Le congrès européen du parti Die Linke (La
Gauche) qui eut lieu le week-end dernier à Essen, dans la région de la Ruhr,
s’est prononcé sans équivoque en faveur de l’Union européenne. Ce faisant, Die
Linke remplissait une condition de base pour son éventuelle participation au
gouvernement après les élections fédérales qui doivent se tenir en septembre
prochain.
Tous les intervenants, y compris les deux
présidents du parti, Lothar Bisky et Oskar Lafontaine, ont précisé que le rejet
du parti du Traité de Lisbonne n’était lié à aucune hostilité en tant que telle
envers l’UE. Bisky, qui a été désigné tête de liste pour les élections
européennes en juin prochain par plus de 93 pour cent des délégués, a
dit : « Die Linke ne tient ni à abolir l’Union européenne ni à
revenir à une exclusivité des Etats-nations. » Lafontaine a tenu des
propos similaires. « Il n’y a pas d’ennemis de l’Europe à ce
congrès », a-t-il dit. Il n’est nullement contre l’Union européenne mais
est plutôt en quête d’une « UE différente ».
Avant le congrès, un débat vigoureux s’était
engagé au sein de Die Linke au sujet du Traité de Lisbonne qui avait été
élaboré pour remplacer la constitution européenne qui échoua en étant
définitivement rejetée par les électeurs français et néerlandais lors des
référendums de 2005.
Die Linke est l’un des trois groupes à avoir
déposé une plainte contre le Traité de Lisbonne auprès de la Cour
constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Deux membres de Die
Linke qui sont tous deux des députés allemands de longue date au parlement
européen, Sylvia-Yvonne Kaufmann et André Brie, ont exprimé leur soutien au
Traité de Lisbonne. En raison de leur soutien au traité, ils ont tous deux été
évincés de la liste des candidats retenus par la direction du parti pour les
élections européennes de cette année.
De ce fait, certains médias avaient reproché à
Die Linke d’être « anti-européen » (FAZ) et de représenter une
opposition « radicale » et « une attitude critique vis-à-vis du
système » de l’UE (West Allgemeine Zeitung (WAZ) et Die Welt).
Bisky et Lafontaine se sont efforcés tous deux de réfuter ses affirmations.
L’Union européenne avec son énorme appareil
bureaucratique de Bruxelles représente sans ambiguïté les groupes financiers et
économiques les plus puissants d’Europe. Au nom de la libre concurrence, l’UE
impose la suppression des droits des travailleurs, applique une redistribution
fondamentale des ressources sociales au profit des riches et défend aussi les
intérêts des grandes puissances européennes par des moyens militaires. Le
travail de l’UE est dicté par une armée de membres de groupes de pression à
Bruxelles et ses institutions opèrent en se soustrayant pratiquement à tout contrôle
démocratique.
Die Linke ne rejette pas l’Union européenne.
Au contraire, il essaie de draper l’UE du manteau de la démocratie. C’est en
cela que réside la véritable signification de la plainte juridique déposée
contre le Traité de Lisbonne.
Lafontaine réclame un référendum sur le
traité, davantage de droits pour le parlement européen, un « gouvernement
économique » européen ainsi que des niveaux minimums pour les impôts et
les questions sociales. De plus, il critique le fait que le « déploiement
de forces militaires par l’Union européenne ne soit pas expressément lié à un
contrôle parlementaire ».
Die Linke n’est pas le seul plaignant à élever des objections
contre le Traité de Lisbonne. D’autres plaignants comprennent le politicien de
droite Peter Gauweiler (Union chrétienne-sociale, CSU) et un groupe dirigé par
Franz Ludwig Graf Stauffenberg (CSU), le fils de l’homme qui avait tenté
d’assassiner Hitler. Ils sont aussi d’avis que le traité « n’est plus
compatible avec les structures essentielles d’un Etat démocratique
constitutionnel » (Stauffenberg). Même la Cour constitutionnelle fédérale
admettait dans ses auditions initiales que les plaignants pourraient avoir gain
de cause en faisant appel.
Lafontaine qui était le président de 1995 à 1999 du Parti
social-démocrate pro-UE a des liens étroits avec la France. En 2005, lorsque la
constitution européenne fut rejetée par deux nations communautaires, en dépit
du soutien reçu par les principaux partis politiques européens, Lafontaine fut
la seule personnalité politique allemande influente à avoir participé aux
réunions appelant à voter contre la constitution.
L’Union européenne est également fortement impopulaire dans
beaucoup d’autres pays. Partout où la population a eu l’occasion d’exprimer son
opinion, elle a rejeté la constitution européenne et le Traité de Lisbonne. Les
interventions militaires européennes en Afghanistan et ailleurs rencontrent une
opposition tout aussi farouche de la part de l’opinion publique.
Die Linke veut créer une soupape de sécurité pour ce
mécontentement tout en maintenant l’Union européenne. Le parti redoute, tout
comme la bureaucratie syndicale, qu’il sera plus difficile de contenir et de
canaliser l’opposition publique lorsque les pouvoirs quasi dictatoriaux de l’UE
seront renforcés avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
Kaufmann et Brie ont compliqué la situation pour Die Linke en
soutenant ouvertement le Traité de Lisbonne. Ils jouissent d’un soutien
substantiel au sein du parti. Ils ont tous les deux bénéficié d’un soutien
considérable de la part des délégués quand ils s’étaient portés candidats et ce
en dépit de toute recommandation de la direction du parti. Tous deux ne peuvent
compter que sur le soutien des fédérations de l’ancien Parti du socialisme
démocratique (PDS, le prédécesseur de Die Linke) qui sont actives dans les
municipalités en Allemagne de l’Est et qui reçoivent des subventions de
Bruxelles.
Kaufmann avait rejoint en 1976 le SED (Parti socialiste unifié
d’Allemagne, SED, le parti stalinien unique de l’ancienne Allemagne de l’Est et
prédécesseur du PDS) ; elle fut l’une des candidates tête de liste du PDS
lors des élections européennes en 1994, 1999 et en 2004. Elle avait
personnellement participé à l’élaboration du Traité de Lisbonne (recevant la
Croix fédérale du mérite pour services rendus) et avait voté pour le traité au
parlement européen.
Brie fait partie du SED depuis
1970 et fut un membre dirigeant du PDS, beaucoup le considèrent comme l’un des
« idéologues en chefs » du parti. Il a occupé un bon nombre de postes
dans le parti notamment en tant que directeur de campagne électorale, de membre
de la commission des principes fondateurs du parti et de vice-président. Tout
comme Kaufmann, il siège au parlement européen depuis 1999 et plus récemment comme
membre du Comité de la sécurité et de la défense des droits de l’homme.
Contrairement à la ligne du parti, il soutient également l’actuel déploiement
des troupes allemandes en Afghanistan.
Ces deux soi-disant
« politiciens réalistes » (Realpolitiker) ont tiré la seule
conclusion logique du soutien de Die Linke de l’Union européenne : si l’on
soutient l’UE en principe, alors l’on doit s’engager pour la poursuite de ses
objectifs au sein de ses comités. Kaufmann et Brie ont précisément fait cela au
cours de ces dernières années.
Lors du congrès du parti, le
président Bisky a expressément remercié Kaufmann pour son
« engagement » au parlement européen. Le Traité de Lisbonne, selon
Bisky, représente aussi un pas en avant. Il « a élargi les droits du
parlement européen et des parlements nationaux, il a introduit un autre mode de
vote au Conseil, et il a ancré l’engagement de la charte des droits
fondamentaux de l’UE ainsi que les premiers pas de la démocratie
participative ». Ceci est bien loin de toute opposition fondamentale aux
traités de l’UE.
Compte tenu du vaste soutien dont bénéficient Kaufmann et Brie
en Allemagne de l’Est, Lafontaine a exigé des membres du parti qu’ils
respectent le système proportionnel entre les candidats de l’Est et de l’Ouest
du pays.
« Les listes ont un sens parce qu’elles contribuent à
nous souder ensemble », a expliqué Lafontaine avant le vote. « C’est
pourquoi nous avons essayé de réaliser un équilibre entre l’Est et l’Ouest
entre femmes et hommes. Ce ne serait pas bien si des candidats supplémentaires
de l’Est venaient à exclure de la liste des candidats de l’Ouest. Evitez s’il
vous plaît ceci, il n’est question que d’Est contre Est ou Ouest contre Ouest,
rien d’autre. »
Jusque-là,
le SPD a justifié son refus d’envisager une coalition au niveau fédéral avec
Die Linke sur la base de la politique étrangère de ce dernier et de son refus
des missions internationales de l’armée allemande. Le niveau relativement élevé
de soutien pour Kaufmann et Brie prouve que si l’occasion se présentait pour
Die Linke d’entrer au gouvernement, il se rallierait rapidement à la ligne
pro-UE du gouvernement et de l’establishment allemands.
L’opposition du parti au militarisme n’est qu’une autre carte
entre les mains de sa direction et qu’elle pourra jouer lors de futures
négociations de coalition. Ceci apparaît avec évidence même aux commentateurs
conservateurs. Samedi dernier, l’édition on-line du journal FAZ écrivait :
« L’exigence de retrait des troupes allemandes d’Afghanistan reste une position
centrale de Die Linke, du moins jusqu’aux élections fédérales en
septembre. »