La campagne pour l'élection au parlement
européen du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) sur une ligne réformiste
confirme la déclaration faite par le World Socialist Web Site sur le NPA
au moment du congrès fondateur de cette organisation en février 2009.
Lancée par la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR) qui s'est dissoute dans le NPA, l'initiative du NPA représente
la tentative de la LCR de répudier toute référence au marxisme et de se mettre
dans les bonnes grâces de l'establishment politique français.
Même avant le congrès fondateur du NPA,
Jean-Luc Mélenchon, membre de longue date du Parti socialiste (PS) et ancien
ministre dans le gouvernement de la gauche plurielle du premier ministre
socialiste Lionel Jospin, avait quitté le PS pour former le Parti de Gauche en
novembre 2008. Il a proposé que le NPA rejoigne le Front de gauche aux côtés du
Parti communiste (PC) et d'autres partis de « gauche » pour les
élections européennes. Une faction minoritaire active au sein du NPA et
conduite par le vétéran de la LCR Christian Picquet, a fortement encouragé une
alliance ouverte avec le Front de gauche composé par le Parti de Gauche et le
PC.
Ces propositions ont placé le NPA qui
recrute ses membres sur la base de la politique de protestation et l'image
médiatique du candidat de la LCR à l'élection présidentielle Olivier
Besancenot, dans une situation difficile. Rejoindre le Front de gauche
associerait publiquement le NPA au bilan de Mélenchon et du PC consistant à
soutenir la politique d'austérité. D'un autre côté, refuser de rejoindre le
Front de gauche conduirait à se voir accusé par Picquet et une bonne partie des
membres du NPA de briser la solidarité avec Mélenchon et le PC.
La direction du NPA a finalement décidé de
rester en dehors du Front de gauche mais de manoeuvrer pour faire porter la
responsabilité de cette division sur le Front de gauche plutôt que sur le NPA.
Critiquant le PS pour sa politique d'austérité « social-libérale » il
a demandé au Front de gauche d'organiser une campagne séparée du PS non
seulement pour les élections européennes de cette année mais aussi pour les
élections régionales de 2010.
Le NPA a fait cette requête sachant bien que
le PC ne survit financièrement que grâce à son alliance nationale avec le PS.
Le PS partage les sièges au parlement de façon à permettre au PC de maintenir
un petit groupe à l'Assemblée nationale et de retenir l'allocation financière à
laquelle elle a de ce fait droit.
Le NPA a rencontré les dirigeants du PC et
du Front de gauche le 2 mars pour débattre de l'alliance électorale pour
l'élection européenne. Comme on pouvait s'y attendre, ces partis ont refusé de
s'engager à présenter des listes séparées du PS. Le 8 mars, Christian Picquet a
annoncé que son groupe, Gauche unitaire, avait rejoint le Front de gauche pour
l'élection européenne, tout en restant membre du NPA.
Besancenot a insisté sur le fait qu'il
« n'a pas d'adversaire » au Front de gauche et qu'il était toujours
prêt à lui « tendre une main fraternelle », mais afin de conserver sa
posture d'indépendance par rapport au PS, le NPA a annoncé le 9 mars qu'il
ferait campagne séparément du Front de gauche. L'explication donnée était le
refus du Front de gauche d'exclure une alliance définitive avec le PS dans les
élections à venir et notamment les élections régionales.
Le 18 mai, une faction appelée Convergences
et alternatives, s'est constituée au sein de la direction nationale du NPA
prônant une « lutte unitaire » avec les partis du Front de gauche. Le
porte-parole du groupe, le syndicaliste Yann Cochin a dit à l'agence
France-Presse: « Nous sommes pour un front unitaire dans les luttes et les
élections. » Il a ajouté qu'il y avait déjà une « convergence de
revendications » entre le NPA et le Front de gauche. Cochin a déclaré que son
groupe représente plus ou moins 10 pour cent des membres du NPA.
Grâce à une couverture médiatique de grande
envergure du congrès du NPA et particulièrement de Besancenot, le NPA a
commencé sa campagne électorale avec 9 pour cent des intentions de vote dans
les sondages. Tout comme les résultats généralement médiocres de la gauche
officielle durant la campagne des européennes, ce chiffre est tombé autour de 6
à 7 pour cent des voix dans la plupart des sondages.
Le Front de gauche a augmenté son score
prévu, apparemment dans une certaine mesure en prenant des voix au NPA et
passant dans les sondages de 4,5 à 6 pour cent.
Le point d'appui des réunions de campagne du
NPA a été des appels à davantage de manifestations et de grèves, afin de tirer
profit de la recrudescence des luttes des travailleurs du fait de la crise
économique, notamment dans le secteur automobile ou de l'équipement.
Mais le problème auquel est confrontée la
classe ouvrière française n'est pas un manque de combativité, mais c'est
principalement la nécessité de former une organisation pour coordonner les
luttes des travailleurs et les armer d'une perspective politique véritablement
socialiste et indépendante, en opposition aux syndicats.
Le NPA a soutenu sans critique les trois
journées d'action et de grèves d'un jour et de manifestations organisées cette
année, le 29 janvier, le 19 mars et le 1er mai, par les huit principales
fédérations syndicales de France (connues sous le nom de G8.) Le NPA n'a pas
fait la critique politique évidente que Sarkozy n'a rien à craindre de ces
journées occasionnelles de grèves d'un jour.
Depuis 2007, le président Nicolas Sarkozy a
réussi à faire passer, avec la collaboration étroite des syndicats, toutes les
attaques contre les retraites et toutes les « réformes » sur le
travail. Les journées d'action des syndicats ont été organisées avec pour
unique objectif celui de désamorcer l'opposition populaire et de fournir une
couverture politique à leur collaboration avec Sarkozy.
Plutôt que de révéler au grand jour cette
trahison, le NPA a signé des appels communs de soutien aux syndicats avec le
PS, le PC, le Parti de Gauche et d'autres groupes de « gauches. »
Le NPA cultive soigneusement le fétichisme
de l'unité des syndicats et de la « gauche » dans les manifestations
contre la crise sociale provoquée par la crise économique mondiale et la
politique d'austérité du gouvernement. Tout en critiquant épisodiquement les
confédérations syndicales, dont les principales composantes sont la CGT
(Confédération générale du travail) alignée sur le PC et la CFDT (Confédération
française démocratique du travail) alignée sur le PS, pour leur manque
d'initiatives combatives, le NPA ne dénonce jamais leur intégration dans l'Etat
français et leur collaboration dans la préparation des attaques de Sarkozy
contre le niveau de vie, les conditions de travail et les droits démocratiques.
La réponse du NPA à la complicité des
syndicats avec l'Etat n'est pas la construction par les travailleurs d'un parti
révolutionnaire qui guidera la classe ouvrière dans une lutte pour le pouvoir.
Au contraire, Besancenot a appelé maintes fois à un « nouveau mai
1968 », en référence aux manifestations étudiantes et à la grève générale
qui avaient été trahies par le PC et la CGT en échange de concessions
salariales.
Cet appel à un nouveau 1968 est peut-être
plus révélateur que ne le conçoit Besancenot. Appeler à un nouveau 1968 pose
obligatoirement la question : quels furent les résultats de l'expérience
de 1968 ?
Alors que la grève de dix millions de
personnes en 1968 avait démontré la puissance énorme de la classe ouvrière,
l'histoire de France démontre depuis principalement les effets dévastateurs du
manque de perspective politique de la grève. La défaite ultime de la grève et
l'intégration des anciens étudiants gauchistes et du PC dans l'establishment
français a ouvert la voie à quatre décennies de stagnation politique et de
défaites pour la classe ouvrière.
Des industries toutes entières, notamment le
textile et l'acier, se sont effondrées, dévastant de larges régions du pays.
Les suppressions de postes et les privatisations ont éviscéré le secteur du
service public. Avec l'aide du PS et du PC, l'establishment a réussi à
marginaliser le marxisme en tant que force ayant une quelconque influence
politique significative en France.
Que Besancenot s'en rende vraiment compte ou
non, objectivement sa politique de contestation fait partie des efforts de l'establishment
visant àempêcher l'émergence d'une politique ouvrière consciente en
France et prépare pour les travailleurs des défaites similaires pour l'avenir.
C'est pour cela que la bourgeoisie s'empresse autant pour lui donner du temps
d'antenne.
Une
perspective pro-capitaliste
Il n'existe pas d'indication plus claire de
cette orientation pro-capitaliste que cette déclaration politique publiée par
François Sabado, membre dirigeant du NPA, dans le numéro de mai 2009 du
magazine Contretemps qui se consacre aux écrits de membres de longue
date de la LCR et de plus récentes recrues libertaires du NPA parmi les
intellectuels petits-bourgeois. Malgré son titre, « Une alternative
anticapitaliste en Europe » l'article de Sabado propose que le NPA serve
d'instrument de pression pour que la bourgeoisie relance le capitalisme
européen.
Il écrit : « L'Europe pourrait
constituer le cadre fonctionnel d'une relance keynésienne. Pourtant, les
politiques de l'Union européenne illustrent bien l'incapacité des classes
dominantes à impulser un tel tournant. » Il regrette que les classes
dirigeantes « n'ont pas l'intention d'imposer de nouvelles normes
financières ou de contrôler effectivement le crédit pour lancer
l'activité ».
Sabado implique que la classe ouvrière est
nécessaire pour pousser la bourgeoisie à adopter un programme keynésien. Il
écrit : « L'option keynésienne n'a pas été un choix de construction
socio-économique après un débat idéologique au sein des classes dominantes.
Elle a été imposée par des rapports de forces, une montée des luttes
ouvrières. »
Ces lignes constituent une répudiation
publique de plus par Sabado et le NPA de la politique révolutionnaire. La
politique keynésienne fait référence aux dépenses déficitaires de l'Etat
bourgeois, visant à renforcer la demande sur le marché, pour contrecarrer la
destruction du pouvoir d'achat des travailleurs du fait de la crise économique.
Une telle politique d'orientation nationale est menée par de nombreux
gouvernements capitalistes. Elle a été remise au goût du jour par les grandes
puissances, pour la circonstance, en réponse à l'effondrement financier de
2008. Dans les années 1930, elle avait pris la forme de dépenses militaires
massives par l'Allemagne nazie et du New Deal de Franklin Roosevelt aux Etats-Unis.
Des politiques keynésiennes cherchent non
pas à renverser le capitalisme, mais à le sauver dans une situation où les
agissements incontrôlés du marché libre menacent de provoquer un effondrement
économique et l'éclatement d'une révolution sociale. Les adeptes de mesures
keynésiennes, dont ceux tels Sabado, qui cherchent à canaliser les luttes des
travailleurs derrière un programme keynésien, ne sont pas des
« anticapitalistes », mais des apologues et des défenseurs du
capitalisme.
Sabado se plaint que les plans de relance
adoptés par les grandes puissances sont trop étriqués pour stopper une chute
importante de l'activité économique. « Selon le prix Nobel d'économie,
Paul Krugman », écrit-il, « le plan Obama qui dépasse 5 pour cent du
PIB en 2009, ne réussira guère qu'à réduire de moitié l'ampleur probable de la
récession. Que dire des plans de relance européens ? Ils sont pour le
moins sous-dimensionnés: 1,3 pour cent du PIB en GB, 1 pour cent en France, 0,8
pour cent en Allemagne, 0,1 pour cent en Italie. »
Sabado sait que les banques centrales qui
s'opposent à l'inflation des prix, telle la Banque centrale européenne, sont
hostiles aux plans de renflouement que l'Etat bourgeois finance souvent en
imprimant des billets de banque. Il écrit : « Il faut en finir avec
l'indépendance de la Banque centrale européenne qui deviendra une banque
publique assujettie aux institutions politiques que se donneront les peuples
d'Europe. »
Incidemment, Sabado fait remarquer que les
politiques keynésiennes des années 1930, telles qu'elles se fondaient sur des
Etats capitalistes particuliers, « se sont essentiellement déployées sur
la base de l'économie d'armement ». Bien qu'il reconnaisse implicitement
le rôle que les politiques keynésiennes ont joué dans la préparation de la
Deuxième Guerre mondiale, Sabado ne revient pas sur le fait qu'il les
recommande.
En même temps qu'il affirme la viabilité
d'une réforme du capitalisme, Sabado démontre sa démoralisation complète quant
à l'action de la classe ouvrière. Son document ne mentionne aucune des
grèves qui secouent le secteur public, les universités et une partie
significative du secteur privé tel le secteur automobile, qui n'avaient pas
connu de grèves depuis des années. Même des politiciens bourgeois tels la
personnalité en vue du PS Ségolène Royal et le dirigeant gaulliste Dominique de
Villepin mettent en garde sur l'existence d'« un risque
révolutionnaire » en France. Mais Sabado ne peut qu'exprimer l'opinion
qu'« Il n'y a pas de rapports mécaniques entre crise économique et lutte
de classes. »
Avec l'entrée dans la lutte de sections de
plus en plus nombreuses de la classe ouvrière et l'effondrement du volume du
commerce mondial et de la production industrielle, il ne reste plus à Sabado
qu'à répéter les vieilles rengaines de la LCR sur « un plan d'urgence
social et écologique » parmi lesquelles la revendication que l'Etat rende
illégal le licenciement. Son document a pour seul mérite de montrer que ces
slogans pseudo radicaux, répétés depuis longtemps dans les documents de la LCR,
correspondent à une orientation pro-capitaliste keynésienne. Elles n'ont rien
de socialiste, de révolutionnaire ou de véritablement anticapitaliste.
Sans aucune proposition politique à suggérer
aux couches grandissantes de la classe ouvrière entrant dans la lutte, Sabado
exprime sa crainte que le NPA ne perde de son influence au profit des
néofascistes. Il écrit : « Les différences entre ces périodes
historiques [les années 1930 et aujourd'hui] sont nettes. Une course de vitesse
est néanmoins engagée entre les salariés, les mouvements sociaux, le mouvement
ouvrier, et les droites populistes, autoritaires, xénophobes. »
Sabado conclut par une discussion de la
perspective d'action politique du NPA, sur notamment les raisons pour
lesquelles le NPA ne construit pas d'alliance électorale ouverte avec des
sections du PS ou du PC. Cette question que se posent des sections importantes
d'adhérents du NPA est particulièrement à propos car Sabado propose une
politique keynésienne, c'est-à-dire une politique qui ne peut être menée
qu'avec la collaboration des échelons élevés de la bureaucratie d'Etat. Une
telle politique nécessite donc le soutien des partis établis de la gauche
bourgeoise.
Sabado écrit : « Dans tous les
pays où la gauche radicale a participé à un gouvernement avec la
social-démocratie ou le centre-gauche, elle a été satellisée par la gauche
social-libérale. » Il cite pour exemple le PC dont la popularité a chuté
lors de sa participation à un gouvernement PS qui avait imposé une politique d'austérité
et qui avait au début des années 1990 rejoint la guerre du Golfe contre l'Irak.
Il cite aussi le gouvernement d'Union de Romano Prodi de 2006 à 2008 en Italie,
auquel participait Rifondazione Communista et qui avait fait voter des attaques
contre les retraites et la participation dans l'occupation de l'Afghanistan
menée par les Etats-Unis.
Comme le montrent la campagne du NPA et le
document de perspective de Sabado, le NPA est lui aussi un satellite des partis
au pouvoir, qui ne diffère du PC et Rifondazione que du fait que son orbite est
excentrée. Si Sabado se retient de consommer ouvertement l'alliance avec le PS
et le PC qu'implique sa perspective politique, c'est parce qu'il craint que
cela ne conduise à l'effondrement du soutien populaire pour le NPA comme cela a
été le cas pour le PC et à Rifondazione.
La conclusion que tire Sabado par rapport à
ces derniers s'applique tout aussi bien au NPA : « La force
d'attraction des institutions bourgeoises a été plus forte que toutes les
proclamations anti-libérales. »