Le 12
avril, le ministre du Travail Eric Woerth a rencontré les syndicats
et les fédérations patronales pour tracer les grandes lignes des
nouvelles attaques contre les retraites. Les changements proposés
comprennent l'allongement de la durée de cotisation au-delà de 41
ans, limite actuelle pour les travailleurs prenant leur retraite
après 2012, et le relèvement de l'âge de la retraite au-delà de
60 ans, probablement à 65 ans. Le gouvernement a aussi annoncé
qu'il y aurait d'autres consultations avec les syndicats et les
patrons le 22 avril. Il semblerait qu'il espère appliquer cette
« réforme » avant la fin de 2010.
Cette « réforme »
des retraites fait partie d'une attaque plus vaste contre la classe
ouvrière visant à satisfaire les marchés financiers. Des mesures
similaires sont prises par les gouvernements de par l'Europe, dont
la Grèce, l'Irlande, l'Espagne et le Portugal, suite à la crise de
l'endettement de la Grèce. Après le début de la crise économique
mondiale en 2008, et le renflouement des banques en France, le
déficit budgétaire français est monté en flèche et atteint
cette année 8,2 pour cent du produit intérieur brut (PIB.)
Le gouvernement français
a présenté au début du mois de février devant la Commission
européenne son programme de stabilité pour la période 2010-2013.
Il prévoit une réduction du déficit public de 8,2 pour cent à 3
pour cent du PIB d'ici 2013, entraînant une réduction des dépenses
publiques de l'ordre de 100 milliards d'euros (soit 135 milliards de
dollars US.) Ce programme inclut la réduction des dépenses dans
l'éducation et la santé, les retraites et les allocations chômage,
ainsi que la réduction des postes dans le secteur public.
Le
14 avril, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a publié un
rapport prônant des coupes budgétaires face à l'augmentation en
flèche du déficit public. Le rapport a souligné un certain nombre
de scénarios futurs possibles, selon lesquels le déficit des
retraites se situerait entre 72 à 115 milliards d'euros d'ici 2050.
Selon le quotidien Le Monde
le déficit des retraites cette année devrait atteindre 30
milliards d'euros.
Le gouvernement cherche à
utiliser le rapport du COR pour effrayer les travailleurs et leur
faire accepter le projet de réforme des retraites, bien qu'une
grande majorité de la population s'oppose à ces mesures. Selon un
sondage Harris Interactive pour RTL, alors que 80 pour cent de la
population estiment qu'une réforme est nécessaire, 56 pour cent
rejettent l'idée d'un allongement de la période de cotisation et
60 pour cent s'opposent au relèvement de l'âge légal de la
retraite.
Le
président Nicolas Sarkozy dont la popularité est en chute libre,
propose ces mesures au moment où son parti au pouvoir, l'UMP (Union
pour un mouvement populaire) est confronté à une opposition
massive face aux effets de la crise économique et de ses mesures
d'austérité. Un sondage du 16 avril révèle que 65 pour cent de
la population ne souhaite pas voir Sarkozy se représenter pour un
second mandat présidentiel en 2012. L'opposition écrasante à sa
politique s'est exprimée dans la défaite cuisante de l'UMP aux
élections régionales du mois de mars où le Parti socialiste (PS)
l'a remporté dans 21 régions sur 22.
Dans de telles conditions,
la posture d'opposition à Sarkozy des syndicats est essentielle
pour désorienter la classe ouvrière et l'empêcher d'organiser une
lutte politique indépendante contre ces attaques. En même temps,
les syndicats travaillent en étroite collaboration avec le
gouvernement pour négocier et imposer ces attaques.
Après
la réunion du 12 avril, les syndicats ont critiqué les attaques
contre les retraites qu'eux-mêmes sont en train de préparer dans
les négociations avec le gouvernement. Bernard Thibault, dirigeant
de la CGT (Confédération générale du travail) proche du Parti
communiste, a critiqué le gouvernement pour «refuse[r]
de créer les conditions d'un vrai débat sur l'avenir des
retraites dans notre pays. » Il a
appelé les travailleurs à défiler lors des manifestations du 1er
mai pour protester contre cette réforme.
En
fait, les syndicats ont joué un rôle clé dans la préparation non
seulement des attaques contre les retraites mais aussi du rapport du
COR. Comme l'a fait remarquer le premier ministre François Fillon,
après la publication de ce rapport, «ce
document avait été rédigé par des hommes et des femmes
de toutes les sensibilités politiques, syndicales. »
Le COR a été mis en
place par le premier ministre socialiste de l'époque, Lionel Jospin
en 2000. Les membres dirigeants du COR comprennent des représentants
des principaux syndicats, CGT, CFDT (Confédération française
démocratique du travail, proche du Parti socialiste), la FSU (
Fédération syndicale unitaire) et FO (Force ouvrière) ainsi que
des patrons, des parlementaires, des hauts fonctionnaires et divers
experts.
Il faut faire remarquer
que Jean-Christophe Le Duigou, représentant en vue de la CGT et
ancien secrétaire chargé des retraites est membre du COR. Il avait
joué un rôle décisif dans l'imposition des coupes massives contre
les retraites des régimes spéciaux dans le secteur public en 2007,
lorsque le gouvernement avait augmenté à 41 annuités la durée de
cotisation pour les travailleurs du secteur public des secteurs
stratégiques tels les transports et l'énergie.
En même temps, la posture
d'opposition des syndicats contribue à promouvoir la « gauche »
bourgeoise du PS, dont le programme n'est pas foncièrement
différent de celui de Sarkozy, comme concurrent pour remplacer
l'actuel président.
Dans
cette optique, le 14 avril, la première secrétaire du Parti
socialiste, Martine Aubry a écrit une chronique dans Le
Monde intitulée «Au-delà
de la réforme des retraites,il faut réussir la révolution de
l'âge. » En janvier dernier,
elle déclarait son soutien à une attaque contre les retraites et à
un relèvement de deux ans de l'âge de la retraite. Comme elle
essaie de positionner le PS pour un retour au pouvoir, Aubry prône
à présent de conserver l'âge légal de départ à la retraite à
60 ans, cherchant à présenter le PS comme le défenseur des
intérêts de la population.
Aubry
insiste comme Thibault, le leader de la CGT, pour que Sarkozy
négocie ces attaques avec les syndicats: «Le
gouvernement cherche à dramatiser pour imposer ses décisions
à sens unique dans l'urgence quand il faudrait, comme le
demandent les organisations syndicales, prendre le temps d'une
véritable négociation pour trouver les voies d'une réforme juste
et viable dans la durée. »
Contrairement aux mesures
du gouvernement, elle propose quelques mesures alternatives pour
compenser le déficit des retraites, telles l'augmentation des taxes
patronales et une taxation des stock-options.
La proposition d'Aubry est
mensongère; ce n'est un secret pour personne que le PS est un
défenseur résolu des intérêts du capitalisme français. Il
suffit de se rappeler que juste après sa venue au pouvoir en 1981
le président du Parti socialiste François Mitterrand avait
abandonné son programme de nationalisation et imposé de
douloureuses mesures d'austérité qui avaient dévasté les
industries manufacturières traditionnelles françaises. Sous le
gouvernement de la Gauche plurielle (PS, PCF et Verts - 1997-2002)
conduit par Jospin, le Parti socialiste avait présidé à la
privatisation de nombreuses industries publiques.
Plus largement, le rôle
des différents gouvernements socio-démocrates européens n'est pas
foncièrement différent de celui joué par les gouvernements
conservateurs de droite dans l'application d'attaques brutales
contre la classe ouvrière.
L'exemple le plus probant
est le gouvernement PASOK de George Papandreou en Grèce, élu en
octobre dernier. Papandreou a gagné l'élection avec les fausses
promesses de mettre en avant un plan de relance et d'améliorer le
niveau de vie des travailleurs. Dès qu'il est arrivé au pouvoir,
il a réduit brutalement les dépenses sociales, ainsi que les
salaires du secteur public et relevé de deux ans l'âge de la
retraite.