Les résultats médiocres du Parti socialiste
(PS), principal parti de gauche bourgeois en France, dans la campagne pour les
élections européennes provoque une grande inquiétude dans l'establishment
politique et médiatique français. Abasourdis par l'incapacité du PS à tirer
parti de la crise économique et à dépasser dans les sondages l'UMP (Union pour
un mouvement populaire) de l'impopulaire président Nicolas Sarkozy,
journalistes et politiciens lancentau PS diverses propositions
d'alliance à d'autres partis pour former une coalition électorale qui puisse
gagner.
La baisse de la base électorale du PS
résulte de son aliénation des larges couches de la population. L'alliance du PS
et du Parti communiste (PC) à partir de 1971 avait conduit à l'élection du
président socialiste François Mitterrand et à un gouvernement PS-PC en 1981 qui
avait très vite trahi les attentes de la classe ouvrière. Il avait mis en place
une politique d'austérité à partir de 1982 et par la suite, qu'il soit ou non
au gouvernement, avait continué à l'imposer aux travailleurs. Les cinq années
du gouvernement de la Gauche plurielle (PS,PC, Verts) de 1997 à 2002 du premier
ministre socialiste Lionel Jospin et sa politique procapitaliste avait
tellement aliéné la classe ouvrière que Jospin avait été relégué à la troisième
place au premier tour des élections présidentielles de 2002, dépassé par le
néofasciste Jean-Marie Le Pen.
L'absence d'une alternative électorale
viable trouble l'establishment politique français. Une vague de grèves
et d'occupations d'usines témoigne de la montée de la colère populaire face à
la crise économique et au renflouement des banques par le gouvernement à grand
renfort de milliers de milliards d'euros. Il est cependant difficile de voir,
dans la situation électorale actuelle et les alliances politiques
traditionnelles, comment pourrait venir au pouvoir un gouvernement où l'UMP
n'aurait pas un rôle dominant.
La réponse du PS a consisté à chercher à
s'adapter à la droite bourgeoise. Des journalistes et politiciens PS en vue
appellent le PS à envisager des alliances soit avec le MoDem de droite
(Mouvement démocratique) de François Bayrou soit avec une coalition plus large
de partis.
Politicien centriste qui a occupé le poste
de ministre de l'Education et plusieurs autres postes à ce ministère dans des
gouvernements de droite, Bayrou a récemment publié un livre dans lequel il
critique sévèrement Sarkozy et sa politique et intitulé Abus de pouvoir.
Dans Abus de pouvoir, Bayrou dénonce le fait que Sarkozy place les
médias sous influence, son « idéologie de l'argent », la
concentration du pouvoir en une « egocratie » reposant sur Sarkozy
seul et son mépris des droits légaux et des procédures. Bayrou a parfois
recours à un langage excessif, décrivant Sarkozy comme « un enfant
barbare » coupable de « viol » envers « la France
républicaine ».
Selon un sondage d'avril, si l'élection
présidentielle de 2012 devait se tenir aujourd'hui, Bayrou obtiendrait 19,5
pour cent des suffrages contre 20 pour cent pour Royal et 28 pour cent pour
Sarkozy. Le quotidien conservateur Le Figaro écrit que « François
Bayrou vole aux socialistes le titre de premier opposant de France. » Les sondages
montrent que quelque deux tiers des sympathisants du PS sont en faveur d'une
alliance PS-MoDem.
Une proposition d'alliance PS-MoDem a été
publiquement mentionnée pour la première fois dans une interview le 16 avril
dernier de l'ancien secrétaire du PS François Hollande parue dans le magazine L'Express.
Il demandait à Bayrou de « clarifier ses
convergences et ses divergences avec le PS, puis d'en "tirer les
conclusions le cas échéant" ».
Cette proposition n'est pas vraiment une
nouveauté: Elle avait été très controversée lorsque la candidate PS Ségolène
Royal l'avait faite après le premier tour de l'élection présidentielle de 2007.
Mais aujourd'hui la crise économique et les difficultés électorales du PS ont
rallié de larges sections du PS à l'idée d'une alliance avec Bayrou.
Le 4 mai, le maire PS de Dijon, François
Rebsamen, qui tout comme la première secrétaire du PS Martine Aubry, maire de
Lille, avait gagné l'élection municipale grâce à une alliance locale avec le
MoDem, a dit, « De nombreux socialistes ont
fait alliance aux municipales, sur la base de leurs projets, avec le MoDem. Il
en ira de même demain aux élections régionales avant le premier tour ou au
second tour. Il faut donc commencer les discussions avec François Bayrou après
les européennes... Si des convergences se confirment, il faudra élaborer un
véritable contrat de gouvernement. »
Bien que quelque peu moins enthousiaste,
l'ancien premier ministre Laurent Fabius a laissé la porte ouverte à une
alliance avec Bayrou. Quand on lui a demandé s'il pensait que Bayrou pouvait
éventuellement devenir un allié du PS, il a répondu, « C'est avec les civils qu'on fait les militaires. »
Dans son éditorial du Figaro le 4
mai, Paul-Henri du Limbert a fait l'éloge de Bayrou comme possible futur dirigeant
du PS, le comparant à François Mitterrand du PS. Mitterrand qui fut président
de France de 1981 à 1995, avait lui aussi débuté en homme de droite. Militant
dans des groupes des jeunesses catholiques de droite dans les années 1930, il
avait servi dans le régime collaborationniste de Vichy pendant la guerre. Il
faut ajouter qu'il fut ministre de l'Intérieur puis ministre de la Justice dans
la Quatrième République (1946-1958), durant la guerre d'Algérie. A ces postes,
il participa à la répression sanglante de la lutte de libération nationale du
peuple algérien, perpétrée par l'impérialisme français.
Et finalement il devint dirigeant du Parti
socialiste en 1971.
Faisant une référence pas vraiment subtile
au passé d'immigré de Sarkozy, Limbert écrit: « Il
suffirait de placer un chapeau sur le crâne de François Bayrou pour que la
ressemblance [avec Mitterrand] saute aux yeux. L'un était charentais, l'autre
est béarnais. Tous deux français jusqu'au bout des ongles, célébrant ce
"cher pays de mon enfance", qui fut l'une des chansons fétiches des
mitterrandistes lors de la présidentielle de 1988. »
Le principal éditorialiste politique du
quotidien Libération, Laurent Joffrin, a aussi soutenu une alliance
Bayrou-PS dans son éditorial du 4 mai intitulé « Comment battre Nicolas
Sarkozy ? » Il y fait remarquer que l'alliance de « l'union de
la gauche » entre le PS et le PC ne parvient plus à fournir une majorité
sûre : « L'Union de la gauche, comme la
gauche plurielle, était d'abord une union PCF-PS. Or il n'y a plus de PCF, et
le PS est moins fort : où est la majorité qu'on cherche ? Les
derniers Mohicans de la place du Colonel-Fabien regroupent sous leur drapeau
mité moins de 2 pour cent des suffrages. »
Il appelle de ce fait à une large alliance,
une « grande coalition de l'après-Sarkozy,
rassemblée, non dans une combinaison d'appareils, mais par un projet de rupture
avec le libéralisme, les forces écologistes, les socialistes à l'ancienne comme
Jean-Luc Mélenchon, le PS, les partisans de François Bayrou et même les gaullistes
sociaux et républicains tentés par un Dominique de Villepin. »
Gauche Avenir, un club de membres du PS
comprenant l'ancien ministre de la Défense Paul Quilès, la députée européenne
Marie-Noëlle Lienemann et le porte-parole du PS Benoît Hamon, propose une
alliance entre le PS et les partis à sa gauche, l'appelant le « Nouveau
Front populaire ».
Ceci fait référence au gouvernement de Front
populaire de 1936-1938 qui comprenait le Parti socialiste et le Parti radical,
un parti bourgeois, et qui avait le soutien du PC. Suite à la victoire du Front
populaire aux élections de mai 1936, la classe ouvrière avait lancé une vague
de grèves, d'occupations d'usines qui s'étaient développée en une grève
générale révolutionnaire. Ce soulèvement révolutionnaire avait finalement été
trahi par le Front populaire avec le soutien crucial du PC.
Du point de vue de la bourgeoisie, la
signification première du Front populaire est qu'il a retiré de l'agenda en
France et en Europe la lutte révolutionnaire, laissant les masses dans les pays
fascistes sous le joug de dictateurs et ouvrant la voie à la guerre. Afin de
venir à bout de la grève générale, le gouvernement de Front populaire avait
néanmoins dû accorder des concessions sociales significatives aux travailleurs,
lesquelles furent révoquées dans les années qui suivirent.
Ce sont ces concessions que Lienemann,
Quilès et Hamon ont à l'esprit lorsqu'ils appellent à un « Nouveau Front
populaire. » Mais ceci est une tromperie visant à créer l'illusion qu'une
coalition comprenant le PS, le PC, le Parti La gauche et le NPA pourrait mettre
en place des réformes sociales progressistes et protéger la population de la
crise économique mondiale.
De tels politiciens ne se demandent
jamais : qu’est-il arrivé au Front populaire original ? Il s'est
effondré en 1938 au milieu de grèves acharnées et dans un climat politique
encore plus dur qui avait vu l'interdiction du PC, la déclaration de la
Deuxième Guerre mondiale et la capitulation de la bourgeoisie française devant
les nazis. La bourgeoisie française ne fut en mesure d'accorder à nouveau les
réformes du Front populaire après l'occupation nazie que grâce à l'aide
financière massive du capitalisme américain par le Plan Marshall et la
restabilisation du capitalisme après la guerre. Mais l'actuelle crise
économique mondiale signifie précisément l'effondrement final de ce qui restait
de cette situation historique.
Le rôle politique d'un « Nouveau Front
populaire » en France aujourd'hui serait en gros similaire à celui du
gouvernement italien « L'Unione » de 2006-2008 qui regroupait le
Parti démocrate de Romano Prodi, Rifondazione Comunista et un certain nombre de
plus petits partis de protestation petits-bourgeois et
chrétiens-démocrates : cela signifierait l'austérité sociale et le soutien
à la guerre. La principale différence est que « Le Nouveau Front
populaire » fonderait sa politique sur des bases économiques dévastées par
l'avènement de la crise mondiale.
On pourrait ajouter qu'il existe un autre
précédent à une telle alliance. Lors de l'élection présidentielle de 2002,
lorsque Jacques Chirac et le néofasciste Jean-Marie Le Pen étaient restés au
second tour, aucun des partis de gauche n'avait appelé à un boycott. Au
contraire, le PS, le PC, les Verts et la LCR (le prédécesseur du Nouveau Parti
anticapitaliste NPA) s'étaient tous unis pour appeler à voter Chirac. Il en a
résulté que Chirac fut élu avec un soutien électoral écrasant, qu'il utilisa
ensuite pour faire voter un bon nombre d'attaques sociales avant que
l'opposition populaire grandissante ne limite sa liberté de manoeuvre
politique.
Dans un reportage publié par le journal L'Humanité
affilié au PC et signé conjointement par Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès,
tous deux prônent un Nouveau Front populaire fondé sur un « accord global
dans le respect de chacun », fondée sur « l'organisation immédiate
d'une "convergence des gauches" (politiques, syndicales,
associatives, citoyennes) pour faire reculer le gouvernement, imposer des
mesures plus justes, présenter une autre logique que celle de N.
Sarkozy. »
Qualifiant un tel Front populaire de
« seule voie sérieuse pour organiser la victoire de la gauche en
2012 », ils proposent la formation après les élections européennes d'un
comité pour un Nouveau Front populaire. Ce comité définirait un programme
politique permettant « un candidat unique de la gauche à l'élection
présidentielle, ainsi qu'un accord législatif assurant une représentation de la
diversité des composantes de la gauche » de la coalition.
Ségolène Royal émerge comme la partisane la
plus en vue d'une alliance à la fois avec Bayrou et simultanément des alliances
plus « à gauche. »Le 12 mai elle participait à un symposium sur
« l'avenir de la gauche en Europe » organisé par le quotidien
espagnol El Pais et le quotidien grec To Vima. Elle partageait la
tribune avec des chefs de file droitiers en vue de la social-démocratie
européenne: le président du Pasok (Parti socialiste de Grèce) Georges
Papandreou, l'ancien premier ministre italien Massimo D'Alema et l'ancien
premier ministre espagnol Felipe Gonzalez.
Dans son discours-programme, Royal a dit,
« Tout devrait réussir à la gauche européenne. La faillite de Wall Street
et la crise financière mondiale ont entraîné la condamnation du libéralisme et
ont fait place à des demandes que la gauche a toujours défendues : le
besoin d'Etat, la demande de protection sociale, des règles financières
réelles, la nécessité de mettre la finance au service de l'économie et
l'économie au service du progrès humain. »
Royal a ajouté, « Il faut aussi réconcilier
la gauche avec la radicalité qui se développe partout en Europe. »
Le bilan toutefois est clair: La réponse du
PS et de ses amis des médias face à la crise a consisté à appeler à la
collaboration avec des personnalités d'une variété de partis, allant de l'UMP
au PC, dont l'unique point commun est leur bilan de mise en place de politiques
d'austérité sociale contre la classe ouvrière.