Fin mars, le premier ministre italien,
Silvio Berlusconi fondait à Rome un nouveau parti droitier. Il a fusionné son
propre parti, Forza Italia, qu’il avait d’abord créé en 1994, avec la
néofasciste Alliance nationale (Alleanza nazionale, AN) dirigée par Gianfranco
Fini pour former le parti de droite Peuple de la liberté (Popolo della Libertà,
PdL).
Les deux partis droitiers de Berlusconi
et de Fini qui ont travaillé ensemble ces quinze dernières années avaient déjà
utilisé le même nom, Peuple de la liberté, lors de campagnes électorales
communes et comme partenaires dans le gouvernement de coalition. Plusieurs
petits partis sont également rassemblés dans le nouveau parti aux côtés de Forza
Italia et de Alliance nationale, y compris le groupe d’extrême droite Azione
Sociale dirigé par Alessandra Mussolini, la petite-fille du dictateur fasciste
Benito Mussolini.
Le congrès fondateur du parti s'est tenu
dans un immense hall à Rome où sont programmés d’habitude des concerts rock.
Berlusconi a été « élu » dirigeant unique du nouveau parti par
acclamation par environ 6000 délégués. Il n’y avait pas de candidat concurrent.
Le soi-disant « congrès » était un événement médiatique entièrement
taillé sur mesure pour la personne de Berlusconi. La foule scandait
« Silvio, Silvio » en agitant des fanions de Forza Italia et des
drapeaux nationaux pendant que retentissait des haut-parleurs la mélodie à
laquelle Forza avait déjà recouru lors de la campagne électorale comme hymne à
l’honneur de Silvio. Son refrain est : « Président, nous sommes avec
toi, heureusement que Silvio est là. »
750 journalistes assistaient à ce
spectacle qui a coûté 3 millions d’euros et qui a été retransmis dans le pays
entier par au moins trois chaînes de télévision nationale.
Les structures internes du nouveau parti
sont entièrement subordonnées au « presidente », la dénomination
préconisée par le nouveau dirigeant du parti. Il n'exista aucune structure
démocratique interne à ce nouveau parti. « Il presidente » nomme les
membres de la présidence, du comité de direction ainsi que les trois
coordinateurs du parti, il dispose également du dernier mot sur la sélection
des candidats du parti pour les élections européennes, nationales et régionales.
Dans son discours au congrès, Berlusconi
avait réclamé une « révolution libérale, civile et populaire ». Il en
a expliqué ensuite la signification en exigeant une « meilleure
gouvernance de l’Italie » et « des pouvoirs plus étendus pour le premier
ministre ». A l’avenir, en tant que chef du gouvernement il veut être
habilité à nommer et à congédier arbitrairement des ministres et avoir le droit
de dissoudre le parlement. Ces deux derniers pouvoirs étant pour le moment du
ressort du président de la République.
Le mépris de Berlusconi à l’égard des us
et coutumes et des règles du jeu parlementaires était apparu clairement avant
le congrès quand il avait proposé que seuls les représentants des groupes
parlementaires soient présents durant les votes parlementaires et qu’ils
puissent voter au nom de l’ensemble du groupe parlementaire.
La seule personne à critiquer les
attaques de Berlusconi à l’encontre de la procédure démocratique a été
Gianfranco Fini, chef de longue date de Alliance nationale et actuel président
du parlement italien. Dans son discours prononcé devant le congrès, Fini a
rappelé aux délégués que le gouvernement devait respecter l’opposition et les
droits des étrangers. « Nous ne devons pas avoir peur de l’étranger, nous
sommes nous-mêmes les enfants d’un peuple d’émigrés », a dit Fini.
Les commentaires de Fini ne sont pas
motivés par de quelconques préoccupations quant à l’avenir de la démocratie en
Italie mais reflètent bien plutôt une lutte pour le pouvoir qui a lieu au sein
de la direction du nouveau parti. Fini n’est pas seulement l’allié politique de
longue date de Berlusconi mais aussi son principal rival. Fini se voit comme
l’héritier politique du dirigeant du parti et qui est de quinze ans son aîné,
il craint que les tendances autocratiques de Berlusconi n’altèrent ses chances
de succès.
Le parti de Fini Alliance national est né
en 1994 du Movimento Sociale Italiano (Mouvement social italien, MSI) qui a ses
racines dans le mouvement fasciste de Mussolini. Au cours d’un processus complexe
culminant dans sa visite au mémorial de l’Holocauste à Yad Vashem en Israël en
2003, Fini a cherché à se distancer des éléments les plus fascistes de son
parti afin de rendre le NA plus acceptable à l’establishment politique
bourgeois italien. Peu après son voyage en Israël, il fut nommé ministre des
Affaires étrangères par Berlusconi.
Aujourd’hui, Fini peut à nouveau tendre
la main aux fascistes purs et durs. Comme le montre l’exemple d’Alessandra
Mussolini, de tels éléments sont les bienvenus dans le nouveau parti.
D’autres membres du NA à prendre la
parole au congrès de Rome ont été Gianni Alemanno, ancien meneur fasciste et
actuel maire de la capitale italienne, ainsi que le ministre de la Défense,
Ignazio Benito La Russa. Alemanno s’était vanté de contrôler pour la première
fois Rome après 50 ans de gouvernement de gauche. La Russa en a profité pour
annoncer que le nombre de soldats engagés dans des opérations sécuritaires
serait doublé dans les prochains mois. La Russa a été nommé coordinateur au
sein du comité de direction du PdL, se positionnant ainsi immédiatement
derrière Berlusconi.
Il y a quelques semaines, La Russa et
Berlusconi publiaient un décret autorisant des patrouilles nocturnes de
citoyens en légitimant ainsi les activités violentes des bandes de droite
racistes contre les immigrés. Le gouvernement se sert délibérément des réfugiés
sans papiers comme boucs émissaires pour détourner l’attention de la crise
sociale tout en déployant l’armée à des fins domestiques.
Les
tensions sociales
Grâce à son nouveau parti, Berlusconi a
obtenu un degré d’autorité personnelle qui est en violation flagrante des
normes démocratiques en incarnant de nettes tendances bonapartistes. Il est
l’un des hommes les plus riches du pays, possédant un énorme empire médiatique
en contrôlant les six chaînes de télévision privées nationales les plus
importantes. Dans le même temps, il est à la tête du gouvernement et dirige
l’un des partis les plus grands et les plus influents du pays.
Ce pouvoir d’un seul homme est moins un
indicateur de force que celui d’une crise sociale et politique profonde du
pays. Les mécanismes démocratiques qui ont servi dans le passé à atténuer les
antagonismes de classe ont été épuisés. Les soi-disant partis d’opposition, y
compris la soi-disant Refondation communiste de « gauche », sont
totalement discrédités après des années de collaboration dans le gouvernement
mené par Romano Prodi. Berlusconi fait un numéro d'équilibriste au-dessus des
contradictions sociales, tel un artiste de cirque, cherchant à garder le
contrôle de la situation à grand renfort de propagande assourdissante, de
médias complaisants, de campagnes racistes et de violence policière flagrante.
C’est une politique qui ne réussira pas à long terme.
L’Italie a une longue tradition
ininterrompue de luttes sociales et connaît actuellement la plus profonde crise
économique de son histoire d’après-guerre. Immédiatement après que la crise
financière mondiale est survenue, le pays est entré en récession. Durant les
deux premiers mois de cette année, plus de 370 000 emplois ont été
détruits. L’OCDE prévoit que l’économie italienne se contractera de 4,3 pour
cent cette année.
Le déficit public de l’Italie figurait
déjà avant la crise parmi les plus élevés d’Europe et risque de devenir
incontrôlable. La seule contribution de Berlusconi à la résolution de la crise
a consisté à en minimiser complètement les conséquences. Au début du mois de
mars, il avait annoncé : « Arrêtez les rabat-joie, la situation est
sérieuse mais pas tragique. »
Entre-temps, la crise sociale qui règne
dans le pays s’est détériorée de façon spectaculaire. Dans le sud du pays, une
famille sur quatre vit dans la pauvreté. Comme c’était le cas dans les années
1970, des centaines de milliers de personnes migrent vers le Nord en quête de
travail, et ce en dépit du fait que le chômage augmente aussi dans les régions
industrielles du Nord.
Fiat, le premier groupe industriel
italien, a annoncé qu’il envisageait de fermer une usine. L’entreprise qui est
fortement endettée a déjà supprimé plusieurs milliers d’emplois au cours de ces
cinq dernières années par la mise en œuvre de « plans de
restructuration » et de « compression des effectifs ». Fin mars,
les travailleurs ont réagi à ces projets de fermeture d’usine à Pomigliano D’Arco
près de Naples en bloquant l’autoroute Rome-Naples et qui a ensuite été dégagée
violemment par la police.
Une
opposition inefficace
Le nouveau parti de Berlusconi ne paraît
si fort et si puissant que parce que l’opposition politique officielle est tellement
faible et inefficace. Elle a limité son « opposition » à quémander
auprès de Berlusconi le droit de s’associer à lui pour trouver « des voies
communes » de sortie de la crise économique.
Le 4 avril, à peine une semaine après la
fondation du nouveau parti de Berlusconi, jusqu’à 2,7 millions de personnes ont
manifesté à Rome contre la politique économique du gouvernement. Le message
transmis par les manifestants par l’intermédiaire du secrétaire général du
syndicat CGIL, Guiglielmo Epifani, a été un appel pitoyable réclamant du
gouvernement une « vraie table ronde pour affronter la crise
économique ». Berlusconi s'est moqué de cette revendication en disant que
la manifestation avait été aussi insensée « qu’une grève contre la
pluie ».
Epifani est un membre dirigeant du Parti
démocrate dont le chef de file Walter Veltroni, frustré, avait démissionné il y
a un mois suite à la défaite cuisante du parti aux élections en Sardaigne.
Veltroni, un ancien membre du Parti communiste italien (PCI) et maire de longue
date de Rome, avait fondé le Parti démocrate en 2007 sur le modèle du Parti
démocrate américain dirigé par Barack Obama.
Le nouveau chef du parti est Dario
Franceschini un chrétien-démocrate appartenant à la frange minoritaire La
Marguerite. Ceci signifie donc que pour la première fois le Parti démocrate qui
a ses racines dans le PCI et qui avait été autrefois un puissant parti, est à
présent dirigé par un chrétien-démocrate.
Avant le retour au pouvoir de Berlusconi,
le pays avait été gouverné pendant deux ans par une soi-disant coalition de
centre-gauche dirigée par Romano Prodi. Ces deux années ont suffi pour aliéner
de vastes couches de la population laborieuse qui furent de plus en plus
désillusionnées par la politique droitière de cette coalition et dont les
partis issus du PCI avaient formé le plus important groupe parlementaire.
Un rôle particulièrement infâme a été
joué par l’organisation Refondation communiste qui avait occupé un poste
ministériel dans le gouvernement Prodi et qui avait soutenu toutes les
décisions honteuses prises par le gouvernement. Lors des élections législatives
anticipées d’avril 2008, le parti avait perdu tous ses sièges au parlement.
C’est sa politique opportuniste qui est en grande partie responsable de la
montée de Berlusconi. Aujourd’hui, le parti se trouve dans un processus
d’auto-déchirement public.
La classe ouvrière a réagi de façon
combative à la crise financière et économique. Les conflits de classe ont
atteint une intensité sans précédent. Les formes parlementaires de gouvernement
et les formes de compromis de partenariat sociaux développées durant la période
d’après-guerre pour atténuer les conflits sociaux s'avèrent de plus en plus
inefficaces. Le pays est à la veille de connaître d’importantes luttes de
classe.
Dans le même temps, d’énormes dangers
apparaissent en raison du déclin et de la trahison des vieilles organisations
ouvrières. Le nouveau parti de Berlusconi est caractérisé par l’image glamour
de Berlusconi tout en cachant sous la surface de sévères conflits. Toutefois,
l’influence d’éléments fascistes qui n’ont jamais remporté plus de 12 pour cent
des voix aux élections et qui se considèrent à présent comme les héritiers de
Berlusconi est un signal d’alarme. La classe ouvrière italienne a déjà souffert
une fois sous le régime fasciste parce qu’une direction clairvoyante et
déterminée lui avait fait défaut.
La tâche d’établir une alternative
marxiste qui formule les besoins de la classe ouvrière indépendamment de tous
les intérêts bourgeois et qui défende un programme international et socialiste
n’a jamais été aussi urgente. A cette fin, il est nécessaire de construire une
section de la Quatrième Internationale en Italie.