Alors que la population est
de plus en plus mécontente devant la lenteur de la campagne de vaccination pour
la grippe H1N1 à travers le Canada et indignée par le traitement préférentiel
réservé à certaines personnes haut placées, les officiels de la santé aux
niveaux fédéral et provinciaux continuent de renier leurs engagements, envers
les groupes à risque et la population en général qui souhaitent se faire
vacciner.
Quelques semaines plus tôt,
les autorités sanitaires se vantaient que le Canada allait disposer de plus de
50 millions de doses de vaccins à administrer à quiconque souhaiterait recevoir
ce vaccin. La population nationale s’élevant à 34 millions, le débat
public portait surtout sur la distribution de doses en surplus vers
d’autres pays. On a fait remarquer que, parce que le gouvernement avait
signé un contrat avec GlaxoSmithKline, une pharmaceutique possédant une usine
de production en territoire canadien, les pénuries anticipées aux Etats-Unis et
ailleurs ne surviendraient pas au Canada.
« Le Canada est
bien préparé pour ces situations grâce à des années de planification », a
affirmé l’administrateur en chef de l’Agence de la santé publique
du Canada, David Butler-Jones.
Ce scénario favorable
dépeint par les officiels de toutes tendances politiques a cependant rapidement
fait place à des accusations publiques d’incompétence,
d’indifférence et de favoritisme. La mauvaise gestion de la pandémie de
H1N1 par les autorités canadiennes a même été comparée à la réaction de
l’administration de George W. Bush face à l’ouragan Katrina.
Depuis le 30 octobre,
pratiquement chaque province et territoire a été forcée de réduire et modifier son
programme de vaccination, augmentant ainsi la vulnérabilité de la population à
la propagation du virus. En Ontario, la ministre libérale de la Santé, Deb
Matthews, a annoncé mercredi dernier que la province allait manquer de doses
avant le week-end. L’Alberta est déjà en manque de vaccin et a fermé
temporairement cette semaine des cliniques, même pour les groupes les plus à
risque.
En Colombie-Britannique, la
province où il est survenu le plus de décès et d’hospitalisations causés
par le virus de la grippe, tous les centres de vaccination étaient fermés le
week-end dernier en raison de pénurie de vaccin. A
l’Ile-du-Prince-Edouard, la vaccination des groupes d’enfants les
plus vulnérables a été suspendue. Et dans de nombreuses villes à travers le
pays, les plans de vaccination pour les personnes ne faisant pas partie
d’un groupe à risque ont été suspendus indéfiniment, et ce à un moment où
les responsables de la santé publique estime que la pandémie de grippe
n’a pas encore atteint son pic et qu’elle va demeurer en force
durant le mois de décembre.
Jusqu’à maintenant,
101 personnes sont mortes au Canada d’une infection par le virus H1N1 et
1700 ont été hospitalisées. D’autres victimes sont assurément à prévoir
alors que la pandémie approche un pic.
De plus, mettant en
évidence les conditions affreuses qui existent au sein des réserves
amérindiennes du Canada, les Premières Nations ont été proportionnellement
beaucoup plus touchées par la première vague de H1N1 ce printemps et en début
d’été. Les Amérindiens et les Inuits comptent pour moins de 4 pour cent
de la population canadienne mais, à la mi-août, comptaient pour 11,1 pour cent
de tous les cas rapportés de grippe porcine, 15,6 pour cent des
hospitalisations, 15 pour cent des patients atteints admis aux soins intensifs
et 12,3 pour cent des décès dus au H1N1.
La pauvreté, la malnutrition, les logements surpeuplés et le manque
d’accès à l’eau potable — des situations habituelles sur les
réserves autochtones canadiennes et dans les villages où les Inuits ont été
installés — contribuent à la propagation rapide du nouveau virus,
explique Malcolm King, le directeur scientifique de l’Institut albertain
de la santé des peuples autochtones aux Instituts canadiens de recherche en
santé : « Déjà dans la première phase de l’épidémie de grippe
porcine, les peuples autochtones ont payé durement le prix. Les perspectives
que leur santé soit affectée de manière disproportionnée lors de la prochaine
vague de la pandémie planent au-dessus de nous ».
L’approvisionnement actuel du Canada en vaccin a été attribué à des
retards dans la production de vaccin chez la compagnie pharmaceutique
GlaxoSmithKline à Sainte-Foy, dans la province de Québec. Apparemment, la chute
de production a été due à un changement vers la production d’une quantité
de vaccins spéciaux « sans adjuvant » pour les femmes enceintes. Plus
tôt, le gouvernement fédéral avait été critiqué pour ne pas avoir prévu
suffisamment de doses de ce vaccin spécial. Le changement soudain dans la
production a eu un impact significatif sur la production.
Mais la réaction inadéquate du gouvernement à la pandémie de grippe H1N1
n’est pas due qu’aux ralentissements de la production à
l’usine de Ste-Foy.
Même dans les cliniques où le service a été disponible pour les groupes à
haut risque — les jeunes enfants, les personnes de moins de 65 ans avec
des problèmes de santé, les femmes enceintes, les gens habitant des régions
reculées ainsi que ceux qui fournissent les soins — les temps
d’attente ont été longs. Les critiques ont remarqué que les longues files
d’attente aux cliniques publiques sont au moins en partie le résultat de
l’échec des autorités de la santé à assurer la livraison adéquate et à
temps du vaccin aux bureaux de médecin de famille.
À Toronto, Vancouver et Montréal, la semaine dernière, ces groupes plus
vulnérables ont été maintenus à l’extérieur, dans des files
d’attente désorganisées, jusqu’à 6 heures au froid et à la pluie.
Le manque de préparation a été tel pour cette pandémie que les autorités
savaient avec certitude, depuis bien plus que six mois, qu’elle
éclaterait, que des cliniques publiques ont été organisées de façon désordonnée
chez des concessionnaires automobiles, dans des stationnements et
d’autres lieux sans même un toit de fortune pour se protéger contre le climat.
Au Québec, les autorités ont demandé des preuves de résidence locale avant de
fournir les services, après que des troubles eurent lieu entre des gens
provenant de différentes municipalités qui attendaient en ligne.
Mais alors que les gens faisant partie des groupes à haut risque continuent
d’attendre pour être vaccinés, et alors que les enfants plus âgés et les
adultes, moins vulnérables, attendent, jusqu’ici en vain, leur tour pour
être vaccinés, des rapports ont commencé à paraître les uns après les autres
montrant les efforts des sections les plus privilégiées de la société pour
court-circuiter le système et recevoir leur vaccin.
La colère ressentie par la population face au fait que des individus bien
nantis se soient assuré d’être servis d’abord a mis en lumière
les divisions de classe sans cesse grandissantes de la société canadienne.
À Toronto, trois milliers de doses du vaccin ont été livrées à la clinique privée
et profitable, Medcan Clinic — une entreprise qui fournit un traitement
dispendieux (2300 dollars par personne pour un examen médical
« avancé ») à une clientèle qui fait partie de l’élite
patronale de Toronto. Lorsque la découverte fut communiquée à travers les
journaux de la ville, la ministre provinciale de la santé, Matthews, dont le
gouvernement permettait de telles pratiques, a juré
« d’examiner » l’affaire.
Au même
moment, d’autres abus sont révélés, dévoilant combien le système de santé
à deux vitesses a crû au Canada.
La MontrealGazette a rapporté que les 200 principaux donateurs et leur famille à
l’Hôpital général juif de Montréal avaient eu un accès prioritaire aux
vaccins H1N1. A Toronto, l’ensemble du conseil des directeurs du Mount
Sinai Hospital a violé les règles fédérales régissant l’attribution des
vaccins en court-circuitant la queue. Ils ont été vaccinés avant même que les
cliniques de vaccination pour les groupes les plus vulnérables aient été
ouvertes. Le docteur Donald Low, microbiologiste en chef de l’hôpital et
directeur médical des laboratoires de santé publique de l’Ontario, a
dit : « Ce que l’on voit n’est pas très beau. »
Depuis que les agissements des directeurs du Mount Sinai Hospital sont connus
du public, il a été également révélé que les conseils de directeurs de trois
autres hôpitaux de la région de Toronto avaient aussi reçu un traitement
préférentiel.
Sans aucun
doute un des incidents le plus largement rapporté dans la presse sur le
court-circuitage des queues par les élites, il a été révélé que les athlètes
millionnaires de deux clubs de hockey professionnel, les Flames de Calgary et
les Maple Leafs de Toronto, ainsi que le club de basketball des Raptors de
Toronto se trouvaient parmi les premiers à être vaccinés, malgré le fait
qu’ils font partie d’un des groupes les moins vulnérables à la
grippe.
Mais même
si ces révélations ont été largement désapprouvées par la population, les
éditorialistes des grands médias ont sauté sur l’occasion qui leur était
offerte de faire la promotion d’un système de santé entièrement à deux
vitesses basé ouvertement sur le profit. Ainsi, le Calgary Herald a
proposé que la décision de violer les règles de la santé publique et de
vacciner les joueurs de hockey professionnels était « très à propos du
point de vue des affaires ».
Le National
Post a ajouté sa contribution au développement de l’argumentation en
postulant que le court-circuitage des queues est déjà bien établi dans le
système de santé canadien, malgré la création du mythe du système de santé
universel propagé par l’ensemble des principaux partis politiques au
Canada. Le quotidien, qui est depuis longtemps un défenseur acharné de la
privatisation tous azimuts du système de santé public a utilisé les ratés
gouvernementaux pour relancer le débat sur les soi-disant avantages de la médecine
pour le profit.
Mais
l’incompétence gouvernementale et le court-circuitage des
queues dont les éditorialistes font leur chou gras sont la conséquence
d’un fait capital. L’échec de l’établissement de Sainte-Foy,
comme de toutes les autres grandes pharmaceutiques internationalement, à offrir
une quantité suffisante de vaccins contre le virus H1N1 expose le mensonge
d’un des tenants essentiels du capitalisme : la « main
invisible » du marché peut rationnellement distribuer les biens et
services essentiels.
Les grandes
pharmaceutiques ont évalué que la production de vaccins contre la grippe
n’était pas suffisamment profitable. En plus de ne pas rapporter
beaucoup, les vaccins produits sont inutiles pour l’année suivante à
cause des mutations du virus de la grippe d’une année à l’autre.
L’établissement de Sainte-Foy n’a conservé sa capacité de
production de vaccins en 2001 qu’après avoir obtenu un contrat de 300
millions sur 10 années du gouvernement fédéral ainsi que d’autres fonds
gouvernementaux pour agrandir l’usine.
Les grandes
pharmaceutiques ont d’immenses ressources à leur disposition pour
développer des façons plus modernes de produire en masse les vaccins. Mais les
profits vont plutôt aux chefs d’entreprise et aux actionnaires multimillionnaires,
et la part du lion des revenus ne va pas à la recherche et au développement de
nouveaux médicaments, mais plutôt à la mise en marché et à
l’administration. De plus, une partie importante de la recherche et du
développement vise à développer des médicaments « moi aussi », une
version légèrement modifiée de médicaments déjà existants se vendant bien dans
le but de prendre des parts du marché au moyen d’un produit breveté.
Les efforts
du monde médical et scientifique pour comprendre et combattre la grippe porcine
sont aussi compromis par l’absence d’une stratégie mondiale,
conséquence directe de l’existence du système des États-nations en
concurrence les uns avec les autres.
Alors que
le virus ne connaît pas de frontières, les gouvernements des nations les plus
riches ont chacun adopté leur propre stratégie contre la grippe. Chacune de ces
stratégies vise à mettre la main sur le plus grand nombre de vaccins possible.
Ce ne sont que les restes, dont l’existence semble de plus en plus
improbable, qui iront aux pays pauvres. C’est pourtant dans ces pays que
le virus de la grippe pourra faire les plus grands dégâts, leur population ne
pouvant avoir facilement des soins, de la nourriture ou de l’eau saine.
Le problème
central de la pandémie de grippe porcine n’est pas de nature scientifique
ou médical. Contrairement à ce qu’affirment sans fondement certains
groupes, tant à gauche qu’à droite, il n’y a pas de preuves
historiques ou scientifiques qui contredisent le rôle vital de la vaccination.
Le problème
est plutôt la subordination du développement scientifique à la course aux
profits des sociétés pharmaceutiques et la décimation du système de santé
publique. Sur une échelle mondiale, ceci est système anarchique des
gouvernements nationaux en concurrence les uns avec les autres. Une fois libéré
de ces contraintes, il ne peut y avoir de doute que la science et la médecine augmenteront
de façon importante la durée et la qualité de vie de milliard de personnes.