Lors d'une brève
escale de quatre heures à la Nouvelle-Orléans, en route pour un dîner de gala
avec des démocrates millionnaires de Californie, organisé pour collecter des
fonds, le président Barack Obama a fait du bout des lèvres des promesses aux
habitants de la ville dévastée, cachant à peine son indifférence devant leurs
difficultés.
La visite, survenue un jour seulement après que
la Bourse a marqué une hausse dépassant 10.000 points et que le Wall Street
Journal a évalué que les compensations aux principales banques et
établissements financiers atteindraient le chiffre record de 140 milliards de
dollars cette année, souligne le fossé qui sépare les riches et les pauvres
dans l'Amérique d'Obama.
Obama
a attendu neuf mois après sa prise de fonction avant de se rendre dans la ville
qui en 2005 était devenue le symbole dans le monde entier de l'échec du
gouvernement Bush et de la dureté de l'élite dirigeante américaine, avec la
mort de 1000 Américains et de centaines de milliers de pauvres et de
travailleurs qui avaient tout perdu lors du passage de l'ouragan Katrina.
Cette
visite à la Nouvelle-Orléans se voulait être une bonne occasion de faire des
photos réconfortantes d'enfants et d'habitants reconnaissants acclamant le
président, mais la réalité de la désillusion et de la colère populaires
grandissantes s'est immiscée lorsqu'un étudiant a défié Obama quand ce dernier
s'est présenté à une réunion de la mairie qui se tenait à l'université de la
Nouvelle-Orléans.
Babriel
Bordenave, 29 ans, a fait état de la lenteur continue de l'Agence de gestion
des fonds fédéraux d'urgence (FEMA) à pourvoir les fonds nécessaires à la
reconstruction du principal bâtiment de soins médicaux pour les pauvres de la
ville, la Charity Hospital. « Je n'en attendais pas moins du gouvernement
Bush », a-t-il dit à Obama, « mais pourquoi en est-on encore
aujourd'hui à ne recevoir que des centimes ? »
Obama
était sur la défensive et a donné une réponse bateau. Il a dit que son
gouvernement « travaillait aussi dur que possible et aussi rapidement que
possible », faisant état de « complications » non spécifiées en
matière de coordination des efforts avec les autorités locales et de l'Etat. Il
a fait cette remarque alors même qu'il venait de défendre le gouverneur de la
Louisiane Bobby Jindal et le maire de la Nouvelle-Orléans Ray Nagin lorsque ces
derniers se faisaient huer par la foule lors des présentations.
« J'aimerais
bien pouvoir tout simplement faire un chèque », a-t-il poursuivi et
quelqu'un dans le public a crié, « Pourquoi ne pas le faire,
alors ? »
Obama
a été visiblement décontenancé, d'abord par la question de Bordenave, puis par
cette interruption. Il a donc poursuivi en faisant la leçon à ses
critiques : « Pourquoi ne pas le faire, dites-vous ? Eh bien il
y a tout ce tralalaconcernant la Constitution. » Puis il a ajouté
que, à Washington, « tout le monde vous attaque si vous dépensez de
l'argent, sauf si c'est pour eux que vous le dépensez. »
C'était une calomnie à peine déguisée. Obama a
laissé entendre que son public de survivants de l'ouragan n'était qu'un groupe
d'intérêt spécial de plus cherchant à obtenir de l'argent du gouvernement
fédéral. Plus tard Bordenave a dit au New York Times, « J'ai plutôt
trouvé que la référence à la Constitution était une réponse évasive. »
Tout
en déclarant que son gouvernement ne suivrait pas l'exemple de son prédécesseur
qui avait ignoré les souffrances provoquées par Katrina, Obama a imité l'un des
épisodes les plus notoires de la présidence Bush. Bush avait quitté son ranch
du Texas pour survoler la zone touchée par l'ouragan début septembre 2005,
tandis qu'il se rendait à Washington. Obama a fait une escale de trois heures
et quarante-cinq minutes à la Nouvelle-Orléans en route vers ce dîner de
collecte de fonds à San Francisco.
A
l'hôtel St Francis de Westin, près de 1000 partisans nantis emplissaient la
salle de bal, chacun ayant payé jusque 1000 dollars, tandis que 160
ultra-riches avaient déboursé 34.000 dollars par couple pour dîner avec le
président à l'étage. C'est Mark Gorenberg, PDG de l'entreprise de capital à risque
Hummer Winblad qui a accueilli Obama pour le dîner. Est venue les rejoindre sur
le podium la speaker de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, dont le
mari est un investisseur multimillionnaire dans l'immobilier.
La prestation d'Obama à la Nouvelle-Orléans a été
si impitoyable et arrogante qu'elle a provoqué des critiques de la part de deux
chroniqueurs afro-américains habituellement appartenant au camp du
gouvernement, et qui ont tous deux écrit sur le site de leurs journaux. Jim
Mitchell du Dallas Morning News a observé que le président « répond
avec brusquerie à une personne qui pose une question tout à fait raisonnable, à
savoir pourquoi la région ne dispose-t-elle pas d'un service hospitalier remis
en état de marche tant d'années après Katrina. » Il ajoute que la réponse
d'Obama était « insidieuse, élusive et, ce qui est surprenant, obtused'un
point de vue politique ».
Eugene Robinson du Washington Post a
qualifié sa « brève démonstration de compassion de passage » à la
Nouvelle-Orléans « de loin la pire sortie de sa présidence
jusque-là. » Rejetant la déclaration d'Obama selon laquelle il était
difficile d'expédier les sommes d'argent dans la région dévastée par l'ouragan,
il écrit: « Nous savons à présent que notre gouvernement peut rendre
disponibles des centaines de milliards de dollars à des institutions
irresponsables de Wall Street en l'espace de quelques jours si nécessaire. Nous
sommes en mesure, d'un trait de stylo, d'ouvrir les vannes du crédit à des
banques trop importantes pour être en faillite. Mais quand il s'agit de la
Nouvelle-Orléans et de la Côte du golfe du Mexique, eh bien alors, ces
choses-là prennent du temps. »
Le
contraste est en effet saisissant. Tandis qu'Obama se vante d'avoir libéré
jusqu'à 1,5 milliard de dollars de financement fédéral pour les projets de
reconstruction de la Côte du golfe depuis qu'il est venu au pouvoir, on peut
comparer cette somme aux douze mille milliards de dollars rendus disponibles
aux intérêts financiers de Wall Street, soit 8000 fois plus. Cet argent neuf
d'Obama pour la reconstruction après Katrina représente moins d'une semaine de
dépenses pour la guerre en Afghanistan.
L'indifférence
du président a été démontrée par le manque de conviction de sa visite de la
zone sinistrée. Il s'est arrêté dans un établissement scolaire privatisé, dans
le même établissement que George W. Bush avait visité lors d'une de ses visites
suite à l'ouragan. L'établissement scolaire est situé dans un quartier qui
reste à 75 pour cent inhabité. Puis le cortège présidentiel s'est rendu à
l'université de la Nouvelle-Orléans pour une heure d'entretien avec la mairie,
puis Obama a repris le chemin de l'aéroport.
Obama
ne s'est pas donné la peine de visiter les autres quartiers les plus durement
touchés par l'ouragan, dont l'immense quartier Est de la ville qui reste la
scène de dégâts d'inondation sur plusieurs kilomètres, ni la Côte du golfe du
Mississipi et de l'Alabama.
Ce n'est pas qu'Obama n'avait pas le temps de
visiter ces zones. Un jour après son escale à la Nouvelle-Orléans, il était de
retour dans la région pour une cérémonie avec George W. Bush afin de commémorer
le 20e anniversaire de la fondation « A thousand points of light » de
l'ancien président, à l'Université A&M du Texas. En tout, Obama a passé
bien plus de temps avec les spécialistes du capital-risque et les fidèles de
Bush qu'avec les gens de la Nouvelle-Orléans.
La
visite à la fondation de Bush était particulièrement provocatrice. Cela
revenait à être un message aux Américains, leur disant que, lorsqu'une
prochaine catastrophe frappera, ils devraient aller chercher de l'aide auprès
d'associations privées, et non auprès du gouvernement fédéral.
Ceci
correspond au bilan du gouvernement Obama en matière de reconstruction de la
Côte du Golfe ravagé par l'ouragan. Le mois dernier, l'Institute for Southern
Studies a publié un sondage auprès de 50 dirigeants de communautés de la côte
du Texas, de Louisiane, du Mississipi et de l'Alabama qui ont donné au
gouvernement Obama la note de D+ pour ses efforts de reconstruction, soit un
peu mieux que le D donné au gouvernement Bush.
L'unique
domaine pour lequel Obama a obtenu un C est pour sa volonté de
« reconnaître publiquement les défis confrontant la reconstruction des
communautés de la Côte du Golfe. » En d'autres termes, Obama est meilleur
que Bush à parler de reconstruction mais obtient lui aussi un D pour son action
à ce sujet.
Les
scores les plus bas ont été obtenus pour les les problèmes les plus importants
de la reconstruction: l'aide au retour dans leur foyer des personnes déplacées,
la reconstruction de l'infrastructure, le renforcement de la protection contre
les ouragans et la renaissance de l'économie côtière par la création d'emplois.
Le New Orleans Times-Picayune a cité un
document du gouvernement Obama révélant que le Second district de Louisiane au
Congrès qui comprend la plus grande partie du comté d'Orléans et la totalité de
la ville de Nouvelle-Orléans recevaient, parmi tous les districts représentés
au Congrès, le plus bas financement du pays provenant du plan de relance voté
en février dernier.
Les
besoins sociaux dans la région restent énormes. D'après une étude du Brookings
Institute il y a 62 557 maisons vides ou laissées à l'abandon dans le Comté
d'Orléans, soit près d'un tiers du nombre total de maisons existant avant
Katrina. Un sondage a montré que 40 pour cent de ces maisons à l'abandon ou
vides montraient des signes d'habitation, dans certains cas par les anciens
propriétaires cherchant à reconstruire et dans d'autres cas par des squatters
ou des SDF.
Le
Katrina Recovery Index (Indice de reconstruction après Katrina) publié par
l'Institute of Southern Studies donne une idée des dimensions de la crise
sociale à la Nouvelle-Orléans, plus de quatre ans après le passage de
l'ouragan:
.
100.000 personnes déplacées de Nouvelle-Orléans vivent à présent à Houston dans
le Texas.
.
Le pourcentage de foyers avec enfants vivant à la Nouvelle-Orléans est passé de
30 à 20 pour cent.
.
Seulement 752 bons de relogement en provenance du gouvernement fédéral ont été
accordés à la Nouvelle-Orléans; depuis l'établissement d'une liste d'attente
pour ces bons, 16 personnes en attente sont décédées.
.
Les loyers de la Nouvelle-Orléans ont augmenté de 40 pour cent depuis Katrina.
.
La demande pour des repas d'urgence dans les centres les distribuant a augmenté
de 35 pour cent.
.
60 pour cent des élèves scolarisés à la Nouvelle-Orléans fréquentent des
établissements privatisés.
.
43 pour cent des centres de soins médicaux de la ville n'ont pas réouvert leurs
portes depuis Katrina.
.
Deux tiers de la population de la ville font état de problèmes de santé
chroniques, soit une augmentation de 45 pour cent depuis 2006.
.
Le taux de suicide à la Nouvelle-Orléans a augmenté de 200 pour cent depuis
Katrina, alors que seul un hôpital local prend en charge des patients
nécessitant des soins psychiatriques.
. La Louisiane se situe au 50e rang de tous les
Etats des Etats-Unis en matière de qualité générale des soins médicaux.