Après cinq semaines de grèves et de protestations des enseignants-chercheurs
de l’université et des étudiants contre les réformes qui minent le statut des
professeurs et la qualité de l’enseignement supérieur, le mouvement a toujours le
vent en poupe. Et ce malgré le recul sur ses propositions de la ministre de
l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse et le fait que les syndicats
présentent les quelques concessions mineures faites par le gouvernement comme
une base pour un accord.
Le 5 mars, 20 000 enseignants-chercheurs, personnels
administratifs et étudiants ont défilé à Paris. 23 000 autres sont
descendus dans la rue dans 20 villes, notamment à Lyon, Toulouse, Nantes,
Rennes, Bordeaux, Strasbourg, Nancy, Brest, Montpellier et Caen. Deux fois en
l’espace e deux semaines, l’université parisienne de la Sorbonne a été occupée
par 200 étudiants qui ont ensuite été évacués par les CRS. Parmi les slogans et
les banderoles de la manifestation parisienne on pouvait lire, « Non à la
casse des universités et de la recherche, non à la destruction des
statuts ! » ainsi que « IUFM en colère, non à la démolition de
la formation des maîtres, retrait immédiat de la réforme
Sarkozy-Darcos-Pécresse » une référence à la ministre de l’Enseignement
supérieur et au ministre de l’Education nationale Xavier Darcos.
Une pancarte disait, « Guadeloupe partout, Grève générale »,
une référence à la grève de 44 jours contre la vie chère dans les Antilles
françaises.
Le secrétaire général de la FSU (Fédération syndicale unitaire,
le syndicat enseignant majoritaire) Gérard Aschieri a déclaré, « Le
mouvement en Guadeloupe, qui a réussi à mobiliser et obtenir des résultats, ne
peut que nous aider dans notre mobilisation. »
Ces déclarations sont démenties par les actions de la FSU qui
refuse de mobiliser les travailleurs et le personnel de l’Education nationale depuis
l’année dernière pour s’opposer aux 13 500 suppressions d’emplois de
professeurs du secondaire imposées par Darcos, isolant ainsi les lycéens dans
leur lutte.
Les délégués de la coordination nationale des universités,
représentant les enseignants-chercheurs et le personnel de 67 universités, se
sont rencontrés vendredi dernier après la manifestation. Ils ont exprimé leur
volonté de lutter jusqu’à l’abrogation complète de la loi LRU (Loi relative aux
libertés et responsabilités des universités) sur l’autonomie des universités.
Les délégués ont rejeté les concessions du gouvernement qu’ils ont qualifiées
de « scandaleusement insuffisantes » et déclaré que « Rien n’a
été obtenu sur la masterisation et la réforme des concours de recrutement des
enseignants. »
Cette position est bien différente de celle des syndicats
(Sgen-CFDT, Sup’Recherche Unsa, Autonome Sup et Force ouvrière) dont le
représentant du Sgen-CFDT Thierry Cadart a dit avoir trouvé un
« consensus » avec le gouvernement. Le Snesup-FSU n’a pas pris part
aux négociations mais s’est quand même déclaré « prêt à rencontrer le
gouvernement. »
Le gouvernement s’était trouvé isolé lorsqu’il avait essayé de
présenter un décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs il y a de
cela cinq semaines. Jusque-là, les dirigeants syndicaux et le syndicat étudiant
UNEF (proche du Parti socialiste) avaient accepté la loi LRU votée en 2007. La
révolte des enseignants-chercheurs s’était concentrée sur les nouveaux pouvoirs
accordés aux présidents d’université, permettant à ces derniers de décider du
temps alloué à chaque enseignant pour l’enseignement ou pour la recherche, sur
la base d’une évaluation de ces enseignants. Le premier ministre François
Fillon avait immédiatement demandé à la ministre de l’Enseignement supérieur
Valérie Pécresse de réécrire entièrement le décret.
La coordination des enseignants-chercheurs a dit le 6 mars que
« la réécriture du décret est inacceptable dans la mesure où elle
maintient les orientations du premier texte. » Elle a appelé à de
nouvelles manifestations le 11 mars et à l’extension de la mobilisation à tous
les enseignants et personnels, de la maternelle à l’université.
Le gouvernement a cédé sur la question du temps alloué à
l’enseignement et à la recherche, disant que cette division ne serait pas
imposée mais faite avec le « consentement » des enseignants. De plus
ils seront évalués nationalement et par leurs pairs. Mais la question qui unit
les enseignants-chercheurs et les étudiants est celle de la formation des
maîtres et du statut des professeurs stagiaires se destinant à devenir
enseignants dans le primaire ou le secondaire. Les syndicats réclament que la
mise en place de ce volet de la réforme soit repoussée d’une année.
Cette nouvelle formation des maîtres appelée « masterisation »
conduira à une détérioration du statut des nouveaux enseignants et de la
sécurité de l’emploi dans un contexte d’aggravation du chômage de masse. Le
statut en vigueur jusqu’à présent des professeurs stagiaires fonctionnaires,
jouissant d’une garantie d’emploi à vie, est remis en question. Le nombre de
postes d’enseignants, avec garantie d’emploi et statut de fonctionnaire, ouvert
aux concours de recrutement a été réduit de moitié. Ceux qui obtiendront le
master d’enseignement, sans pourtant réussir le concours de recrutement, seront
malgré tout qualifiés pour enseigner et constitueront une réserve d’enseignants
aux droits fortement réduits, qui seront embauchés sur des contrats à durée
déterminée et sans garantie d’emploi. Auparavant il était possible d’avoir ce
statut d’enseignant précaire dès l’obtention de la licence.
Les propositions de formation des enseignants dans le cadre de
la loi LRU marque l’arrêt de mort des IUFM (Instituts de formation des maîtres)
Actuellement, après la licence, les étudiants préparent pendant un an à
l’université le concours de recrutement, puis le concours réussi, entreprennent
une année de stage de formation en qualité de professeur stagiaire. Cette année
de formation, en poste dans un établissement scolaire et rémunérée, sera
supprimée et remplacée par un diplôme de master, en deux ans et sans
rémunération.
Les suppressions de postes de professeurs à l’université sont
aussi fortement contestées. Bien que le gouvernement promette à présent de
geler ces suppressions jusqu’en 2011, 1000 postes ont déjà été supprimés cette
année. Le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) va aussi perdre
800 postes de recherche et d’ingénieurs. Les syndicats espèrent négocier un
compromis sur les emplois et la formation mais laissent en l’état la loi LRU
sur l’autonomie des universités (une forme de privatisation rampante) qui est
en train d’être mise en place dans 20 universités françaises sur 83 cette
année. Cette loi donne aux présidents d’université le pouvoir d’établir le
budget, de chercher des financements privés et même de vendre les biens de
l’université.
L’opposition des étudiants à la loi LRU reste déterminée, mais
recueille un soutien moins massif que l’an dernier. Actuellement 25 universités
sont touchées par des grèves, des manifestations et des boycotts de cours par
les étudiants. Le principal syndicat étudiant UNEF avait appelé à la fin des
mobilisations étudiantes contre la LRU il y a de cela 18 mois, après des mois
de grève. Le président de l’UNEF de l’époque, Bruno Julliard avait appelé à
« la levée des blocages et la suspension de la grève… en raison des
avancées obtenues par les étudiants. » Il est à présent porte-parole du
Parti socialiste sur les questions d’éducation.
La section étudiante du syndicat SUD (Solidarité, Unité,
Démocratie) reconnaît l’objectif du gouvernement de « soumettre les
universités à des logiques de comptabilité, les mettant en concurrence les unes
avec les autres, les obligeant à recourir aux financements privés. » Mais
elle se contente de déclarer que « la mobilisation doit continuer à
s’amplifier pour faire plier le gouvernement. » et ne dit rien de
l’isolement de la lutte par l’UNEF et la bureaucratie syndicale.
Le gouvernement Sarkozy a été affaibli par l’opposition à ses
réformes et par la crainte qu’une révolte sociale se propage des Antilles vers
la métropole. Ce sont les syndicats et les partis d’opposition (Parti
socialiste, PS et Parti communiste, PC) qui maintiennent le gouvernement en
place. Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot déclare
qu’il faut une grève générale pour « faire reculer » le
gouvernement sur la question des emplois et des salaires. Mais son but est de
lier le sort des travailleurs aux syndicats qui appellent encore à une autre
grève d’une journée le 19 mars, soit sept bonnes semaines après les grèves et
manifestations du 29 janvier où trois millions de personnes s’étaient mobilisés
contre la politique d’austérité de Sarkozy.
Compter sur la pression qu’exerceraient les syndicats sur le
gouvernement Sarkozy pour le faire vraiment reculer sur son programme de
régression sociale, s’est révélé illusoire. Toute défense réelle des acquis
sociaux implique une rupture d’avec ces organisations et leurs soutiens de
gauche, et la construction d’organisations indépendantes de lutte, avec pour
perspective la réorganisation socialiste de l’économie sous le contrôle
démocratique de la classe ouvrière.