Le quartier
ouvrier de Katuwana à Homagama, environ 20 km au sud-est de Colombo, a été un
temps considéré comme un modèle de « petit quartier ouvrier ». Ces
vingt dernières années des milliers de jeunes des campagnes y sont venus pour
chercher des emplois à cause des problèmes liés au déclin de l'agriculture et
au chômage. Cependant, depuis 2008, des milliers d'entre eux ont dû retourner
dans leur village après avoir perdu leur emploi.
Une équipe du
Parti de l'égalité socialiste (PES) faisant campagne pour les élections au
conseil provincial de l'Ouest du 25 avril s'est rendu dans ce quartier pour
rencontrer les travailleurs et discuter des orientations du parti. Le PES
présente une liste de 46 candidats dans le district de Colombo.
Le quartier de
Katuwana a démarré en 1990 en tant que projet de l'Autorité de développement
urbain (UDA). À la suite des politiques libérales introduites par le
gouvernement du président Jayawardene et son parti, le Parti national unifié
(UNP), arrivé au pouvoir en 1977, de grandes zones de libre-échange ont été
établies pour servir de plateformes d'emplois à bas salaires pour les
investisseurs étrangers et locaux. Le successeur de Jayawardene, Premadasa, a
lancé plusieurs petits quartiers industriels comme Katuwana, dans l'intérêt
d'hommes d'affaires locaux plus petits
Au début de 2008,
selon l'UDA, il y avait 61 entrepreneurs inscrits dans le quartier, employant
environ 10 000 travailleurs. La plupart sont des usines de vêtements
dépendantes de l'exportation. Au cours de l'année dernière, les directions ont
commencé à fermer ces usines et à renvoyer des milliers d'ouvriers, en
invoquant le manque de commandes à l'exportation et les coûts de production
trop élevés comparés à la Chine et d'autres pays concurrents.
Plus d'un millier
de travailleurs ont perdu leur emploi lorsque l'usine Time Garments a
fermé il y a quelques mois. Au moins huit usines autres usines avaient déjà
fermé, supprimant plus de 5000 emplois. Parmi celles-ci, Avlon Lanka
(détergents), Nawjeb and Warna (cartons), Steinhardt (imprimerie),
et Besley (citernes à eau).
Les ouvriers des
autres usines sont confrontés aux mêmes problèmes. Les réductions des heures
supplémentaires, des primes et des effectifs y sont aussi à l'ordre du jour.
Les petits commerçants qui survivent en fournissant des services dans le
quartier et ses alentours, les logeurs, les restaurateurs et les boutiquiers,
ont été très touchés également.
Il fut un temps où
les rues étaient bondées le dimanche lorsque les jeunes travailleurs allaient
au marché ou au cinéma. Les rues étaient désertes lorsque l'équipe du PES s'y
est rendu dimanche dernier. Pourtant, les travailleurs avaient des choses à
raconter.
Priyantha, un
employé de l'entreprise Norfolk, un abattoir, nous a déclaré : « Je
suis né à Anuradhapura [au Nord de la province du centre] d'un paysan qui
labourait la terre et essayait de nous nourrir moi et ma sœur.
« Après que
ma mère a trouvé un emploi au Moyen-Orient, nous avons grandi chez un parent de
mon père. Lorsque j'ai eu 18 ans, je suis allé à Colombo pour trouver du
travail. J'ai travaillé dans différents endroits avant de rejoindre cette
entreprise, il y a cinq ans. Mon salaire mensuel de base est de 9650 roupies
(environs 62 euros) actuellement. Avec les heures supplémentaires et les autres
bonus, je peux gagner environs 16 000 roupies par mois.
« Nos frais
quotidiens de base sont trop élevés. On doit dépenser beaucoup pour les
médicaments. Ma femme doit se rendre dans une clinique privée toutes les
semaines. À chaque fois les frais de consultation sont de 450 roupies. »
Interrogée sur la
situation sur son lieu de travail, il a ajouté : « Avant, la
compagnie parvenait à vendre nos produits aux hôtels pour touristes. Maintenant
la demande a chuté. Les gens des hôtels disent que les touristes ne viennent
plus à cause de la guerre et parce que les étrangers ont été frappés par la
crise financière. »
Interrogé sur la
guerre dans le Nord et la situation politique, il a poursuivi : « La
guerre est un grand gaspillage de vies, d'argent et de biens. Le président dit
que le pays va connaître un grand développement une fois la guerre terminée. Si
c'est le cas, c'est bien. »
Il existe parmi
certains travailleurs des illusions que la fin de la guerre contre les
séparatistes des Tigres de libération tamouls (LTTE) apportera de meilleures
conditions de vie. Pour l'essentiel, ces illusions reflètent l'intense
propagande du gouvernement et des médias.
Néanmoins,
Priyantha et d'autres étaient prêts à discuter de la position du PES, le seul
parti à appeler au retrait des troupes du Nord et de l'Est de l'île. Comme
l'ont expliqué les partisans du PES, la guerre a servi à diviser les
travailleurs sur des bases communautaristes et à leur faire payer la crise du
capitalisme.
Des hommes groupés
à un croisement de rues ont fait entendre leur haine des grands partis
politiques. Susantha, qui travaille pour Flora, un producteur de
serviettes en papier, a déclaré qu'il ne croyait en aucun parti ou politicien.
« J'ai 32 ans. Après la première élection à laquelle j'ai participé, je
n'ai plus voté pour personne. Pourquoi est-ce que je devrais le faire ?
Personne ne parle en notre nom.
« Ce quartier
est situé dans la circonscription d'Homagama. Le ministre du Commerce, Bandula
Gunawardena représente ce siège. Ce quartier part en morceaux. Des milliers de
gens ont perdu leur emploi. Il est sourd et aveugle à cela. Qu'est-ce que
propose le JVP [Janatha Vimukthi Peramuna – parti d'opposition] ? Par le
passé ils parlaient des travailleurs, mais ils n'ont rien fait. Je n'ai aucun
parti pour lequel voter. »
Après une longue
discussion sur la guerre, la récession mondiale qui s'aggrave et ses causes
ainsi que les positions du PES, Susantha a dit : « c'est la première
fois que je vois ce programme. Je voudrais en discuter encore avant de me
décider sur mon vote. »
Alors que nous
parlions avec une femme au foyer, son mari nous a interrompus avec emportement,
demandant à connaître le but de notre visite. Il avait la soixantaine. Il a
demandé : « Avant cet effondrement économique, il n'y avait aucun
mouvement pour avertir la classe ouvrière. Où étiez-vous ? »
Nous avons
expliqué que le PES et son prédécesseur, la Revolutionary Communist League
(RCL) mettaient en garde depuis 40 ans contre l'effondrement du système
capitaliste.
Il a reconnu le
nom de la RCL. Il avait été membre du Lanka Sama Samaja Party (LSSP),
anciennement un parti trotskyste, qui avait trahi la classe ouvrière en entrant
dans un gouvernement bourgeois dirigé par le Sri Lanka Freedom Party
(SLFP – parti de l'indépendance du Sri Lanka) en 1964. Il se rappelait un
discours fait en 1969 par Keerthi Balasuriya, fondateur et secrétaire général
de la RCL, à l'Université de Jayawardenepura, dans lequel Balasuriya expliquait
l'émergence de la crise mondiale.
« Avant
qu'ils rejoignent le SLFP, je suis allé à une conférence régionale du LSSP où
les dirigeants du parti essayaient de justifier cette coalition. Un dirigeant,
Osmond Jayaratna, avait dit que même après être entré dans le gouvernement du
SLFP, le parti n'abandonnerait pas l'indépendance de la classe ouvrière.
« Pour
justifier la trahison, les dirigeants du LSSP ont dit tellement de mensonges.
Ils ont dit que les bolcheviques avaient participé au gouvernement de coalition
de Kerensky en Russie en 1917. On y a cru parce que nous n'avions pas étudié
l'histoire de la Révolution russe. » Il a expliqué que de nombreux membres
avaient été découragés et désorientés par le comportement du LSSP. Il a
souhaité le succès du PES.
Un travailleur de
l'enseignement, qui dirige également une pension pour pouvoir entretenir sa
famille, a décrit la situation où se trouvent bon nombre de ses locataires.
Après avoir perdu leur emploi, ils ne sont pas retournés dans leur village tout
de suite, ils ont essayé de survivre en faisant d'autres boulots. Ils ont
rapidement été dans l'incapacité de payer le loyer mensuel. Bien qu'il leur
laisse quelques mois de plus pour rester, en fin de compte il doit leur dire de
partir.
Sanjeewanee
travaille dans une usine de conditionnement du thé pour un salaire mensuel de
6000 roupies. Avec les aides et les heures supplémentaires, elle peut gagner
2000 roupies de plus. Elle dépense 1300 roupies pour le loyer, partageant une
pièce de seulement 9 mètres carrés avec quatre autres personnes. Pour les
repas, elle doit dépenser environ 4000 roupies.
Elle a
déclaré : « Je ne peux pas mettre un seul centime de côté pour mes
parents au village qui ont du mal à nourrir et payer l'éducation de mes frères
et sœurs plus jeunes. De nombreux travailleurs mariés ont quitté l'usine parce
qu'ils ne pouvaient pas nourrir leurs enfants avec ce salaire de misère. »
« Le week-end
prochain nous retournerons à la maison pour le festival de Nouvel An. La
tradition veut que l'on offre quelque chose aux membres de la famille. Mais,
avec la chute de la demande de thé, cette année nous n'avons eu aucune heure
supplémentaire. La direction dit que le marché a été très touché par la crise
internationale. Avec cette récession, nos emplois ne sont pas sûrs. »
Avant de quitter
ce quartier, l'équipe s'est rendue dans un petit hôtel pour prendre une tasse
de thé. Quand on lui a demandé quel était l'effet de la fermeture des usines
sur son commerce, Mala Kanthi Jayasinghe a expliqué : « J'ai ouvert ce
restaurant en 2003. Jusqu'au début de l'année dernière, je gagnais plus de
30 000 roupies par mois. Maintenant j'en gagne moins de 9000. » Elle
a dit qu'elle devrait bientôt fermer l'hôtel.