Les démarches rapides effectuées par le gouvernement du Sri Lanka en
direction d’un Etat policier non seulement représentent un grand danger pour
la classe ouvrière de l’île, elles sont aussi un avertissement pour les
travailleurs du monde entier. Alors que des crises d’endettement éclatent
dans un pays après l’autre et que les gouvernements rencontrent de la
résistance aux mesures d’austérité brutales exigées par le capital financier
international, les méthodes antidémocratiques du président Mahinda Rajapakse
représentent un avant-goût de mesures qui seront aussi appliquées ailleurs.
Les tensions politiques qui existent à Colombo sont, sous une forme
aiguë, la manifestation de processus internationaux plus vastes. L’île a été
empêtrée dans une guerre communautariste sauvage pendant 26 ans et qui s’est
terminée en mai dernier par la défaite de l’organisation séparatiste des
Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Le président Rajapakse, qui
avait repris la guerre en 2006 en la menant de manière impitoyable, a
déclaré qu’il allait désormais apporter la « paix et la prospérité » à
l’île.
C’est le contraire qui se passe. La fin des combats n’a résolu aucun des
problèmes qui sous-tendaient la situation. Après avoir hypothéqué le pays
pour payer sa guerre criminelle, Rajapakse fut obligé d’emprunter 2,6
milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI) pour éviter une
grave crise de la balance des paiements. A présent, le FMI fait la loi et
exige du gouvernement qu’il fasse des coupes sévères dans le niveau de vie
de la population laborieuse.
Rajapakse cherche à renforcer son contrôle de l’appareil d’Etat en
prévision de l’agitation sociale. Durant la guerre, il s’était de plus en
plus appuyé sur une cabale présidentielle rassemblant sa famille, des
conseillers proches et des généraux agissant indépendamment du parlement et
avec un mépris grandissant pour les normes constitutionnelles et légales.
Durant l’état d’urgence, qui est toujours en vigueur, le président avait usé
de ses pouvoirs étendus pour interdire les grèves, intimider les médias et
pratiquer en grand nombre des détentions sans jugement. Des escadrons de la
mort progouvernementaux et agissant avec la complicité des forces de
sécurité avaient tué des centaines de personnes dont des politiciens et des
journalistes.
Considérant qu’il pouvait exploiter politiquement sa « victoire »
militaire sur le LTTE, Rajapakse avança de deux ans la date des élections
présidentielles dans une tentative de renforcer son pouvoir. Les partis
d’opposition ont soutenu l’ancien chef de l’armée sri lankaise, le général
Sarath Fonseka, comme leur « candidat commun » lors de l’élection amèrement
contestée du 26 janvier. Fonseka avait fait partie du cercle très restreint
de Rajapakse mais, s’étant fâché avec le président, il avait démissionné en
novembre dernier pour se porter candidat à l’élection.
La victoire électorale de Rajapakse, loin de résoudre les conflits, a
produit ce qui ne peut être décrit que comme une guerre de faction au sein
des élites dirigeantes du pays. Fonseka avait refusé d’admettre la défaite
et menaça de contester juridiquement les élections. Le gouvernement réagit
la semaine passée en faisant arrêter Fonseka par la police militaire sur la
base d’allégations de complot visant à renverser Rajapakse.
Un jour plus tard, le président dissolvait le parlement en annonçant la
tenue d’élections législatives le 8 avril qui se dérouleront dans un climat
politique de peur et d’intimidation. Le gouvernement a déjà annoncé que son
objectif était d’obtenir une majorité des deux-tiers, lui conférant le
pouvoir de changer la constitution et de fournir ainsi une feuille de vigne
juridique au règne autocratique de Rajapakse.
En dépit de tout le venin déversé dans les querelles internes qui
sévissent au sein de l’establishment de Colombo, les luttes
factionnelles sont d’un ordre tactique, la question étant de savoir comment
rejeter sur le dos des travailleurs les nouveaux fardeaux économiques et où
se positionner dans les rivalités qui s’aggravent entre les principales
puissances, notamment entre les Etats-Unis et la Chine. Les mesures extrêmes
prises par Rajapakse sont une indication claire que les tensions de classe
sont proches d’atteindre sur l’île un point de rupture.
Alors que les dettes de la Grèce font les gros titres de la presse
internationale, la crise économique du Sri Lanka est d’une ampleur
identique. L’endettement total du pays a grimpé à quatre billions de roupies
(35 milliards de dollar US) durant les dix premiers mois de 2009. Selon le
FMI, le ratio de la dette publique totale par rapport au produit intérieur
brut (PIB) avait atteint 87 pour cent en 2008. Le déficit budgétaire est
monté à 11,3 pour cent du PIB et le FMI exige que le ratio soit ramené à 5
pour cent d’ici la fin de 2011.
Robert Prior-Wandesforde, chef économiste de la Hongkong & Shanghai Bank
Corporation, a dit la semaine passée lors d’un séminaire à Colombo que le
gouvernement devait aller bien plus loin dans la réduction des dépenses
publiques. Rejetant les chiffres économiques de Rajapakse, Prior-Wandesforde
a dit: « Il doit produire des résultats comme il l’avait fait dans le cas du
terrorisme [les LTTE]. La seule chose qui pourrait empêcher le Sri Lanka
d’atteindre son potentiel véritable c’est l’irresponsabilité, le gaspillage
et la corruption dans les dépenses publiques. »
Les mesures économiques de la Grèce doivent à présent aussi être
appliquées au Sri Lanka et ailleurs. Mais, en contrepartie, ce sont les
méthodes politiques sri lankaises qui seront de plus en plus employées en
Grèce et ailleurs au fur et à mesure que montera l’opposition populaire aux
énormes et nouveaux fardeaux économiques. La crise ne se limite pas aux pays
économiquement peu développés comme le Sri Lanka et aux Etats européens
connaissant des problèmes tels la Grèce, le Portugal, l’Espagne et
l’Irlande. Une défaillance de la Grèce aurait un impact considérable sur
l’Allemagne et la France et se répercuterait sur l’ensemble de l’UE. La
Grande-Bretagne est lourdement endettée, tout comme les Etats-Unis qui ne
sont en mesure de subsister avec un déficit budgétaire de 10,6 pour cent du
PIB que parce que leur dollar est encore monnaie de réserve internationale.
L’actuelle crise économique mondiale n’est pas un phénomène passager,
elle est le résultat de l’effondrement des mécanismes mis en place après la
Deuxième guerre mondiale dans le but de rétablir l’équilibre du capitalisme
mondial. Les Etats-Unis qui avaient joué un rôle crucial dans la
stabilisation d’après-guerre connaissent à présent le déclin économique et
se trouvent au centre de l’actuelle crise financière. Quels que soient les
hauts et les bas vécus à court terme par certaines économies ou par
l’économie mondiale en général, le monde a entamé une nouvelle période de
convulsions économiques qui a des répercussions politiques profondes sur la
classe ouvrière.
Quiconque ignorerait les signaux d’alarme du Sri Lanka ferait une grave
erreur. En raison de son histoire particulière et de son rapport à
l’économie mondiale, cette petite île a souvent reflété très nettement les
processus économiques et politiques ayant lieu au niveau international. En
dernière analyse les élites dirigeantes de par le monde sont poussées, face
à l’exacerbation des tensions économiques et sociales, à défendre leur
position privilégiée par l’adoption des méthodes sri lankaises.
La classe ouvrière doit en tirer les conclusions nécessaires : le seul
moyen de défendre ses droits démocratiques de base et son niveau de vie est
en abolissant l’ordre social actuel et en réorganisant la société dans le
but de satisfaire les besoins urgents de la majorité au lieu des profits de
quelques riches.