Les Etats-Unis et ses alliés planifient
augmenter de façon importante le nombre de leurs soldats en Afghanistan. Dans
une allocution télévisée qu’il donnera mardi prochain à l’école militaire de
West Point, le président américain Barack Obama annoncera son intention
d’augmenter le contingent de l’armée américaine en Afghanistan d’environ 30.000
soldats. Il y a actuellement 68.000 soldats américains dans ce pays.
Le secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh
Rasmussen cherche au même moment à ce que les pays européens déploient 10.000
soldats de plus en Afghanistan. Et tout laisse croire qu’on acquiescera à ses
demandes. Malgré la croissance des tensions économiques et politiques entre les
Etats-Unis et les puissances européennes, ces dernières appuient entièrement la
guerre en Afghanistan. Ayant soutenu la guerre dès son commencement, les
puissances européennes souffriraient autant que les Etats-Unis des conséquences
d’une débâcle comme celle du Viet Nam.
Selon le nouveau secrétaire de la Défense
allemand, Karl Theodor zu Guttenberg, les Etats-Unis et ses alliés sont
condamnés « à réussir » en Afghanistan. Le déploiement est « le
test déterminant, non seulement pour l’alliance transatlantique, mais pour tout
l’Occident », a-t-il déclaré.
La décision du président Obama suit des
disputes acerbes au sein des dirigeants américains et de l’OTAN. En plus d’une
augmentation substantielle du nombre des troupes, le résultat en est une
nouvelle stratégie dont les implications réelles sont masquées par le terme de
« régionalisation ».
Durant sa première visite à Washington,
Guttenberg a dit qu’il était nécessaire de mettre de côté « l’idée
romantique de la démocratisation de tout un pays selon le modèle
occidental » et qu’il fallait plutôt « céder le contrôle des
provinces une à une aux forces de sécurité afghanes ».
Ces vues sont clairement partagées par le
gouvernement américain et sont la conclusion des discussions ayant eu lieu au
sein de l’administration américaine. Guttenberg, qui est ministre depuis quatre
semaines seulement, a été reçu à bras ouverts à Washington. Il a depuis cultivé
des rapports transatlantiques étroits avec des politiciens influents comme le
secrétaire à la Défense Robert Gates, le sénateur John McCain et l’adjoint au
secrétaire d’Etat Jim Steinberg. Gates a décrit son collègue plus jeune comme
« une autorité respectée » en matière de politique sécuritaire et
comme un « grand ami » des Etats-Unis. Le président du centre d’expertise
sur la politique étrangère Center for Strategic and International Studies, John
Hamre, a dit de Guttenberg que c’était « le politicien d’Allemagne et
probablement d’Europe qui a été le plus souvent invité à Washington ».
A Washington, Guttenberg a fait part du
fait que le gouvernement allemand était prêt à s’impliquer davantage le long de
la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan et à prendre « une plus
grande part du fardeau ». Officiellement, il n’y aura pas de décision
avant la conférence internationale sur l’Afghanistan prévue en janvier, mais le
secrétaire à la Défense allemand n’a pas laissé de doute sur le fait que son
gouvernement soutiendra l’expansion prévue de la guerre.
La nouvelle stratégie de
« régionalisation » de l’Afghanistan a pour but de diviser ce pays en
cantons individuels, à la manière de ce qui a été fait au Liban et dans
l’ancienne Yougoslavie. Jusqu’à ce jour, les occupants américains et de l’OTAN
soutenaient le gouvernement de Hamid Karzaï et vendait la guerre à la
population comme un processus de « démocratisation » du pays.
Toutefois, les forces d’occupation, de plus en plus, se préparent à donner le
pouvoir aux seigneurs de guerre régionaux et à leurs milices, avec l’hypothèse
que de telles forces régionales suivront mieux les ordres de leurs maîtres
impériaux. Aussitôt qu’il n’y aura plus de danger dans une province donnée, a
déclaré Guttenberg, alors les troupes internationales devraient en être
retirées.
Le Frankfurter
Neue Presse a écrit sur
la nouvelle stratégie en Afghanistan : « L’Afghanistan est une
société tribale et clanique, dans laquelle les chefs de clan déterminent quels
candidats présidentiels devraient être choisis par leurs sujets. Celui qui a le
soutien d’un nombre suffisant de chefs de clan gagne l’élection. »Le quotidien
cite ensuite le général britannique Paul Newton qui, d’une façon entièrement
cynique, a résumé la nouvelle stratégie de guerre en déclarant qu’on doit se
munir « de sacs d’or » pour acheter la collaboration des chefs
régionaux.
Hamid Karzaï, la
marionnette des forces d’occupation, n’a pu conserver le pouvoir qu’en achetant
les bonnes grâces des plus importants chefs de clan régionaux. Alors que les
forces de l’occupation appellent publiquement Karzaï à agir contre la
corruption et le favoritisme, ils ont aujourd’hui adopté une stratégie visant à
obtenir la collaboration des éléments les plus corrompus de l’Afghanistan.
Les talibans,
qui ont joué jusqu’à ce jour le rôle crucial du vilain dans la propagande des
Etats-Unis et de l’OTAN pour justifier la guerre, font aussi partie de ceux
avec qui on désire augmenter la collaboration. Selon les journaux, le
gouvernement américain autait déjà contacté des éléments talibans
« modérés » en Afghanistan. Selon le magazine allemand Der Spiegel, le
médiateur principal avec les talibans est la famille royale d’Arabie saoudite.
La nouvelle stratégie de guerre aura des conséquences
catastrophiques pour la population de l’Afghanistan. L’augmentation du nombre
de soldats mènera à une expansion du conflit et à un niveau plus élevé de
victimes civiles. Le renforcement du statut de chef de clan et de seigneur de
guerre régional va davantage paralyser le pays et le plonger dans un conflit au
caractère encore plus civil et tribal.
La manipulation continuelle des conflits régionaux fait du pays, à long terme,
un jouet pour les impérialistes. A sa propre manière présomptueuse, Guttenberg
appelle cela une « structure de sécurité auto-suffisante ». En fait,
c’est la plus vieille tactique dans le livre de la guerre néocoloniale :
diviser pour régner.
La nature véritable de la guerre en Afghanistan devient de
plus en plus évidente. Ce n’est pas la question de la démocratie, ni de la
lutte contre les talibans ou al-Qaïda, dont les partisans en Afghanistan ne
seraient qu’au nombre de quelques dizaines, qui est en jeu. C’est plutôt le
contrôle impérialiste d’un pays qui, des décennies durant, a été d’une grande
importance géopolitique pour sa position entre l’Iran et le sous-continent
indien et les deux plus importantes régions productrices de pétrole au monde,
le golfe Persique et l’Asie centrale.
La guerre n’est pas seulement faite contre le peuple
afghan ; elle va à l’encontre de la volonté et, dans une large mesure, se
décide à l’insu des populations américaine et européenne, qui rejettent en
majorité la guerre.
(Article original anglais paru le 27
novembre 2009)