« Il est grave de ne pas profiter des
opportunités d'une crise », a confié George Sassine, président de
l'association des manufacturiers d'Haïti, au Washington Post.
« C'est ce qu'est
le tremblement de terre aujourd'hui : une chance, une chance
immense », a ajouté Reginald Boulos, décrit par le Post de lundi
comme le propriétaire d'un « petit empire » constitué de
supermarchés, d'un hôtel et d'un concessionnaire automobile. « Je crois
que nous devons faire savoir que nous sommes prêts à faire des affaires. C'est
vraiment un monde de possibilités. »
Le Miami Herald a
rapporté la semaine dernière que « des firmes américaines ont commencé à
manoeuvrer pour profiter du filon des travaux de nettoyage », et qu’« au
moins deux compagnies des Etats-Unis ayant des relations politiques ont recruté
les services de puissants alliés haïtiens afin de se positionner pour cette
importante avenue économique. »
L'une de ces compagnies,
AshBritt, s'était vu attribuer un contrat fédéral de 900 millions de dollars
pour le nettoyage de la Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina, surtout grâce
à ses contacts avec de puissants lobbyistes comme Haley Barbour, gouverneur du Mississippi
et ancien président du Parti républicain.
Ces compagnies concluent maintenant des ententes
avec des hommes d'affaires haïtiens et courtisent les politiciens du pays pour
gagner des contrats qui vont assurément accaparer une grande partie de l'aide
internationale offerte pour la reconstruction d'Haïti.
Même avant le séisme,
Haïti était le pays le plus pauvre des Amériques ainsi qu'un
des plus inégaux : 80 pour cent de la population vit dans la pauvreté, 70
pour cent est au chômage et plus de la moitié survit avec moins d'un dollar par
jour.
Il semble maintenant
certain que la catastrophe va élargir le gouffre entre la richesse et la
pauvreté, la caractéristique centrale de la société haïtienne.
La riche élite
dirigeante haïtienne, ainsi que des sociétés américaines, salive devant les
possibilités de richesses et de gros profits liés à la reconstruction pendant
que des millions de travailleurs pauvres sont menacés par la famine et des
maladies qui pourraient venir alourdir de plusieurs centaines de milliers de
morts un bilan qui est déjà épouvantable.
Il a plu encore une fois
sur Port-au-Prince dimanche, ce qui a rendu les conditions encore plus
infernales pour le demi-million de personnes se trouvant toujours dans des
camps de fortune dans la capitale, souvent avec rien d’autre qu’une
couverture pour se protéger des éléments. Il est estimé que plus d’un
million et demi de personnes sont sans abri dans le pays à cause du séisme.
Le plus récent rapport du
Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations
unies (BCAH) a indiqué que des centaines de milliers de sans-abri
sont menacés par la saison des pluies qui débutera sous peu. Parmi ceux-là, on
trouve 25.000 personnes campant sur un terrain de golf de Pétionville, le plus grand camp de sinistrés en Haïti. L’agence de l’ONU
décrit le camp densément peuplé comme « un des sites les plus vulnérables
aux épidémies et aux inondations », avertissant qu’un « grand
nombre d’abris sont installés sur des pentes instables et des pluies
importantes pourraient les emporter ».
La distribution d’abris
d’urgence est désespérément lente. « En date du 11 février, plus de
49.000 bâches ont été distribuées ainsi que 23.000 tentes pour une famille »
a rapporté le BCAH. Le gouvernement haïtien a insisté sur le fait qu’il
avait besoin de 200.000 tentes de façon urgente, près de 10 fois plus que le
nombre distribué à ce jour.
Dans de telles
conditions, la crainte granditque de nombreuses autres
personnes meurent. La plus importante
cause de décès dans les camps est maintenant l’infection
pulmonaire aiguë, selon le rapport. Plusieurs de ceux qui ont été sérieusement blessés
dans le séisme se retrouvent dans ces camps où les mauvaises conditions d’hygiène
et le manque d’abris menacent de voir leur état se compliquer d’une
infection fatale. Il y a la menace plus générale que la malaria
et de la dysenterie, des maladies habituellement
courantes durant la saison des pluies, se développent à grande échelle en plus
des autres maladies infectieuses, à cause des
conditions misérables auxquelles des millions de personnes sont condamnées.
Alors que les agences de
secours ont établi un système d’approvisionnement de nourriture mieux
supervisé, nombreux sont les sinistrés qui n’ont toujours pas d’aide
alimentaire. « La sécurité alimentaire, déjà précaire avant le
tremblement de terre, s’est empirée », a déclaré un porte-parole du
BCAH.
Les Haïtiens sont de
plus en plus frustrés par le fait que la vaste majorité de la population n’a
toujours pas une aide suffisante. Au cours des derniers jours, cela a éclaté en
mouvement de colère dénonçant les responsables du gouvernement haïtien autant
que les agences et les dirigeants étrangers, y compris l’ancien président
américain Bill Clinton choisi comme émissaire spécial de l’ONU en Haïti.
De nombreux travailleurs
de l’aide humanitaire sont aussi frustrés devant l’échec à amener
plus rapidement à la population les immenses quantités de matériel qui s’empilent
à l’aéroport de Port-au-Prince. Cet aéroport est sous contrôle de l’armée
américaine depuis le lendemain du tremblement de terre du 12 janvier.
Un article du Miami
Herald du lundi 15 février donnait un compte rendu
parlant de la situation régnant en Haïti.
« Une enquête des
Nations unies a établi que les organismes d’aide humanitaire ont
distribué environ 20.000 matelas aux survivants du tremblement de terre en une
journée récemment. 35 fois ce nombre attend toujours dans un entrepôt » a
écrit le Miami Herald.
« Environ 32.000 bâches
ont été distribuées dimanche dernier, mais on
en trouve 104.132 entreposées alors que des dizaines de milliers de personnes s’abritent
encore sous des couvertures qu’ils ont tendues
au-dessus de leurs têtes pour se faire un abri improvisé. »
Eric Klein, le fondateur
de l’organisme d’aide humanitaire CAN-DO, actif en Haïti, a dit au Miami
Herald « Il n’y a pas d’excuses pour que du matériel
médical stagne dans un entrepôt se trouvant à cinq minutes d’un hôpital
où l’on fait des amputations et où l’on a que de l’ibuprofène
pour soulager la douleur. »
Un correspondant du
réseau de télévision vénézuélien teleSur a
rapporté que la nourriture distribuée à partir de l’aéroport arrive
souvent à la population dans un mauvais état pour avoir été entreposée si
longtemps au soleil.
Les médecins, les
travailleurs et les responsables de l’aide humanitaire de plusieurs pays
ont blâmé la militarisation de l’aide après le tremblement de terre par
le gouvernement américain pour les retards, particulièrement lors des deux
premières semaines si cruciales.
Environ 22.000 soldats
et marins américains ont été déployés dans ce pays des Caraïbes, alors que des
troupes équipées pour le combat prenaient le contrôle de l’aéroport, du
port et du palais présidentiel. Pendant ce temps, les navires de guerre et de
la garde côtière américaine patrouillaient au large de la côte haïtienne pour
empêcher les victimes du séisme de fuir vers les Etats-Unis. La semaine dernière, les garde-côtes ont retourné 78
Haïtiens interceptés au large des Bahamas
dans leur pays sinistré.
Le général Douglas
Fraser, le commandant en chef du Commandement du Sud américain, a annoncé
samedi que le Pentagone avait diminué le nombre des troupes à 13.000. La plus
grande partie de soldats quittant Haïti seront déployés en Irak ou en Afghanistan.
Le général a refusé de dire pour combien de temps les troupes restantes en Haïti
demeureront en Haïti, affirmant seulement que ce sera aussi longtemps que « nécessaire ».
La considération
principale de cette occupation militaire est la défense de l’élite
dirigeante haïtienne ainsi que des compagnies américaines cherchant à tirer
profit de la main d’œuvre à bon marché et de la dévastation contre
la menace que la crise ne provoque une révolte sociale au sein de la population
appauvrie d’Haïti.
(Article original
anglais paru le 16 février 2010)