Le dimanche de Pâques, le 4 avril, le ministre allemand de la Défense,
Karl-Theodor zu Guttenberg (Union chrétienne-démocrate, CDU) a admis que
l’armée allemande participait à la guerre en Afghanistan. En tant que
juriste confirmé, Guttenberg a ajouté que ces remarques relevaient plutôt de
la langue familière et pas du droit international. Néanmoins, sa déclaration
est une admission signifiante.
Durant plus de huit ans, le gouvernement allemand avait fait croire à
l’opinion publique que l’armée allemande fournissait un soutien militaire à
l’aide humanitaire et la reconstruction économique de l’Afghanistan. C’était
également sous ce prétexte que le parlement allemand avait voté à plusieurs
reprises en faveur de l’intervention de l’Allemagne en Afghanistan. Jusqu’au
week-end dernier, le gouvernement avait farouchement maintenu cette duperie
bien que cette guerre (qui va s’intensifiant et à laquelle participent non
moins de 130.000 soldats d’une occupation étrangère) ait déjà coûté la vie à
des milliers de civils afghans et à 39 soldats allemands.
A présent, il n’est plus possible de maintenir ce mensonge. Ce qui y a
mis un terme ce furent les trois soldats allemands tués et les huit blessés
le jour du Vendredi Saint. Ceux-ci avaient été engagés des heures durant
dans des combats contre des rebelles dans le district de Char Darah près du
camp militaire allemand à Kunduz. L’admission de Guttenberg toutefois
soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
La première question est : de quel droit l’Allemagne mène-t-elle la
guerre en Afghanistan ?
Qu’aucune nouvelle guerre ne partirait plus du sol allemand faisait
partie du consensus social de base au moment de la création de la République
fédérale après la Seconde guerre mondiale et servit de directive à la
Constitution allemande. Au cours des six décennies qui s’ensuivirent, des
millions de personnes étaient descendues dans la rue en Allemagne dans le
but d’appuyer cette revendication. L’article 26 de la Loi fondamentale
allemande stipule : « Les actes susceptibles de troubler la coexistence
pacifique des peuples et accomplis dans cette intention, notamment en vue de
préparer une guerre d’agression, sont inconstitutionnels. Ils doivent être
réprimés pénalement. »
Le parlement allemand n’a jamais approuvé un engagement dans une guerre
en Afghanistan et il n’est nulle part fait mention de guerre dans les
décisions du parlement approuvant l’intervention de l’armée allemande en
Afghanistan. La participation de l’armée allemande à une guerre signifie que
l’accord du parlement a été obtenu sous de fausses déclarations et doit donc
être déclaré nul et non avenu. L’intervention est illégale et doit être
immédiatement stoppée.
Le journal Süddeutsche Zeitung a fait mardi le commentaire
suivant : « Si l’intervention en Afghanistan n’est plus justifiée par les
milieux politiques sur la base sur laquelle elle avait été caractérisée
durant près d’une décennie, alors dans une certaine mesure ceci ôte la base
contractuelle à une armée parlementaire. Lorsqu’un agent immobilier vend une
maison en déclarant qu’elle a besoin d’être rénovée, et qu’elle présente
ensuite, familièrement parlant, un risque d’écroulement, alors l’acheteur a
tous les droits d’assigner le vendeur en justice. »
La deuxième question est : dans quel but et contre qui l’Allemagne
fait-elle la guerre en Afghanistan ?
Au vu de la corruption, du manquement à la loi et de l’attitude
arbitraire adoptée par le régime Karzaï, aucun crédit ne peut être accordé à
l’affirmation que le gouvernement allemand soutient en Afghanistan un
gouvernement légitime à l’encontre de « terroristes ». L’accroissement de la
résistance armée, la misère indescriptible de la population afghane – 8
millions de personnes souffrent de la faim, 75 pour cent n’ont pas d’accès à
l’eau potable, la récolte de l’opium avait atteint un nouveau recors l’année
dernière avec 9.000 tonnes – associés à la brutalité grandissante de
l’intervention militaire sont des symptômes typiques d’une guerre coloniale,
telle la guerre du Vietnam.
Entre-temps, Hamid Karzaï, qui avait été choisi en 2001 lors de la
conférence de Petersberg, près de Bonn en Allemagne, pour devenir la
marionnette des forces d’occupation a déclaré être prêt à changer de camp en
travaillant avec les Taliban parce que la résistance à l’occupation ne cesse
de croître et qu’il tremble pour sa peau.
L’armée allemande se bat en Afghanistan aux côtés de l’armée américaine
dans le but de sauvegarder les intérêts géostratégiques allemands dans une
région qui revêt une importance cruciale dans l’approvisionnement
énergétique tout en prouvant sa loyauté à l’OTAN. C’est là le vrai contenu
de la déclaration de Guttenberg selon laquelle l’Allemagne se trouve en
guerre.
Le ministre sait parfaitement que ses remarques ne contribueront
nullement à améliorer la popularité de la guerre. D’ores et déjà, plus de 70
pour cent de la population est opposée à la guerre et cette opposition ne
fera qu’augmenter au fur et à mesure que l’intervention des troupes
allemandes – autrement dit les objectifs humanitaires et démocratiques –
s’évaporeront. A cet égard, la déclaration de Guttenberg est également une
déclaration de guerre à la population allemande.
Il faut dans ce contexte examiner les remarques faites par le collègue de
Guttenberg, le membre du gouvernement Dirk Niebel (Parti libéral démocrate,
FDP). Le ministre allemand de la Coopération économique et du Développement
faisait partie d’une délégation à Kunduz au moment où les récentes
fusillades eurent lieu et il s’était exprimé au nom du gouvernement lors
d’une cérémonie mortuaire pour les trois soldats tués. Il profita de
l’occasion pour rejeter carrément la faute de la situation précaire dans
laquelle se trouvent les troupes allemandes sur l’opposition largement
répandue contre la guerre au sein de l’opinion publique et exigean de la
population davantage de soutien pour l’intervention allemande en
Afghanistan.
Niebel affirma que la nervosité des soldats de la Bundeswehr (armée
allemande) qui avaient tué par mégarde plusieurs soldats des forces de
sécurité afghanes après les sévères combats du Vendredi Saint était en
rapport direct avec le manque de soutien de l’intervention allemande de la
part de l’opinion allemande.
Niebel a dit au journal Bild am Sonntag : « Les soldats allemands
souhaitent davantage de compréhension pour le fait qu’ils ont pris les armes
et parfois aussi de façon préventive. Et ils ne comprennent pas pourquoi ils
devraient justifier leurs actes aux yeux de l’opinion publique allemande ou
même être poursuivis en justice. »
Cette tentative de raviver la « Légende du Dolchstoß » (coup de poignard
dans le dos) a une longue et funeste tradition en Allemagne.
Durant la Première guerre mondiale, des opposant à la guerre comme Rosa
Luxemburg et Karl Liebknecht passèrent des années en prison. Sous la
République de Weimar, les Freikorps attaquaient impunément ceux qui
s’opposaient à l’armée, échappant invariablement à toute sanction pour leurs
actes criminels, protégés qu’ils étaient par les tribunaux.
Aujourd’hui aussi, la participation à la guerre en Afghanistan est liée à
l’accroissement du militarisme. Niebel, qui a passé huit ans en tant que
parachutiste à la 25ème brigade aéroportée « Forêt noire » et qui
est toujours officier de réserve de l’armée allemande, parle au nom du haut
commandement militaire qui réclame plus d’influence sur la marche de la
société. L’accroissement du militarisme est directement lié à l’aggravation
de la crise économique et vise aussi bien l’opposition interne que ce
qu’elle perçoit comme son ennemi externe.