Des dizaines de milliers manifestent en Irlande contre le sauvetage
UE-FMI des banques
Par Chris Marsden
7 décembre 2010
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La manifestation de samedi 27 novembre à Dublin contre le sauvetage des
banques qui a regroupé entre 50.000 et 100.000 personnes était une
mobilisation énorme pour l’Irlande par rapport aux 2 millions de
travailleurs que compte le pays. Elle était une puissante expression de la
détermination des travailleurs, des jeunes gens et des étudiants à résister
aux mesures d’austérité qui sont imposées par la coalition Fianna Fail/Parti
des Verts comme condition préalable à un paquet de prêts et de garanties de
l’Union européenne et du Fonds monétaire international s’élevant à 85
milliards d’euros.
Les souffrances que cela implique ne font que s’aggraver. L’accord conclu
tard dimanche soir entre les ministres des Finances de l’UE signifie que
l’Irlande devra payer un taux d’intérêt stupéfiant de 5,8 pour cent pour
sont prêt, contre 5,2 pour cent pour la Grèce. L’Etat irlandais injectera
également dans les coffres des banques 17,5 milliards d’euros provenant du
Fonds de réserve de retraite (National Pension Reserve Fund) et d’autres
sources. L’on a estimé que d’ici 2014, le paiement d’intérêt pour le prêt
sera passé de 2,5 milliards à plus de 8 milliards par an, soit environ un
cinquième du total des recettes fiscales.
Et pourtant, il existe un dilemme politique fondamental auquel sont
confrontés ceux qui tentent de se défendre contre une réduction
supplémentaire de 10 pour cent des salaires, une perte de dizaines de
milliers d’emplois, des hausses d’impôts et la suppression d’acquis sociaux
– ce qui va coûter 4.000 euros de plus par an aux familles qui ont déjà
enduré une perte moyenne de revenu de 4.000 euros. Ce dilemme a trouvé une
expression symbolique après le défilé quand les deux principaux
représentants du Congrès des syndicats irlandais (Irish Congress of Trade
Unions, ICTU) qui l’avait organisé se sont faits huer durant leurs discours
qui ont été noyés dans les sifflets et les huées en dépit de la sono.
Les réactions à David Begg, secrétaire national de la Confédération
syndicale, (Irish Congress of Trade Unions, ICTU) et Jack O’Connor,
vice-président de l’ICTU et dirigeant du premier syndicat irlandais, le
Services, Industrial, Professional and Technical Union (SIPTU), ont été
manifestement hostiles. Mais la couverture de ce fait a bénéficié de très
peu d’attention dans la presse dominante. Le Sunday Times irlandais a fait
remarquer, « Jack O’Connor, le président de l’ICTU et David Begg, son
secrétaire général, ont été fortement chahutés. Des manifestants en colère
ont crié à O’Connor de « quitter la tribune. »
« Amy Brennan, une ouvrière de chez Carraig Donn knitwear [vêtement
tricoté] à Athlone, a dit que des responsables syndicaux gagnaient beaucoup
trop. ‘Ils ont perdu le sens de la réalité. Ils ont oublié ce que c’est de
travailler pour un salaire minimum ou à peine plus. Ils n’ont rien à me
dire’, a-t-elle dit. »
La chaîne d’informations télévisées CNN a noté, « Alors que tous les
manifestants étaient opposés au gouvernement, ce n'est pas tout le monde sur
place qui était d’accord avec les organisateurs officiels du défilé.
« L’ICTU travaille en partenariat avec le gouvernement dans le but de
réprimer le mécontentement public et toute manifestation d’opinions
contraires,’ a dit Kevin Farrell, un membre du bureau exécutif du syndicat
irlandais de l’enseignement (Teachers Union of Ireland) qui a hué M. Begg.
Ils sont en accord avec le gouvernement qu’il devrait y avoir des coupes. La
seule différence entre eux et le gouvernement c’est qu’ils veulent le faire
sur une période plus longue. Nous devrions dire au FMI d’aller se faire
voir. Le processus de partenariat [négociations salariales au niveau
national entre le gouvernement, les syndicats et le patronat] a créé un
Congrès des syndicats irlandais (Congress of Trade Unions) qui a oublié
comment on négocie. »
Sur internet, toutefois, un certain nombre de sources ont remarqué la
signification des réponses données à Begg et à O’Connor. Le Kerry Public
Service Workers Alliance, a indiqué, « Le lauréat du prix des hommes
d’affaires (Business award) Jack O’Connor et l’ancien banquier David Begg
ont été franchement chahutés et se sont faits huer par l’auditoire devant la
Poste centrale (General Post Office, GPO) alors qu’ils tenaient leurs
discours sur le podium…
La correspondante du Irish Times, Mary Fitzgeral a écrit sur twitter que
quelqu’un avait hurlé à l’adresse de Jack ‘ Jette l’éponge, chimpanzé!'
alors qu’il essayait sans grand succès de faire son discours… Begg qui s’est
trouvé un peu plus tard sur le podium est reparti avec le même visage
gris-cendré.’ »
Le forum Politics.i.e a mis en ligne ce commentaire, « J’étais présent et
je les ai hués aussi… Begg et O’Connor sont tous deux responsables de par
leur implication dans divers directoires… Je dois dire que c’est la première
fois qu’ils se sont faits hués aussi fort. Les huées étaient souvent plus
fortes que leur voix retransmise par le système de sonorisation. »
Political World a remarqué, « On pouvait entendre les huées et les
sifflets contre O’Connor et Begg aux actualités de TV3 5.45 mais
curieusement on ne les entendait plus aux informations sur RTE 6.01.
Emplacements différents de leur matériel d’enregistrement ou montage
judicieux? »
L’ICTU est directement responsable de tous les assauts qui ont déjà été
entrepris par Fianna Fail et sera aussi complice de tous les assauts qui
sont à présent planifiés. Son défilé, qui est régulièrement décrit comme la
« dernière chance » des gens qui veulent marquer leur opposition avant
l’adoption le 7 décembre du budget d’urgence, a été un exercice de
duplicité. Tout comme leurs homologues sur le plan international, les
bureaucrates irlandais ont organisé une manifestation symbolique avant de se
précipiter pour aller conspirer avec le gouvernement quant à la manière
d’imposer l’accord conclu avec les ministres des Finances de Bruxelles.
Begg, O’Connor et leurs pairs ont passé des décennies – toute leur
carrière politique – comme les porteurs de valises des banquiers et des
grands groupes, en réprimant les grèves par une suite d’accords tripartites
avec le patronat et le gouvernement. Le dernier en date est l’accord Croke
Park, qui a été signé suite à l’éclatement de la crise. L’accord avait
promis l’interdiction de faire grève et la collaboration lors de la
précédente série de coupes sociales s’élevant à 14,5 milliards d’euros, en
échange d’une garantie de ne pas baisser davantage les salaires ou
d’introduire des licenciements obligatoires. Il est encore considéré comme
opérationnel par l’ICTU alors même que le gouvernement se prépare à
licencier 25.000 salariés du secteur public – un dixième de l’effectif – et
à réduire radicalement le salaire minimum.
Begg est impliqué jusqu’au cou dans chacun des sales accords qui sont
manigancés. Il a été à la direction de la Banque centrale pendant une
quinzaine d'années, il a été gouverneur de l’Irish Times Trust,
président-directeur général d’Aer Lingus, et membre du Conseil national
économique et social (NESC) et du Conseil consultatif de coopération et de
développement d’Irlande (Advisory Board of Development Co-operation
Ireland). Il a fait que le défilé se rassemble devant la Poste centrale, qui
avait été le théâtre d’une bataille entre les Républicains irlandais et les
troupes britanniques lors de l’insurrection de Pâques 1916 ( Easter Rising),
uniquement pour que la bureaucratie syndicale et ses apologistes puissent
mieux jeter du sable nationaliste au visage de la classe ouvrière.
Et donc il a déclaré que le gouvernement « ne doit en aucune circonstance
accepter les termes de ce Traité de Versailles, » au moment même où il se
prépare à l’accepter.
De son côté, O’Connor a dénoncé l’«arrogance » du gouvernement à accepter
le plan du Fonds européen de stabilité financière qui est vendu comme une
mission de sauvetage. « Nous somme ici pour affirmer que tous ensembles nous
pouvons surmonter les problèmes créés par la riche élite de ce pays, »
a-t-il dit.
Mais, O’Connor fait partie de cette riche élite. Le journal Business and
Finance a dernièrement nommé O’Connor « l’homme d’affaires du mois » pour
avoir conseillé à ses membres de voter en faveur de l’accord Croke Park. Il
a écrit, « Se rendant compte du tort qu’une perturbation pourrait causer à
la réputation de l’Irlande à l’étranger, O’Connor a dit : ‘ Si vous avez une
longue campagne de grève… l’interprétation à l’extérieur serait que le
gouvernement n’a pas su honorer ses engagements et donc la crédibilité des
obligations gouvernementales seraient fortement remises en question. »
Le journal fait remarquer que « Les syndicats ont mobilisé des milliers
dans de vastes protestations contre ces mesures d’austérité mais après, les
objections ont pris la forme d’une campagne menée profil bas et consistant à
perturber sporadiquement les services, comme par exemple en refusant de
répondre au téléphone. »
Begg et O’Connor sont des hommes coupables, et pas seulement des traîtres
individuels. Ils sont représentatifs d’une importante bureaucratie bien
rémunérée et qui dirige des organisations qui – dans leur rôle officiel de
« partenaires sociaux » – se consacrent à réprimer la lutte de classe au nom
de leurs payeurs dans les sièges sociaux des entreprises et les trésoreries
gouvernementales à Dublin, Londres, Berlin, Bruxelles et Washington.
C’est pourquoi, bien plus est en jeu que le simple remplacement de l’un
ou l’autre, ni même qu'une pression exercée par les travailleurs sur les
actuels dirigeants pour qu’ils luttent au nom de leurs membres. Mais c’est
tout ce qu’ont à offrir les critiques de gauche de l’ICTU tels le Socialist
Party et le Socialist Workers Party. Ils ont à présent rassemblé leurs
ressources dans l’Alliance de la gauche unie (United Left Alliance) pour se
concentrer sur une campagne l’année prochaine pour une grève générale de 24
heures et l’élection de quelques candidats de gauche au parlement irlandais
(Dáil Eireann) dans le but de faire pression sur une éventuelle coalition
gouvernementale du Parti travailliste et de Fine Gael.
Après le rassemblement principal, le membre du Socialist Party et député
au Parlement européen, Joe Higgins, a réclamé une grève générale de 24
heures organisée par l’ICTU pour mettre fin à la politique désastreuse du
« souper avec le FMI ». De son côté, le conseiller de Dun Laoghaire, Richard
Boyd Barrett de l’alliance SWP et People Before Profit (Les gens plutôt que
les profits), a appelé les gens à « mettre le siège devant » le Dáil le jour
de l’adoption du budget.
Ces actions syndicales et gestes symboliques de protestation plutôt
minces ne traitent en rien les problèmes fondamentaux auxquels les
travailleurs sont confrontés actuellement. Tout comme leurs frères et sœurs
de par l’Europe, les travailleurs sont piégés dans des syndicats qui opèrent
comme une police de première ligne pour le patronat et des partis tels le
Parti travailliste et Sinn Fein qui s’enveloppent dans le drapeau national
pour dissimuler leur programme pro-patronal.
Les travailleurs ont besoin d'une organisation qui se consacre à mener la
lutte de classe contre les employeurs et leurs représentants, quels que
soient leur drapeau, et un parti qui se consacre à la lutte pour le
socialisme à l'échelle européenne et internationale.
(Article original paru le 29 novembre 2010)