Le quotidien économique influent Les Echos
a insinué que les manifestations de masse et les grèves générales dans les
départements français d'outre-mer, la Guadeloupe et la Martinique, devraient
être réprimées. L’éditorial de ce journal appartenant à Bernard Arnaud, l’homme
le plus riche de France et un ami proche du président Nicolas Sarkozy, disait
le 10 févrierque « dans une Guadeloupe en pré-insurrection
permanente, la forme et l'ampleur du mouvement… incite à faire respecter
l'autorité républicaine ».
Des renforts de police ont été envoyés sur les
deux îles.
La grève générale en Guadeloupe touche à sa
quatrième semaine. En Martinique elle en est à son douzième jour. Des
manifestations se sont produites mobilisant jusque 100 000 personnes sur
les 500 000 habitants que compte la Guadeloupe et 25 000 sur une
population martiniquaise de 400 000 personnes.
Exprimant le
refus des travailleurs d’endosser le fardeau de la crise économique qui va
s’aggravant, les grèves sont une grande préoccupation pour le gouvernement du
président Nicolas Sarkozy qui est actuellement en train de renflouer les
banques et les grandes entreprises avec les milliards des contribuables.
Le refus du gouvernement d’accéder à la
revendication d’une augmentation de 200 euros mensuels en salaire et
prestations sociales pour les 45 000 travailleurs aux salaires les plus
bas, a renforcé et durci la grève en Guadeloupe. Le 8 février, le secrétaire
d’Etat français de l’Outre-mer Yves Jégo a été rappelé à Paris. Il a fait état
de « la situation exceptionnelle de la Guadeloupe, de nature
insurrectionnelle ».
A son retour dans les Antilles, Jégo a insisté
à maintes reprises, « Ce n’est pas à l’Etat à déterminer le montant des
salaires ou le montant des négociations. »
En France métropolitaine,
le 29 janvier plus de trois millions de travailleurs et de jeunes avaient fait
grève et défilé contre la vie chère, le chômage et pour la défense des services
sociaux. Les syndicats avaient limité l’action à une journée, en partie pour
isoler le mouvement de masse dans les Antilles ainsi que le mouvement dans les
universités contre les réformes gouvernementales et les suppressions de postes.
Les syndicats ont à présent reporté au 19 mars toute mobilisation nationale et
sont engagés dans des négociations avec le gouvernement et les patrons sur la
manière de contenir la résistance populaire contre le plan de relance de
Sarkozy.
L’élite politique craint fortement que le
mouvement aux Antilles ne se propage à la métropole. Le Monde du 10
février sous le titre de « Guadeloupe : le gouvernement craint la
contagion » disait que la grève générale « suscite les plus vives
inquiétudes au sommet de l'Etat. Avant la rencontre sociale du 18 février
convoquée par Nicolas Sarkozy, le gouvernement redoute que les mesures en
faveur du pouvoir d'achat qui seraient consenties dans les îles servent, en
métropole, de référence aux syndicats. »
La candidate PS vaincue
aux élections présidentielles de 2007, Ségolène Royal a fait part de ses
inquiétudes sur RMC de voir que la crise sociale dans les Antilles est « peut-être le signe avant coureur de ce qui peut se passer » en France métropolitaine.
Cette crainte est partagée par les syndicats. La
CGT (proche du Parti communiste) dans une déclaration sur son site Internet le
10 février cite la revendication de « relèvement de 200 € des bas
salaires, retraites et minima sociaux », mais ne donne aucun soutien clair à
cette revendication, ni n’appelle à une lutte unifiée contre l’austérité. Elle
se contente d’appeler à « la vigilance de tous sur le comportement et les
réponses du gouvernement face à ces conflits ».
François Chérèque de la CFDT (proche du Parti
socialiste) a mis en garde contre « une spirale dangereuse » si les
revendications des syndicats n’étaient pas satisfaites lors de leur rencontre
avec les employeurs et le gouvernement le 18 février. Il a appelé le gouvernement
à accorder une prime unique de 200 euros aux travailleurs à bas salaire des
Antilles pour les amadouer. Les partis socialiste et communiste ne mentionnent
même pas dans leur déclaration la revendication d’une augmentation de 200 euros
par mois. Vincent Peillon du PS a reproché à Sarkozy ses carences en matière
d’« art de gouverner ». Aucune de ces organisations n’a suggéré une
quelconque action de solidarité.
Ce qui unit, objectivement, les travailleurs
et les jeunes français et antillais est la tentative des patrons de leur faire
payer la récession qui s’aggrave. La France a vu une augmentation exponentielle
de son déficit commercial, un chiffre record de 55 à 56 milliards d’euros en
2008, soit une augmentation par rapport aux 40 milliards d’euros de 2007.
Malgré un plan de relance de 7 milliards d’euros pour Citroën-Peugeot et
Renault, ces entreprises viennent d’annoncer respectivement 11 000 et 9000
suppressions d’emplois et la nécessité de faire baisser le coût du travail.
L’éditorial des Echos exprimait son
soulagement de voir que Jégo avait été rappelé à Paris dans l’après-midi du 8
février avant que « l’irréversible ne soit commis » c'est-à-dire
l’octroi de 200 euros pour les 45 000 travailleurs du secteur privé.
Faisant allusion à la nécessité de répression, l’éditorial insistait, « Mais
ce qui se joue cette fois dans ce conflit, c'est la capacité de l'exécutif à
appliquer, à Paris comme à Pointe-à-Pitre, une seule et même politique de
relance par l'investissement. Car, à n'en pas douter, une forte augmentation
générale des salaires — un non-sens économique dans la situation de fragilité
des entreprises —, ferait aussitôt tache d'huile outre-mer, mais elle
fournirait aux syndicats nationaux une revendication en béton pour la
conférence sociale du 18 février. »
La révolte contre la vie chère dans les
Antilles françaises remonte à la mise en place de barrages routiers en novembre
dernier en Guyane, ancienne colonie française et aujourd’hui département
français d’outre-mer, et situé sur le continent sud-américain, par des
entrepreneurs locaux et des expatriés français réclamant l’abaissement du prix
de l’essence qui s’élevait à 1,77 euro. Onze jours plus tard, du fait de la
menace pesant sur le bon fonctionnement du centre spatial de lancement de la
fusée Ariane, Yves Jégo avait réussi à trouver un accord et à faire baisser de
50 centimes le prix de l’essence. Pour ce faire, SARA filiale de Total avait
réduit le prix de 30 centimes et des fonds publics avaient fourni une
subvention de 20 centimes. Ceci équivaut à un hold-up des fonds publics par une
entreprise qui vient juste d’annoncer des bénéfices annuels record et jamais
égalés en France, de 14 milliards d’euros.
Le mouvement a commencé de façon similaire en
Guadeloupe le 20 janvier. Mais très vite c’est devenu un mouvement de masse des
travailleurs et des pauvres contre le coût de la vie qui est, dans une des
régions les plus pauvres de l’Union européenne, de plus de 30 pour cent plus
cher qu’en France métropolitaine. En Guadeloupe le taux de chômage est de 25
pour cent et monte jusqu’à 50 pour cent pour les 15-24 ans, qu’ils soient ou
non diplômés.
La direction du mouvement guadeloupéen, le LKP
(Liyannaj Kont pwofitasyon – Unis contre
les profiteurs) est un collectif de 48 associations sociales et culturelles, de
groupes nationalistes de gauche et de syndicats, dominé par l’UGTG (Union
générale des travailleurs guadeloupéens.) L’UGTG avait été formée et
participait d’un regain de nationalisme après la répression brutale en 1967
d’un mouvement populaire luttant pour l’augmentation des salaires, conduit par
une grève d’ouvriers du bâtiment et au cours duquel plus de 80 personnes
avaient été tuées par la police française. L’UGTG est devenue le principal
syndicat, et a obtenu 52 pour cent des voix aux élections prud’homales de 2008.
Son secrétaire général Elie Demota est le principal porte-parole du LKP.
Le tract produit par le LKP pour la
manifestation de samedi dernier, affiché sans commentaire sur le site Internet
du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot, ne fait aucune
référence à la crise économique mondiale qui pousse l’impérialisme français à
attaquer les droits et le niveau de vie des travailleurs en France et partout
dans le monde. Il ne fait pas non plus de lien avec les luttes qui ont lieu en
France métropolitaine. Il fait référence au souvenir de l’esclavage, aboli en
1848 seulement, et attaque les vieilles familles esclavagistes qui dominent
toujours l’économie locale aux côtés des entreprises énergétiques transnationales
comme Total, des banques et des chaînes françaises de la grande distribution.
Mais le tract poursuit en suggérant une politique d’unité d’intérêts entre la
classe ouvrière et les entreprises locales. Le tract déclare, « Les
patrons guadeloupéens, conscients du rôle qu’ils ont à jouer dans l’économie de
leur pays, ont décidé de se rebeller contre les organisations censées les
représenter (MEDEF, CPGME [principales associations patronales,]) et de
s’organiser afin de trouver des solutions pour répondre aux revendications de
leurs salariés. »
Au lieu de se tourner vers la classe ouvrière
française, le LKP en appelle au gouvernement Sarkozy pour « obliger le
patronat de mettre la main à la poche pour augmenter les salaires des
travailleurs ».
Certains éléments du « préaccord »,
reniés par le gouvernement, mais défendus par le LKP comme une base pour la
résolution du conflit, comprennent une clause selon laquelle les patrons seront
exemptés de taxes et de contributions sociales en échange des augmentations de
salaire.
La bourgeoisie française et européenne ne peut
accepter la revendication de 200 euros par mois. Donc pour gagner, il faudrait
une mobilisation totale de la classe ouvrière dans toute la France et une
remise en question du capitalisme même. Une déclaration publiée par le NPA et
neuf autres organisations de gauche (qui avaient signé une déclaration
antérieure pour le 29 janvier contre la politique d’austérité de Sarkozy) et
appelant à une manifestation à Paris aujourd’hui, n’est même pas signée par les
partis communiste et socialiste. Le tract n’appelle aucunement à une lutte
unifiée et n’émet aucune critique de la complicité entre les syndicats, la
gauche parlementaire et le gouvernement contre les travailleurs antillais.