Le directeur national des services de renseignement
américains, Dennis Blair, a dit mercredi que les agences du gouvernement pratiquaient
une politique d'assassiner les Américains à l'étranger comme l'exigeait la
guerre « contre le terrorisme. »
Dans son témoignage devant la Commission de contrôle des
services secrets de la Chambre des représentants, Blair a dit que les assassinats
seraient justifiés si les citoyens américains « agissaient de manière à
constituer une menace aux Américains ». Ceci constitue une catégorie
extrêmement vaste et donne à l'appareil de renseignement américain l'autorisation
générale de se livrer à ce qui n'est rien d'autre que des exécutions
extrajudiciaires.
De tels meurtres sont illégaux en vertu de la loi
internationale mais ils sont devenus sous l'euphémisme d'« assassinats
ciblés » une procédure standard pour l'armée américaine et les agences de
renseignement. Ils sont à présent pratique courante dans le cadre des occupations
militaires à grande échelle en Irak et en Afghanistan, ainsi que dans d'autres
pays visés par les Etats-Unis, y compris le Pakistan et le Yémen.
La question d'assassiner des Américains a été abordée
spécifiquement par rapport au religieux américain d'origine yéménite, Anwar Al-Awlaki,
qui a été lié par le gouvernement américain au suspect de la tentative
d'attentat du jour de Noël sur le vol 253 de la Northwest Airlines l'an dernier.
Le 24 décembre, les Etats-Unis avaient lancé des frappes contre des
installations d'Al Qaïda au Yémen et l'on avait initialement cru qu'Al-Awlaki figurait
parmi les tués.
Al-Awlaki n'a été accusé d'aucun crime.
CNN a toutefois rapporté : « En privé, de nombreux responsables
gouvernementaux ont dit qu'il était l'un des prochains citoyens américains à
l'étranger dont les services de renseignement américains avaient l'intention de
s'occuper. » CNN n'a pas dit qui d'autre figurait sur la liste des citoyens
dont on allait « s'occuper ».
Les Etats-Unis suivent « une politique définie et un
ensemble de procédures juridiques qui sont très minutieusement observées, »
a proclamé Blair. Il a dit aussi que les agences américaines de renseignement cherchaient
à obtenir « une autorisation spécifique, vraisemblablement de la Maison
Blanche, sans pourtant que Blair soit explicite, pour exécuter des actions
impliquant l'assassinat de citoyens américains.
Peter Hoekstra, le Républicain de haut rang siégeant à la Commission
du renseignement, a dit qu'il était « étonné » que Blair ait fait
cette déclaration lors d'une séance ouverte. « Donc, il existe un cadre et
une politique. une voie claire pour le moment où cette personne pourra
s'exprimer librement à l'étranger et où elle aurait pu avoir entamé le
recrutement ou aurait pu avoir commencé à réellement coordonner et à exécuter
des attaques contre les Etats-Unis ? » demanda-t-il.
Blair a répondu en disant qu'il préférait exposer les détails
en « séance à huis clos, » mais a ajouté, « Nous ne ciblons pas
les personnes pour liberté d'expression. »
Le fait que le chef du renseignement américain ait eu à
assurer la population que le gouvernement ne tuait pas les citoyens américains
sur la base de leurs opinions et de leurs points de vue politiques ne fait que souligner
l'ampleur de la criminalisation de l'Etat.
Le gouvernement Obama est en train de poursuivre et à bien des
égards d'intensifier l'attaque menée par Bush contre les droits démocratiques
et constitutionnels. Durant le gouvernement Bush, la question de la
surveillance abusive des communications impliquant des citoyens américains
avait été à l'origine d'une tempête de controverses. A présent, le gouvernement
américain s'arroge ouvertement le droit de tuer des citoyens américains sans que
cela soulève de protestation d'aucun des deux partis politiques.
Les commentaires de Blair ont été faits au beau milieu d'une
multiplication des avertissements lancés par les services de renseignement quant
à d'imminentes attaques terroristes. Blair a dit que dans les prochains trois à
six mois une tentative d'attaque était « certaine » aux Etats-Unis, répétant
les commentaires faits mardi par le directeur de la CIA, Leon Panetta.
« Nous avons averti au cours de ces dernières années de ce
qu'Al-Qaïda même et ses disciples ainsi que des terroristes inspirés par Al-Qaïda
avaient toujours la ferme volonté de frapper les Etats-Unis, » a dit
Blair, « et l'année dernière nous avons disposé de noms à associer à ces
avertissements. »
Au milieu de ces avertissements, il est remarquable qu'aucun
représentant du Congrès n'ait questionné Blair ou Panetta au sujet des rapports
disant que les agences de renseignement américaines étaient intervenues pour empêcher
la révocation du visa d'Umar Farouk Abdulmutallab, l'homme qui avait tenté de
faire exploser l'avion du vol 253 de la Northwest Airlines.
Il y a eu une censure systématique de la part des médias et de
l'establishment politique au sujet du témoignage du responsable du
département d'Etat Patrick Kennedy devant le Congrès depuis la publication la
semaine passée d'un article du Detroit News sous le titre, « Un
suspect terroriste conserve son visa pour éviter toute enquête plus
extensive. »
Le News avait
écrit « Patrick F. Kennedy, un sous-secrétaire de la direction au
Département d'Etat, a dit que le visa d'Abdulmutallab n'avait pas
été révoqué parce que des responsables des services de renseignement avait
demandé à son agence de ne pas refuser un visa au terroriste présumé de crainte
qu'un rejet ne vienne contrecarrer une plus vaste enquête sur les menaces d'Al
Qaïda à l'encontre des Etats-Unis. »
L'agence de renseignement en question avait été le National
Counter Terrorism Center (NCTC) qui opère sous la direction du directeur du
renseignement américain, Dennis Blair.
Les avertissements au sujet d'une attaque imminente émanant de
ces mêmes agences de renseignement ont un caractère inquiétant. Sous George W.
Bush, le gouvernement avait régulièrement manipulé les avertissements et
l'évaluation des menaces pour des raisons politiques, afin de justifier une
politique impopulaire, d'influencer les élections ou de détourner l'attention
de révélations embarrassantes. Ces avertissements avaient en général de très
peu à voir avec la réalité.
Dans le même temps, toute attaque terroriste réussie, qu'elle
ait été facilitée ou non par des agences américaines de renseignement,
serviront de prétexte à une escalade de la guerre et à des attaques contre les
droits démocratiques.