La participation d'Olivier Besancenot à la Convention électorale du
Parti polonais du travail (PPP), samedi 16 mai, à Katowice donne une idée
claire des objectifs réels du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA.)
Derrière tout ce discours anticapitaliste et les appels à la lutte
sociale, le NPA poursuit un programme politique complètement réactionnaire et
il est tout à fait prêt à travailler aux côtés d'organisations ouvertement de
droite. A Katowice, Besancenot est intervenu dans une réunion du PPP qui inclut
dans ses rangs des sympathisants de l'ancien dictateur polonais Pilsudski et
d'anciens permanents du parti populiste de droite, Samoobrona.
L'un des principaux intervenants au congrès était Bogdan Golik,
vice-président de la Chambre de commerce polonaise. Il y a cinq ans, Golik
avait été élu au parlement européen sur la liste électorale de Samoobronaet
occupe maintenant un siège dans le groupe parlementaire social-démocrate au
parlement européen. En juin dernier, il avait fait sa première apparition à
Lodz en tant que tête de liste du PPP pour les élections européennes.
Alors qu'en France Besancenot ne cesse de répéter qu'il ne coopèrera
pas avec le Parti socialiste, cela ne le gêne absolument pas en Pologne de
s'afficher auprès d'un homme qui siège à Strasbourg avec les socialistes
français dans un groupe parlementaire, travaille à temps complet comme
lobbyiste économique et est un nationaliste forcené. Dans son discours à
Katowice, Golik a dit à plusieurs reprises qu'il était le seul homme au
parlement de Strasbourg à représenter avec sérieux « les intérêts
polonais ».
Samoobrona dissimule ses positions politiques droitières en disant
qu'il a pour objectif de trouver une « troisième voie » entre le
capitalisme et le communisme. Besancenot a évité toute critique de ce slogan
droitier, célèbre pour avoir été utilisé par Michael Gorbachev afin de justifier
la restauration du capitalisme dans l'Union soviétique. Le mot socialisme n'a
pas été prononcé dans son discours. Au contraire, lui aussi a parlé des efforts
du NPA pour trouver un « troisième modèle ». Il a clamé sous les
applaudissements des délégués du PPP que ce n'est pas seulement le capitalisme,
mais aussi « la domination de la bureaucratie » qui est hostile aux
travailleurs.
L'alliance de Besancenot avec le PPP polonais est totalement en
contradiction avec le développement d'une perspective socialiste dans la classe
ouvrière polonaise qui est train de se radicaliser progressivement sous les
effets de la crise économique internationale.
En 1980, le mouvement Solidarnosc avait démontré la force énorme du
mouvement ouvrier polonais. Suite à la grève des travailleurs du port de
Dantzig, une vague d'occupations d'usines avait eu lieu et en très peu de temps
10 millions de travailleurs s'étaient organisés dans le syndicat Solidarnosc.
Mais il manquait aux travailleurs polonais une perspective
politique. Durant les décennies de répression stalinienne, ils furent
complètement coupés des expériences du mouvement trotskyste qui s'opposait au
stalinisme depuis 1923 en se fondant sur une perspective socialiste de gauche.
Léon Trotsky, l'Opposition de gauche et plus tard la Quatrième
Internationale ont montré absolument clairement le fossé infranchissable entre
socialisme et stalinisme. Staline n'avait réussi à consolider son régime de
terreur dans l'Union soviétique des années 1930 qu'en détruisant physiquement
l'opposition marxiste et en organisant le génocide des défenseurs de la
Révolution d'octobre.
La direction de Solidarnosc était finalement tombée entre les mains
d'éléments droitiers proches de l'Eglise catholique et s'était accommodée avec
la clique dirigeante stalinienne afin de préparer l'ouverture du pays au
capitalisme. Pour les travailleurs, il en résulta un désastre social. La
plupart des usines qui avaient été occupées en 1980 ont depuis été fermées.
La Ligue communiste révolutionnaire (LCR), prédécesseur du NPA,avait
eu sa part de responsabilité quant à la conduite des ouvriers polonais dans une
impasse en 1980. A l'époque la LCR et son organisation internationale affiliée,
le Secrétariat unifié, pabliste, sous la direction de Ernest Mandel, disait
encore adhérer au trotskysme, bien qu'ils aient dans les faits rejeté le
programme de la Quatrième Internationale bien des années auparavant. Son
adhésion de façade au trotskysme était nécessaire pour tromper les travailleurs
qui savaient que Trotsky était un opposant acharné de Staline.
Les pablistes applaudirent Lech Walesa, s'adaptèrent à sa
perspective nationaliste et soutinrent les forces qui plus tard promurent la
voie de la restauration capitaliste. Ils qualifièrent de
« trotskyste » Jacek Kuron, dirigeant de la fédération stalinienne
des étudiants qui en 1964 dans une « Lettre ouverte au Parti » avait
appelé au renversement de la bureaucratie, bien que son évaluation du
stalinisme n'ait rien à voir avec l'analyse faite par Trotsky.
Kuron devint par la suite proche conseiller de Walesa. Il s'opposa
absolument au renversement du régime stalinien par les travailleurs et invoqua
les négociations et la coopération avec le gouvernement de Varsovie. Durant la
période de la restauration capitaliste, Kuron siégea avec des représentants du
gouvernement à une soi-disant table ronde pour organiser une passation en
douceur du pouvoir d'Etat et empêcher toute intervention indépendante par la
classe ouvrière.
Entre 1989 et 1993, Kuron occupa le poste de ministre des Affaires
sociales et du Travail (avec une brève interruption) et était directement
responsable de la mise en place de ces attaques politiques et sociales qui
découlaient de la restauration du capitalisme. Kuron fait partie de toute une
cohorte de politiciens de droite qui ont émergé du mouvement Solidarnosc.
L'absence d'une perspective trotskyste a eu des conséquences dévastatrices pour
la classe ouvrière polonaise.
Besancenot poursuit aujourd'hui le travail commencé par le
Secrétariat unifié en 1980. Une fois encore la tâche consiste à faire capoter
un puissant mouvement social. A cette fin, Besancenot considère que l'étiquette
du trotskysme est une entrave. Alors qu'en 1980 la tâche était de décrire
Walesa et Kuron comme des opposants inébranlables de Staline, aujourd'hui il
s'agit de supprimer toute discussion sur les leçons de 1980 et le rôle du
stalinisme. Mentionner Trotsky soulèverait inévitablement ces questions.
Lors de son congrès fondateur, le NPA avait déjà décidé d'éliminer
de son programme toute référence à l'histoire et aux perspectives de la
Quatrième Internationale. L'effondrement de l'Union soviétique a mis fin à
toute une époque, ne cesse de répéter Besancenot. Cela rend hors de propos
toutes les expériences du vingtième siècle. Aujourd'hui tout ce qu'on peut
faire c'est de choisir ce qu'il y a « de meilleur » dans les
différentes traditions politiques, stalinienne, maoïste, réformiste, anarchiste
et syndicaliste, autrement dit un pot-pourri complètement chaotique.
Mais ni la classe ouvrière polonaise ni la classe ouvrière
internationale ne peuvent avancer d'un pas sans tirer les leçons des événements
des années 1980 et du rôle du stalinisme. Les crimes monstrueux perpétrés par
Staline au nom du socialisme servent aujourd'hui de munitions à tous les opposants
au socialisme et sont une énorme source de confusion dans la classe ouvrière.
Le but réel du voyage de Besancenot à Katowice était d'empêcher toute
clarification d'une telle confusion et de renforcer ces forces réactionnaires
qui une fois de plus se préparent à conduire les travailleurs polonais dans une
impasse nationaliste.