L'armée sri lankaise a lancé une offensive
pour capturer la petite bande de terre restant entre les mains du LTTE (Tigres
de libération de l'Eelam tamoul) dans le nord du pays. Les organismes d'aide
ont dit redouter une catastrophe humanitaire du fait que les combats englobent
quelque 100 000 civils toujours pris au piège dans la zone déclarée
« sécurisée » par le gouvernement.
Le gouvernement a rejeté des appels des
Nations unies, des grandes puissances et des organisations internationales
pour un arrêt des combats et a cyniquement qualifié son offensive de
« plus grande opération de sauvetage » visant à libérer des civils.
En fait, ce qui est en train de se produire est un crime de guerre qui a déjà
coûté la vie à des centaines de civils durant seulement ces deux derniers
jours.
La propagande gouvernementale a montré de
longues colonnes de civils fuyant le territoire contrôlé par le LTTE après que
l'armée a fait une brèche dans les barrières terrestres défensives du LTTE.
L'armée déclare avoir « libéré » plus de 62 000 civils durant
ces deux derniers jours et a diffusé une vidéo sur les chaînes télévisées de
Colombo. Le président Mahinda Rajapakse a dit que l'exode représentait
« un vote massif pour la liberté au même titre que la chute du mur de
Berlin en novembre 1989. »
Il est impossible de confirmer les chiffres
étant donné que le gouvernement a interdit tout reportage indépendant et la
plupart des organismes d'aide de la zone de guerre. La porte-parole du Comité
international de la Croix Rouge (CICR), Sarasi Wijeratne a dit aux agences de
presse que les chiffres de son organisation sont beaucoup moins importants et
font état de 11 000 personnes ayant traversé les lignes de combat lundi et
de 5000 mardi.
Le gouvernement a de bonnes raisons
d'exagérer l'étendue de l'exode pour détourner la critique internationale de
ses actions et maintenir le reste des travailleurs de l'île dans l'ignorance en
ce qui concerne ses crimes. Rajapakse accuse le LTTE d'utiliser la population
civile comme « boucliers humains », mais a ordonné à l'armée d'entrer
dans la zone sécurisée pour accomplir « la victoire totale, »
témoignant d'une indifférence cynique à l'égard des civils pris au piège.
Tandis que les organismes d'aide ont
effectivement fait état de cas où le LTTE a empêché des civils de quitter son
territoire, la raison principale de la fuite de civils se trouve dans les
conditions abominables régnant dans la zone sécurisée. L'armée a bloqué tout
approvisionnement d'aide, laissant des dizaines de milliers de civils sans
nourriture, sans abri et sans médicaments adéquats. La tactique consistant à
créer la panique, l'armée a, de façon répétée et sans discrimination, lancé des
salves d'artillerie dans cette région.
Le directeur des opérations du CICR, Pierre
Krähenbühl a décrit hier la situation actuelle comme « rien moins que
catastrophique ». Il a poursuivi : « Essentiellement, aucun des
besoins basiques des civils ne sont satisfaits en ce moment, et la crainte
d'épidémies, de malnutrition et d'augmentation des morts du fait du manque de
soins, s'accroît chaque jour...
« Nous estimons qu'il y a facilement
plus de 1000 personnes blessées nécessitant des soins urgents et une évacuation
de la zone de combat. Nous craignons beaucoup que cette offensive finale dans
cette zone, par les forces gouvernementales, contre les combattants du LTTE ne
conduise à une augmentation dramatique supplémentaire du nombre des victimes
civiles. »
Le CICR a fait remarquer que la situation
s'est aggravée depuis lundi, où l'armée a capturé le village de Putumattalan
qui était utilisé pour faire parvenir un approvisionnement limité de nourriture
et de médicaments. L'hôpital de fortune du village a été fermé. « Il n'y a
aucun soin médical dispensé. Nous lançons un appel aux deux côtés pour qu'ils
protègent les civils, et ceci ne s'est pas encore produit à ce jour, » a
dit le porte-parole du CICR Simon Schorno.
Le nombre de morts parmi les civils est en
train de s'accélérer. Les Nations unies estiment qu'au moins 4500 personnes ont
été tuées et 12 000 blessées depuis le début de l'année. Le mois dernier,
l'association humanitaire américaine Human Rights Watch a fait état d'au moins
2700 civils tués cette année dans la zone sécurisée cette année. Selon le LTTE
plus de 1000 personnes ont été tuées et 2300 blessées dans les bombardements de
ces deux derniers jours. Le porte-parole du LTTE Thileepanm qui s'est entretenu
avec la BBC par téléphone tandis qu'on entendait des bruits d'explosions a dit
que l'armée avait touché un hôpital, un orphelinat et de nombreuses maisons,
forçant les gens à se réfugier sous des bûches et dans des bunkers de fortune.
Eesan Ketheesan a dit à la radio
australienne ABC hier qu'il venait juste de parler brièvement au téléphone avec
son oncle qui se trouve dans la zone sécurisée. « Malheureusement il crie
et il pleure et il y a eu beaucoup de gens tués ce jour-là. En fait où qu'ils
aillent il y a des corps partout, et cette fois, il y a beaucoup d'enfants
tués. »
Beaucoup de ceux qui fuient la zone
sécurisée sont blessés. Médecins sans frontières (MSF) a décrit hier la
situation chaotique régnant à l'hôpital Vavuniya où plus de 400 personnes ont
été admises en l'espace de 36 heures seulement, soit le double de la semaine
dernière. « Les bus arrivent encore et en fait ils déchargent parfois des
corps sans vie parce que certains blessés sont morts en route », dit Karen
Stewart de MSF.
Il y a probablement 85 pour cent des
personnes auxquelles j'ai parlé qui ont été témoins de choses abominables,
comme se trouver dans un bunker et soudain une bombe explose et la moitié des
gens dans le bunker meurent. Une autre personne à qui j'ai parlé m'a raconté
qu'elle était sortie chercher de l'eau et quand elle est revenue tout le monde
dans le bunker où elle se trouvait était mort, » a expliqué Stewart.
Les témoignages d'inquiétude du gouvernement
à l'égard des civils pris au piège sont démentis par le fait qu'il détient ceux
qui ont fui la zone sécurisée. Loin d'être traités comme des réfugiés, ils sont
traités en ennemis et envoyés dans des camps de prisonniers sordides entourés
de fils barbelés et gardés par des militaires. D'après MSF, les centres de
détention près de Vavuniya sont très fortement surpeuplées, « dans
certains cas, une famille entière doit vivre dans un espace de la taille d'un
sofa. »
Le président Rajapakse, des ministres du
gouvernement et les médias de Colombo cherchent à attiser une atmosphère de
jubilation sur la victoire imminente de l'armée. Il s'est rendu au quartier
général de l'armée de l'air à Colombo pour regarder des vidéos montrant comment
l'armée avait pénétré dans la zone sécurisée. « Le processus de totale
défaite du LTTE a tout juste commencé, » a-t-il déclaré triomphalement.
« A présent tout est fini pour les Tigres. »
Ayant fixé un ultimatum de 24 heures à
partir de lundi midi pour que le LTTE se rende inconditionnellement, le
gouvernement va de l'avant avec son massacre final. Rajapakse a repoussé d'un
revers de main un appel de Gordon Brown, premier ministre britannique, de
prolonger l'arrêt de deux jours dans les combats. Le premier ministre
Ratnasiri Wickremanayake, témoignant du mépris officiel pour le sort des
civils, a tourné en dérision de tels appels internationaux les qualifiant de
« grosse plaisanterie » ayant pour but de sauver le LTTE.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les
grandes puissances faisant pression pour « une pause humanitaire »
n'agissent pas par souci des milliers de civils pris au piège. Pendant plus de
deux ans, ces gouvernements ont tacitement soutenu le gouvernement Rajapakse
tandis que l'armée sri lankaise violait ouvertement le cessez-le-feu,
bombardait des civils et attaquaient les droits démocratiques de base.
L'inquiétude principale de Washington est qu'un désastre humanitaire dans le
nord du Sri Lanka déstabilisera l'île et l'Inde voisin, perturbant les intérêts
économiques et stratégiques américains dans cette région.
Pour sa part, le LTTE continue à lancer des
appels futiles à ces mêmes puissances impérialistes qui ont soutenu la
« guerre contre le terrorisme » de Rajapakse et conduisent leurs
propres guerres impérialistes en Afghanistan et en Irak. Une déclaration du
LTTE faite lundi appelait le gouvernement sri lankais à tenir compte de
« l'appel à un cessez-le-feu émanant des Etats-Unis et d'autres membres de
la communauté internationale ».
La détermination du gouvernement de
Rajapakse à poursuivre son assaut quand même est un avertissement significatif
à la classe ouvrière sri lankaise. Une victoire militaire ne fera que renforcer
les sections les plus réactionnaires de l'élite dirigeante de Colombo. Loin
d'apporter la paix et la prospérité, la destruction de la capacité militaire du
LTTE dressera le décor pour un nouvel assaut sur les travailleurs. En pleine
crise économique qui va s'accroissant, le gouvernement n'hésitera pas à
utiliser le vaste appareil répressif qu'il a construit pendant 25 ans afin de
le diriger contre les travailleurs, les fermiers et les jeunes cherchant à
défendre leur niveau de vie.