sur l’évolution du groupe.

Par conséquent, l’exposition se concentre sur des œuvres choisies tant pour leur intérêt historique qu’esthétique, ce qui fait en sorte que les meilleures œuvres de ces artistes ne sont pas nécessairement présentées. En plus de l’impressionnante collection de peintures qui en représente la majeure partie, l’exposition comprend un film charmant, bien qu’excentrique, d’une personne dansant seule dans le Québec rural en hiver, ainsi que de la poésie, des dessins et des sculptures.

Bien que l’exposition soit accompagnée d’un catalogue, qui présente certains commentaires utiles, corédigé par les historiens de l’art Roald Nasgaard et Ray Ellenwood, pour ceux qui connaissent peu cet art et son contexte autre chose est nécessaire pour en comprendre l’importance.

Du surréel à l’abstrait

Paul-Émile Borduas, Composition, 1942, Estate of Paul-Émile Borduas / SODRAC (2008)

Paul-Émile Borduas, Composition, 1942, Succession Paul-Émile Borduas / SODRAC (2008)

Plusieurs termes sont utilisés pour décrire les styles de peinture développés par ce groupe, tel que tachisme en Europe, ou abstraction gestuelle ou lyrique. Mais les innovations des automatistes rejoignaient clairement ceux des expressionnistes abstraits de New York et leur approche non-représentative et spontanée. Bien qu’ils n’étaient pas aussi connus que les artistes de l’école de New York, les automatistes étaient formés d’artistes réputés, en plus de Borduas, tels que Jean-Paul Riopelle, Pierre Gauvreau et Marcel Barbeau. Leurs œuvres ont connu, de façon remarquable, un développement semblable à celui de leurs homologues américains.

Avec Paris au centre de l’art moderne avant la guerre, et New York par la suite, la vie artistique à Montréal aurait pu être relativement isolée des courants internationaux. Néanmoins, certains des plus grands artistes de la ville voyagèrent et étudièrent à l’étranger et furent profondément influencés par les développements prenant place en Europe et aux Etats-Unis.

Avec Abstraction verte, une œuvre simple et modeste peinte en 1941, Borduas annonça une nouvelle direction pour l’art abstrait qui attira nombre de ses étudiants dont certains qui, tout comme lui, avaient été formés à la création d’art ecclésiastique. Ces premières peintures innovèrent dans ce qui devait être connu plus tard sous le nom de peinture tachiste et peinture gestuelle, des techniques qui peuvent être observées dans de nombreuses œuvres de l’exposition.

Rosier feuilleMarcel Barbeau, Rosier-feuilles, 1946, © Marcel Barbeau / SODRAC (2008)

De plus, des peintures comme Rosier-feuilles (1946) de Barbeau, bien que n’étant pas son œuvre la plus réussie, prirent une nouvelle direction et devancèrent les peintures goutte-à-goutte que Jackson Pollock créa quelques années plus tard seulement, sans qu’il ne semble y avoir le moindre contact entre les deux artistes. Une autre œuvre qui se trouve aussi dans l’exposition, Au château d’Argol (1946-47) de Barbeau, est l’une des peintures les plus puissantes et efficaces du genre.

Borduas avait décrit cette nouvelle direction comme « une forme d’art consacrée entièrement à l’exploration du monde intérieur, un art qui marquait la fin de la tentative, en vogue jusqu’à maintenant, de représenter le monde extérieur ».

Bien que pour les automatistes (et d’autres tendances à travers le monde) il ne semblât pas y avoir de lien entre, d’une part, leur éloignement de la représentation pour se rapprocher de l’abstraction, et d’autre part, leur tournant vers le personnel en quittant le social, ces transitions respectives étaient liées sans aucun doute à des changements dans la situation objective. Devant des conditions difficiles, cela doit être compris comme une retraite devant des problèmes qui étaient perçus comme insolubles d’un point de vue politique.

Tandis que les surréalistes utilisaient en général des images reconnaissables dans leurs œuvres, bien que combinées ou juxtaposées de manières souvent surprenantes, des artistes comme Borduas voulurent conserver ce qu’ils croyaient être l’essence du mouvement, mais sans son contenu d’opposition révolutionnaire. Cette « coupure » n’est pas insignifiante et illustre le poids des difficultés historiques et sociales de la période d’après-guerre.

Alors que Breton dénonçait l’hypocrisie et les crimes de l’ordre bourgeois en appelant à son renversement, Borduas se tourna vers l’intérieur, ayant perdu tout espoir d’une voie de l’avant politique, vers le supposé salut individuel et spirituel.

Au Québec, ces difficultés furent aggravées par un climat politique et artistique suffocant qui laissa les artistes isolés et désespérément à la recherche de moyens pour changer leur monde.

Les artistes en révolte

Avec la publication en 1948 de leur manifeste intitulé « Refus global », le groupe nouvellement formé des automatistes entra en conflit direct avec le régime répressif du premier ministre Maurice Duplessis (1936-1939, 1944-1959), allié avec l’Église catholique, dans une période qui a été connue sous le nom de « la Grande Noirceur ».

Après avoir pris le pouvoir au Québec en 1936, Duplessis a rapidement supervisé le passage de la fameuse « Loi du cadenas », qui permettait au gouvernement provincial de cadenasser tout édifice prétendument utilisé pour disséminer le « communisme » ou le « bolchevisme » et de bannir tout matériel faisant la promotion de ces idées.

Après la guerre, même si Duplessis était retourné au pouvoir, le Québec vécut une montée du militantisme de la classe ouvrière qui culmina en 1949 — l’année suivant la publication du manifeste des automatistes — avec la grève de milliers de mineurs à Asbestos, l’un des conflits de travail les plus violents et acharnés de toute l’histoire canadienne. Duplessis envoya des escouades de police pour protéger les mines et briser la grève pendant ses quatre mois, menant à des arrestations de masse et au passage à tabac de mineurs. La sensibilité de l’élite dirigeante à l’appel à la révolte présent dans la déclaration des automatistes, même s’il était tempéré, peut être compréhensible.

Le manifeste des artistes fut signé par Borduas et 15 autres personnes et était une lourde charge contre la collusion de l’Église catholique et de l’élite politique au Québec qui cherchait à étrangler les libertés artistiques et politiques. Le manifeste dénonce « les forces d’oppression qui ont fait du Québec un environnement suffocant, hostile autant à la créativité collective qu’individuelle. »

Même si le manifeste expose avec force l’état pourri des choses, il ne propose pas de les replacer sur une base politique. Borduas déclare ouvertement son scepticisme quant à tout projet de ce genre, affirmant : « Pendant des décennies, des révolutions splendides combattues par des gens qui ont cru complètement en elles ont été écrasées après un bref moment d’espoir délirant dans leur glissade à peine interrompue vers la défaite inévitable. »

Borduas espérait que l’art, en lui-même, fournirait des moyens pour créer une sorte d’utopie — comme il le disait — « vers le joyeux accomplissement de nos désirs furieux de liberté. »

Pierre Gauvreau, Colloque Exhubérant, 1944, © Pierre Gauvreau / SODRAC (2008)
Pierre Gauvreau, Colloque exubérant, 1944, © Pierre Gauvreau / SODRAC (2008)

La brochure contenant le manifeste fut rédigée par quatre autres artistes du groupe des automatistes, en plus de Borduas : Bruno Cormier, qui est devenu un psychanalyste; le poète Claude Gauvreau; le peintre Fernand Leduc; et la danseuse et chorégraphe Françoise Sullivan. Les 400 copies qui avaient été imprimées furent vendues rapidement.

Même si la déclaration avait une audience relativement petite à l’époque, la réaction officielle était uniformément et profondément hostile. Dans les semaines qui ont suivi, les automatistes furent diffamés par le gouvernement du Québec, l’Église catholique et les médias et presque aucune voix importante ne se porta à leur défense. En conséquence, plusieurs individus faisant partie des automatistes furent victimes de représailles. Borduas, en particulier, fut congédié de son poste de professeur à l’École du Meuble le mois suivant et ne fut jamais en mesure d’enseigner à nouveau dans la province.

Borduas publia un deuxième texte quelques mois plus tard, avec un ton plus conciliant, mais en vain. Il poursuivit la majeure partie restante de sa carrière en dehors de la province et sa réhabilitation officielle n’est survenue qu’après sa mort en 1960.

La période de la guerre a vu l’arrivée d’immigrants dans la province, tout comme le transfert des opérations d’imprimerie d’un bon nombre de publications de la France vers le Québec, ce qui a favorisé un réveil culturel. Le climat réactionnaire de l’après-guerre s’étant installé, une certaine opposition s’exprima. Borduas, Riopelle et d’autres allèrent à Paris et à New York afin de fuir le harcèlement dans la province et ainsi profiter des environnements artistiques plus favorables de ces milieux.

Le développement subséquent de l’industrie et l’émergence en masse de la classe ouvrière dans les années 1950 et 1960 ont balayé beaucoup de vieux débris au Québec, sans bien sûr toucher aux relations fondamentales de classe et de propriété. Ce n’est pas avant que ce processus soit bien en marche que la rébellion saluée dans le « Refus global » fut reprise par une autre génération d’artistes, d’activistes et d’intellectuels dans les années 1960. Cependant, dans plusieurs cas, la férocité originale des automatistes n’était pas présente.

Presque inévitablement, malgré leur hostilité au statu quo et leur rejet explicite de la politique en général, des ailes concurrentes de l’establishment, incluant des nationalistes canadiens et québécois, se sont réclamées des automatistes. Même le directeur du musée, John Ryerson, les a présentés comme des icônes nationaux, déclarant que « la contribution des automatistes à l’histoire canadienne surpasse celle du groupe des Sept. »

Malgré le destin subséquent de sa réputation, ce groupe relativement obscur d’artistes de Montréal fut en mesure non seulement d’assimiler des tendances artistiques importantes de cette époque, mais aussi de confronter certaines des questions les plus troublantes qui étaient posées à l’art et aux artistes de cette période.

Mais avec quel succès et quel résultat? Même si un grand nombre d’œuvres de ce groupe, particulièrement les peintures, ont encore un attrait pour leur audace et leur esprit inventif vivant, la plupart des œuvres de l’exposition semblent appartenir à une période passée. Le dévouement exclusif du groupe pour « l’exploration du monde intérieur », même si cela était peut-être difficile à éviter vu les circonstances sociales difficiles, s’est-il finalement avéré être une impasse?

Les problèmes artistiques et sociaux de la période d’après-guerre n’ont pas disparu. Au contraire, ils sont posés plus concrètement que jamais. Néanmoins, les efforts des artistes comme les automatistes doivent être compris, autant pour leur courage et leur engagement que pour leurs limites.

(Article original paru le 9 janvier 2010)

 


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