Le gouvernement du président Nicolas Sarkozy a réagi à la grève générale en
Guadeloupe en intensifiant la répression qui a eu pour conséquence la mort du
gréviste Jacques Bino dans la nuit de mardi. Mercredi, le gouvernement a envoyé
300 policiers supplémentaires en renfort sur l’île.
Lorsque Sarkozy a prononcé son allocution télévisée mercredi soir, présentant
son plan de mesures sociales pour faire face la crise résultant de la conjoncture
économique, il n’a fait aucune référence à Jacques Bino. Il a remis toute
proposition de solution à la grève générale qui a lieu dans les Antilles françaises,
depuis le 20 janvier en Guadeloupe et le 5 février en Martinique,
jusqu’au lendemain, date de sa rencontre avec les représentants
politiques de l’île.
La revendication centrale de la grève générale, à savoir l’augmentation
mensuelle de salaire de 200 euros pour les 45 000 travailleurs les plus
pauvres de Guadeloupe, reprise aussi par le mouvement en Martinique, a essuyé
un refus catégorique de la part du gouvernement.
La réaction de la gauche et des syndicats français a été d’éviter d’apporter
leur soutien à cette revendication, d’empêcher que la lutte en Guadeloupe
et en Martinique ne rejoigne le mouvement de résistance des travailleurs de la
métropole contre la politique du gouvernement Sarkozy.
Jacques Bino, syndicaliste de 50 ans et membre de la CGTG (Confédération
générale du travail de Guadeloupe, principal syndicat) était un représentant de
LKP (Collectif contre l’exploitation) qui est à la tête du mouvement de
masse de la Guadeloupe. Il a été tué par balle alors qu’il contournait un
barrage routier installé par des résidents d’une cité défavorisée.
Jean-Marie Nomertin, secrétaire général de la CGTG ainsi que membre
dirigeant du LKP, a dit à Radio RFO, « Nous réaffirmons notre mobilisation, et nous disons plus que jamais que
l’Etat et le patronat portent l’entière responsabilité du décès
aujourd’hui de Jacques Bino et d’autres militants qui sont arrêtés
et donc de la répression plus largement. »
Nomertin a poursuivi, « Les
informations que nous avons, c’est que premièrement les jeunes ont lancé un
appel, on a appelé la police. La police a refusé de venir en disant qu’il
y avait trois blessés de leur côté, qu’ils préféraient rester à
s’occuper de leur propre corps de métier. Ensuite le SAMU et les
sapeurs pompiers étaient prêts à venir, mais avec l’accord et la présence
de la police. Et la police a décidé de dire tout simplement qu’il fallait
attendre parce qu’ils avaient trois blessés. Pendant ce temps, le
camarade perdait son sang et mourait. »
Médiapart a publié une lettre le
18 février, envoyée de son lit d’hôpital par Alex Lollia, professeur de
philosophie et membre du LKP, racontant la violence policière et le racisme qu’il
avait subis dans la nuit du 16 février. Lollia a dit dans sa lettre qu’avec
ses camarades syndicalistes « Nous
faisions tout pour calmer le jeu et encadrer les manifestants… Nous avons
vu tomber sur nous une véritable tornade de coups de matraque alors que nous
avions déjà quitté les abords de la route nationale… Ils m’ont
encerclé… Lorsque je recevais des coups de pieds dans le ventre et que je
me traînais par terre, voilà ce qu’ils m’ont dit : “On a vu ta sale gueule à la télé, on va te
la casser et tu ne pourras plus la montrer. On va vous casser sales nègres,
chiens de nègres !” »
La lettre poursuit, « J’ai
vu qu’ils traînaient par les cheveux, une femme du quartier qui
manifestait son indignation lorsqu’ils m’ont frappé. »
Le rapport de police pour la nuit de mercredi fait état de 15 commerces
pillés, 7 bâtiments incendiés, 21 véhicules brûlés, 13 arrestations et 60
interventions de la brigade des pompiers et de l’usage d’armes à
feu contre la police. Le parti au pouvoir UMP (Union pour un mouvement
populaire) a accusé le LKP d’être responsable d’avoir laissé le
mouvement « déraper. »
Ceci est réfuté par le dirigeant de la grève Elie Domota, dirigeant de la
CGTG et principal porte-parole du LKP. Il a dit à la radio France Inter, « Depuis 30 jours, la situation, on la
maîtrisait totalement et le préfet a envoyé des gendarmes qui ont tabassé des
manifestants devant les caméras de télévision, c'est comme ça que tout a
démarré. »
Le 9 février déjà, le premier ministre François Fillon avait dit clairement
que le gouvernement refusait catégoriquement de financer la revendication de
200 euros mensuels, disant que c’était une question devant être négociée
par les patrons et les syndicats. La veille, il avait rappelé en France Yves
Jégo, secrétaire d’Etat à l’Outremer, l’éloignant de la table
des négociations avec le LKP et les patrons guadeloupéens, quand il semblait qu’il
était en passe de concéder l’augmentation de salaire de 200 euros. Jégo
avait ensuite déclaré, « Nous ferons respecter l’Etat de droit si
besoin est. Avec fermeté mais sans brutalité. »
Le recours à la répression a été facilité par le manque total de solidarité ou
de soutien clair des syndicats et des partis de gauche aux revendications des
masses guadeloupéennes. Il a fallu attendre pas moins de 27 jours après le
début du mouvement pour que se tienne la première manifestation de solidarité à
Paris, le lundi 16 février. Aucun d’entre eux n’a appelé à avancer la
journée nationale d’action prévue par les syndicats pour le 19 mars, afin
de la relier à la lutte qui se déroule actuellement aux Antilles. Cette journée
d’action du 19 mars est une suite bien tardive de la mobilisation du 29
janvier où plus de 3 millions de travailleurs et de jeunes avaient fait grève
et défilé contre la vie chère et le chômage et pour la défense des services
sociaux contre le programme d’austérité du gouvernement.
La majorité socialiste au conseil régional de Guadeloupe a essayé
d’affaiblir la détermination des grévistes par des propositions visant à
les amadouer et qui ont été rejetées. Libération
du 16 février écrit, « Pour tenter de débloquer la situation, les
présidents du conseil régional et général de Guadeloupe, Victorin Lurel [PS] et Jacques Gillot [alliée
au PS], ont lancé un appel commun à “l’assouplissement de la mobilisation” et mis sur la
table une proposition : le versement d’une prime mensuelle de
100 euros par leur collectivité, durant trois mois, pour les salariés
gagnant jusqu’à 1,4 fois le Smic. Le LKP l’a aussitôt rejetée,
dénonçant un “détournement de
l’aide sociale”. Il appelle l’Etat à “honorer sa parole” en prenant
en charge les 108 millions d’euros nécessaires à une hausse des
salaires les plus modestes, comme cela avait été convenu lors d’un
préaccord avec Yves Jégo, il y a une semaine. Mais par crainte que
la Guadeloupe ne fasse tache d’huile outre-mer et en métropole, François
Fillon et Nicolas Sarkozy ont dit niet. »
Le Monde a dit que pour Martine
Aubry, première secrétaire du PS, « il n’est pas question de souffler inconsidérément sur les
braises du mécontentement social. » Il cite ses remarques du 13
février à la presse : « Je
crains effectivement que le sentiment de ras-le-bol des Guadeloupéens et des
Martiniquais se diffuse ici…Le président de la République reste sourd aux
attentes des Français… et c’est
ce décalage qui me fait craindre une propagation des événements qui agitent les
Antilles. »
Un autre mauvais service rendu à la Guadeloupe et aux masses françaises et
émanant de la direction du Parti socialiste, sont les déclarations de Malik
Boutih. Il est l’ancien dirigeant de l’organisation antiraciste SOS
Racisme, sponsorisé par le PS, et l’auteur du document programmatique du
PS proposant la mise en place de quotas d’immigration. Boutih qui est
actuellement courtisé par Sarkozy pour qu’il rejoigne son gouvernement a
cherché à réduire ce conflit à une question raciale. Il a dit qu’il y
avait « quelque chose de choquant à voir des bataillons de CRS blancs,
affronter une population noire. » Une remarque qui suscite cette
question : Est-ce que cela changerait quelque chose si les policiers étaient
noirs ? Cela ne les empêcherait pas d’agir pour le compte de
l’impérialisme français.
Certains dirigeants du LKP ont fait des déclarations mettant l’accent
sur la question raciale. Quatre-vingt-dix pour cent de la richesse de
l’île est entre les mains des familles de « békés », les descendants
des colons esclavagistes blancs. Ils contrôlent la plupart des grandes surfaces,
avec des franchises des principales chaînes françaises. De récentes études ont
montré que les prix majorés de la nourriture et des biens importés de
l’étranger, attribués aux coûts du transport, sont frauduleusement
gonflés par ces grandes surfaces, de même que le prix de l’essence est
majoré par la succursale de Total, SARA, qui détient le monopole de
l’approvisionnement aux Antilles.
Ces pratiques sont endémiques à la poursuite de super profits dans une situation
de mondialisation capitaliste. Elles sont exacerbées par l’aggravation de
la crise économique mondiale et se répercutent bien au-delà des Antilles
françaises. Elles touchent les travailleurs du monde entier, ainsi que ceux de la
métropole. Un hospitalier originaire de Guadeloupe et travaillant à Paris a dit
au journal britannique Observer :
« Les profiteurs sont des deux côtés, noir comme béké… Les békés
sont des descendants des colons esclavagistes qui ont bâti leur fortune sur nos
souffrances. Mais, que les choses soient claires : ce racisme n’est
pas la raison derrière le conflit actuel. Il s’agit d’une révolte
contre la misère. Je me demande comment cela n’a pas éclaté avant. »
La tendance de la direction du LKP à présenter cette lutte comme une question
nationale et non pas de classe sociale, contribue à l’isolement du
mouvement par rapport à la classe ouvrière française. Les dirigeants du LKP ne
cherchent pas à unifier les luttes de Guadeloupe avec celles des travailleurs outre-Atlantique.
Un élément clé de leur revendication d’une augmentation mensuelle des
salaires de 200 euros est un appel au gouvernement français pour qu’il
subventionne les patrons en les exonérant de leurs taxes et de leurs charges
sociales.
Après le sommet social de mercredi entre les syndicats, les patrons et le
gouvernement, Jean-Claude Mailly de Force ouvrière a dit à la radio Europe 1, « On devrait être sorti
de ce conflit depuis plus de 15 jours, si le message lu par Yves Jego à travers
le préfet était respecté, où il s'engageait à des allègements de charges pour
les entreprises, permettant derrière un deuxième accord sur les salaires. »
Médiapart a publié des
déclarations de dirigeants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) affichées le
17 février, montrant leur désir d’apparaître comme des membres
responsables de la classe politique de la République française et de freiner la
révolte. Jean-François Grond a dit de la visite prévue pour vendredi
d’Olivier Besancenot en Guadeloupe et à la Martinique, « Il ne
s’agit pas de jeter de l’huile sur le feu, mais d’aller
sentir l’ambiance. » Quant à la « contagion » de la
révolte passant des Antilles à la France, Grond a nié que le NPA puisse avoir
un rôle à jouer : « On n’a jamais participé des fantasmes de la
vision policière voulant que l’on télécommande un mouvement social. Ça,
c’est la société hexagonale qui le décidera. »
Alain Krivine, membre fondateur de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR)
qui s’est dissoute dans le NPA, a fait la démonstration de la lâcheté
politique et de l’opportunisme de son mouvement lorsqu’il a
expliqué le manque d’empressement du parti à réagir à la lutte en
Guadeloupe et à y envoyer une délégation. Il a affirmé que le retard était
« pour
justement attendre de voir s'il prenait de l'ampleur et pour ne pas être accusé
de le récupérer… On est les derniers à gauche à s'y rendre! … On se
fait même engueuler par notre base qui nous demande pourquoi on n’y est
toujours pas. »
(Article original anglais paru le 20 février 2009)