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Air Canada au bord de la faillite : une autre occasion pour l’élite de faire
payer la classe ouvrière
Par
Éric
Marquis
24 juillet 2009
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Air Canada, le plus important transporteur aérien du pays,
risque la faillite pour une deuxième fois en six ans et ces difficultés sont
exploitées par la classe dirigeante pour transformer les relations de classe à
son plus grand avantage.
La crise immédiate est exprimée par un déficit de 2,9 milliards
dans les caisses de retraite et des pertes massives dans les activités d’Air
Canada. La compagnie aérienne a essuyé un déficit de 1 milliard $ en 2008 et on
anticipe une perte nette de 400 millions $ pour l’année 2009.
Mais considérant le passé d’Air Canada, une telle situation ne
devrait surprendre personne.
Depuis sa privatisation en 1989, le transporteur aérien a été
systématiquement amputé de ses sections les plus profitables aux dépens de
l’intégrité même de la compagnie, en retour de profits faciles pour les gros
investisseurs.
Après la faillite d’Air Canada en 2003, une société de
portefeuille, Ace Aviation Holding Inc. (ACE) avait été créée en collaboration
avec Deutsche Bank et Cerberus Capital Management, ce dernier devenant le plus
gros actionnaire d’Air Canada. Cerberus est reconnu pour ses activités
consistant à acheter des compagnies en difficulté pour procéder à des coupes
massives dans les coûts et la main-d’œuvre avant de revendre le tout avec
profit.
Comme l’a déclaré au Globe and Mail Ben Cherniavsky, un
analyste de l’industrie de l’aviation, « [Air Canada] a été dévasté par Cerberus…
On lui a retiré ses entreprises profitables. »
Les entités indépendantes constituées à partir des meilleures
sections d’Air Canada (comme le transporteur régional Air Canada Jazz et le
programme fidélité du Groupe Aéroplan) ont été une source importante de revenus.
Le directeur général d’ACE, et anciennement d’Air Canada, Robert
Milton, a été grassement payé pour son rôle central dans ces manœuvres
extrêmement profitables. Il empoché 39 millions en salaire, bonus et actions en
2006 et 2007. Il s’attend à recevoir 10 millions supplémentaires une fois que le
holding ACE aura revendu ses actions d’Air Canada et se sera dissous.
La compagnie mène depuis des années une attaque constante sur
les salaires et les conditions de travail. La fusion d’Air Canada et de Canadian
Airlines en 2000, par exemple, fut l’occasion pour l’élite dirigeante de réduire
drastiquement les coûts d’exploitation de l’industrie du transport aérien en
éliminant des milliers d’emplois. Après la faillite de 2003, Cerberus et ACE ont
supervisé des coupes de plus d’un milliard de dollars dans les coûts de
main-d’œuvre à Air Canada. Et aujourd’hui, dans le contexte d’une crise
économique historique et des difficultés rencontrées par toute l’industrie du
transport aérien dans les dernières années, ce processus s’accélère.
Pour tenter d’éviter un effondrement immédiat, Air Canada espère
bénéficier de 600 millions en aide et procède au même moment à un assaut majeur
contre ses quelque 23 000 travailleurs. La première étape, qui n’a pu être
réalisée que grâce à la collaboration ouverte de la bureaucratie syndicale avec
le gouvernement et la direction d’Air Canada, a vu l’imposition d’une convention
collective pour une durée de 21 mois, avec gel des salaires pour toute cette
période. Au cours de la même période, la direction ne sera pas tenue de remplir
ses obligations envers ses caisses de retraite en difficulté.
Des 600 millions d’aide dont pourrait bénéficier Air Canada,
jusqu’à 300 millions proviendraient du gouvernement fédéral et 100 millions du
Groupe Aéroplan. Il y aurait possibilité qu’ACE vienne aussi en aide mais Milton
n’a rien confirmé à ce point-ci.
Le gouvernement conservateur canadien et le ministre des
Finances Jim Flaherty ont joué un rôle majeur dans le processus de négociation
pour déterminer si un amendement au règlement fédéral allait être effectué afin
de permettre à Air Canada d’éviter les paiements à ses caisses de retraite.
Tout comme cela avait été le cas pour les négociations d’aide
économique à l’industrie de l’automobile (où le gouvernement libéral de
l’Ontario et le gouvernement fédéral conservateur s’étaient alliés dans un
assaut commun pour obtenir un maximum de concessions de la part des
travailleurs), l’aide que procurera le gouvernement sera conditionnelle à toute
une série de reculs à imposer aux employés.
Et ce support financier ne règlera en rien les problèmes
structurels du transporteur aérien. D’autres attaques contre les travailleurs
sont inévitables.
Selon le président d’Air Canada, Calin Rovinescu, qui a commenté
le résultat des votes syndicaux acceptant les concessions massives : « C'est une
étape importante en vue d'assurer la stabilité dont a besoin l'entreprise pour
affronter les difficultés actuelles. Mais les obstacles à surmonter sont
nombreux. Une restructuration complète d'Air Canada sera nécessaire pour renouer
avec la rentabilité ».
Dans la restructuration majeure en cours à Air Canada, la
bureaucratie syndicale fait tout pour rendre la tâche plus facile à la
direction, trompant les travailleurs en leur disant d’être patients et que leur
pouvoir de négociation sera probablement renforcé lors d’une supposée reprise
économique en 2011.
Dans le cas précis de cette compagnie et de son long
démantèlement, la bureaucratie syndicale s’est toujours pliée devant les
demandes de concessions de la direction, se défendant que le contexte difficile
dans l’industrie rendait inévitable des sacrifices de la part des travailleurs.
Ainsi, lors des négociations pour l’acquisition de Canadian
Airlines à la fin des années 1990, Buzz Hargrove, le président du syndicat des
Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) de l’époque avait soutenu qu’il y
avait trop de travailleurs dans l’industrie et qu’il devait aider à une
restructuration ordonnée. Il était ouvertement partisan de la compagnie Onex, un
des acheteurs potentiels de Canadian.
En 2003-2004, tous les syndicats ont été d’accord avec la
direction qu’il fallait sabrer davantage dans les emplois, les salaires et les
avantages sociaux pour venir en aide en Air Canada.
La même position est défendue aujourd’hui par l’ensemble de la
bureaucratie syndicale. Les directions des cinq syndicats avaient en effet
suggéré à leurs membres d’accepter le gel du contrat de travail et des
contributions de l’employeur au régime de retraite. En échange, les syndicats
auront jusqu’à 15 pour cent du capital-action de la compagnie et ils obtiendront
un siège au conseil d’administration, ce qui est une autre expression de
l’intégration encore plus complète de la bureaucratie syndicale et de la
direction patronale.
Quatre des syndicats auront finalement entériné les concessions
par une faible majorité mais le cinquième, l'Association internationale des
machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale (AIMTA), qui regroupe 12 300
travailleurs, a initialement rejeté l’entente à 50,8 pour cent. Les travailleurs
craignaient, avec raison, que les emplois ne soient envoyés en sous-traitance à
l’entreprise Aveos (une autre des compagnies créées avec le démantèlement d’Air
Canada), basée au El Salvador à la fin de la convention collective en 2011.
La direction syndicale, ébranlée par ce rejet, est rapidement
intervenue pour faire accepter le vote après avoir obtenu des « clarifications »
de la part de la direction. Ces « clarifications », comme une possible promesse
de limiter la sous-traitance, ne valent absolument rien au moment où un assaut
majeur prend place contre la classe ouvrière.
La bureaucratie syndicale a forcé un second vote sur l’offre,
mais en l’associant étroitement à un vote de grève. Selon cette mesure
anti-démocratique, les travailleurs auraient beau rejeter l’offre, l’entente
conclue entre la compagnie et la direction syndicale entrerait quand même en
vigueur si deux tiers des travailleurs ne votaient pas en même temps pour un
mandat de grève. Les membres de l’AIMTA auront finalement accepté les
concessions à 60,3 pour cent.
De plus, pour que les concessions soient acceptées, elles
doivent aussi être ratifiées par les 22 500 retraités de la compagnie et les
travailleurs non syndiqués. Encore une fois, la bureaucratie syndicale fait tout
en son pouvoir pour que le moratoire aille de l’avant. Ceux qui ne votent pas
seront considérés comme ayant soumis un vote « pour ». Un tiers des votes est
nécessaire pour renverser l’entente de concessions. Le syndicat des TCA les a
encouragés à appuyer le moratoire en « faisant ce qui est le plus simple, soit
de ne rien faire ».