Quelque 20.000 travailleurs de l'industrie
ont convergé de toute la France mardi dernier pour la manifestation parisienne,
à l'appel de la CGT (Confédération générale du travail) contre la vague de
fermetures d'usines et de licenciements qui engloutissent leur secteur.
Cette « Manifestation nationale pour la
défense de l'emploi et le développement industriel » était dominée
par la politique réactionnaire nationaliste et de collaboration de classes de
la CGT, le syndicat français le plus important et proche du Parti communiste
stalinien (PC.)
De nombreuses délégations de travailleurs
venaient d'usines du secteur privé, appartenant à des entreprises
transnationales pratiquant des opérations de restructuration à travers le
monde : Continental, Arcelor-Mittal, Michelin, Total, Alcatel-Lucent,
verreries de Cognac, Arsenal Cherbourg. Du secteur public il y avait des
cheminots menacés de perdre 6000 emplois dans la restructuration de la
compagnie de chemin de fer la SNCF, des hospitaliers, tous confrontés à une
politique de privatisations à l'échelle européenne.
L'équipe de reporters du WSWS sur place n'a
vu aucune banderole, pancarte ou slogan faisant un lien entre la classe
ouvrière française et la classe ouvrière internationale, prises dans le même
désastre social engendré par la crise mondiale du capitalisme.
Il y avait, bien en évidence, des slogans
exprimant l'amertume des travailleurs à devoir payer pour la crise :
« Sarkozy, suicide-toi » (une référence à la vague de suicides
liés au travail à France Télécom, Renault et ailleurs), « Arcellor fait
des profits mais les sidérurgistes n'en profitent pas. »
Mais les slogans nationalistes dominaient :
« Délocaliser : c'est tuer l'emploi et l'avenir des jeunes »,
« Travail réparti partout dans le pays» (Continental),
opposition aux « délocalisations ou les nouvelles implantations
vers les pays low cost » (CGT), « Pour une politique
industrielle au service de l'emploi et du développement de nos régions. »
Cetappel au régionalisme était aussi repris lors de la
manifestation par des slogans comme « Ensemble pour le développement
industriel de Nord-Pas-de-Calais. » (une région du nord de la
France.)
L'expression la plus claire et la plus
éhontée de la politique fondamentalement nationaliste et de collaboration de
classes des organisateurs de la manifestation provenait du tract du groupe
d'activistes staliniens purs et durs de la CGT, le Front syndical de classe qui
prétend lutter pour « une CGT de classe et de masse ». Justifiant son
opposition aux délocalisations vers les pays low cost en faisant remarquer que
cela implique que les travailleurs sont « surexploités », il affirme
« Donc défendre la production nationale, ce n'est pas du
nationalisme : c'est une position de classe contre l'exploitation
capitaliste. »
Evidemment, le tract ne propose aucune
action de solidarité avec ces travailleurs « surexploités » dont le
groupe souhaite sacrifier les emplois. Son slogan le plus en vue est un
recyclage de la position du PC dans les années 1980 : « Pour la
défense de l'emploi et le “produire en France" ».
Bien qu'elle ne lance pas vraiment d'appels
aussi ouvertement chauvins, la soi-disant « gauche radicale » à
savoir Lutte ouvrière (LO) et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) les
couvrent quand ils déclarent que l'initiative de la CGT est «un premier
pas »vers « un rapport de force au moins national » (NPA, 22
octobre) ou « La journée à laquelle appelle la CGT le 22 octobre n’est pas
une réaction à la mesure des menaces. Mais cela peut constituer un pas dans ce
sens. »(LO, Arlette Laguiller éditorial du 22 octobre.)
Cette soi-disant « gauche
radicale »ne propose aucune perspective socialiste ou internationaliste
pour une lutte commune contre la crise, des travailleurs français et de leurs
collègues européens et du reste du monde qui sont confrontés eux aussi au
chômage de masse et à la destruction du niveau de vie. Avec un taux de
chômage en Europe autour de 10 pour cent et qui va croissant, le rapport annuel
de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) publié
le 16 septembre déclare: « Le pire de la récession s'agissant de l'emploi est
encore devant nous, notamment en Allemagne, France et Italie. »
Aucun tract ni déclaration politique ne
citait ces faits ni n'expliquait que la croissance extrêmement inégale et
fragile de certains pays européens, notamment dans l'industrie automobile,
résulte de l'injection massive d'argent du contribuable dans « la prime à
la casse » et ne va pas endiguer la vague de chômage. Ces mesures vont
être stoppées dans bien des pays. En France, c'est en décembre qu'elle sera
réduite avant de disparaître. Une énorme augmentation de la dette menace la
stabilité de l'euro et une pression accrue se développe pour diminuer la dette
au moyen d'attaques massives contre les salaires et les droits sociaux. Les
seules différences d'opinion entre la classe dirigeante française et européenne
portent sur le moment et le rythme à adopter pour mettre en place ces attaques.
La Hollande vient juste d'annoncer qu'elle diminue de 20 pour cent les dépenses
sociales.
Les reporters du WSWS n'ont vu aucun tract
ou slogan qui soit critique du dirigeant de la CGT Bernard Thibault, qui collabore
étroitement et quotidiennement avec Sarkozy depuis l'élection de ce dernier en
mai 2007 et travaille avec le président pour imposer son actuelle politique
d'austérité. Il n'y avait pas la moindre condamnation de son initiative
conjointe avec Sarkozy consistant à développer des discussions tripartites
entre le patronat, les représentants du gouvernement et les syndicats afin
d'élaborer une politique industrielle permettant à l'impérialisme français
d'être compétitif dans l'arène mondiale et dont la journée du 22 octobre fait
partie intégrante.( Lire aussi France :
Avec la politique industrielle de la CGT, les travailleurs vont payer pour la
crise)
Bernard Thibault, qui avait essuyé de
sérieuses critiques pour avoir refusé de se rendre auprès de travailleurs
d'usines en lutte contre les licenciements et les fermetures et qui a provoqué
une colère toute particulière quand il a refusé de soutenir les six
travailleurs de Continental poursuivis en justice pour des actions de défense
de leurs emplois, s'est hasardé à s'adresser aux manifestants à Denfert
Rochereau quelques minutes avant le départ du cortège.
« La
situation est gravissime, et ce rassemblement est conçu pour donner un signal
d'alerte », a-t-il pontifié, ajoutant, « 20.000 emplois sont
supprimés par mois actuellement dans le secteur industriel, et 300.000 emplois
sont menacés à terme. »
Il s'est fait conspuer et siffler par des
groupes de manifestants qui criaient « Démission ! »
Francis Thomann, travailleur chez Nexus, le
spécialiste de la production et du traitement du cuivre, a dit à la presse que
son entreprise venait d'annoncer la suppression de 240 emplois à Chauny, dans
le département de l'Aisne en Picardie : « Sur les sites, les
dirigeants syndicaux, on ne les voit que lorsque les gros médias parlent de
nous. Ils sont juste là pour la photo, et le reste du temps sont fourrés à
l'Elysée [palais présidentiel] ou à Bercy.[ministère des Finances.] »