Des travailleurs des deux usines Caterpillar
de Grenoble en France ont retenu dans leurs bureaux cinq cadres de leur
direction mardi matin et les ont gardés jusqu'à une heure de l'après-midi le
jour suivant. Les travailleurs sont en grève depuis lundi.
Lundi et à nouveau le mardi, la direction
avait boycotté des réunions du comité d'entrepriseappelées par les
syndicats pour discuter d'un plan impliquant 733 licenciements sur un personnel
comptant 2800 personnes sur les sites de Grenoble et Echirolles. Un peu plus
tôt cette année, Caterpillar, basé aux Etats-Unis, le plus important fabricant
au monde d'engins de terrassement et de construction avait annoncé qu'il
licencierait 22 000 travailleurs dans le monde entier.
Les travailleurs français ont retenu en
otages 5 cadres de direction pour forcer l'entreprise à négocier.
Ces actions des travailleurs de Caterpillar
reflètent l'opposition grandissante des travailleurs français face aux attaques
contre les emplois et les salaires. Quelque 80 000 emplois ont été
supprimés nationalement en février en plus des 90 000 en janvier. La
dernière estimation concernant le nombre d'emplois qui seront éliminés cette
année fait état de 400 000, mais ce chiffre ne cesse d'augmenter. Entre
deux et trois millions de travailleurs et de jeunes avaient participé aux
manifestations et grèves du 29 janvier et 19 mars derniers pour s'opposer aux
attaques contre les emplois et les programmes sociaux.
La prise en otage des patrons de Caterpillar
fait partie d'une série d'actions similaires qui se sont produites dernièrement
en France.
En février 2008, les travailleurs de BRS à
Devecey avaient pris leur patron en otage parce qu'il avait essayé de
délocaliser toutes les machines de son usine vers la Slovaquie sans les en
avertir.
Le mois suivant, des travailleurs de l'usine
Kléber de Toul avaient retenu deux dirigeants afin d'obtenir de meilleures
indemnités de licenciement.
En mars de cette année, le patron de Sony
France avait été retenu de force dans l'usine de Pontons-sur-Adour. Deux
semaines plus tard c'était au tour du patron de l'usine 3M de Pithiviers près
d'Orléans. Ces deux actions étaient des tentatives pour obtenir des concessions
de la direction sur les indemnités de licenciement.
Mardi dernier, François-Henri Pinault, PDG
milliardaire du groupe de magasins de luxe PPR a dû être libéré par les CRS
après que des travailleurs l'avaient bloqué dans son taxi pendant plus d'une
heure et demie après une réunion. Ils protestaient contre l'annonce de 1 200
suppressions d'emplois dans ses magasins.
L'entreprise allemande de pneumatiques
Continental est en train de fermer deux usines en France et une autre en
Allemagne. Les travailleurs de l'usine de Clairoix près de Paris, furieux que
l'entreprise n'ait pas respecté sa promesse de maintenir les emplois jusqu’'en
2012 après que les travailleurs avaient fait des concessions considérables en
2006 ont fait irruption lors d'un conseil d'administration qui se tenait à
Reims le 16 mars et ont jeté des oeufs et des chaussures sur leurs patrons.
L'entreprise a été contrainte mardi de tenir sa réunion du comité
central d'entreprise à 1000 km de là, dans un hôtel de Nice, avec des consignes
de sécurité très strictes.
Lundi dernier, des délégués syndicaux
négociant des plans de licenciement et de fermetures à l'usine FCI
Microconnections de Mantes-la-jolie à proximité de Paris, ont retenu deux de
ses directeurs dans la salle de réunion pendant 4 heures jusqu'à ce que la
police intervienne. Les délégués étaient soutenus par 40 des 150 travailleurs
qui sont en grève « préventive » avec piquet de grève 24hsur 24
depuis six semaines afin d'obliger l'entreprise à révéler ses projets.
Les directeurs de FCI avaient refusé de
fournir de garantie d'emploi au-delà de 2010. L'un des travailleurs a dit,
« La vie, ça se résume pas à 2009-2010. On a des vies à vivre. »
Ces actes reflètent une colère de classe qui
se développe, attisée par les parachutes dorés de plusieurs millions d'euros,
les bonus et autres primes de retraite des grands patrons français.
Le conflit chez Caterpillar révèle au grand
jour la stratégie du patronat à l'heure où le capitalisme mondial plonge le
monde dans la récession.
L'entreprise produit de gros engins de
terrassement et de construction en France et fournit aussi des véhicules
blindés pour l'armée britannique et plusieurs autres pays. Elle produit les
bulldozers blindés D9 utilisés par l'armée israélienne pour raser les logements
palestiniens.
Le PDG de Caterpillar James Owens avait été
nommé par George W. Bush à un conseil consultatif de négociations commerciales
et est célèbre pour sa course au profit impitoyable par le biais d'attaques
contre les emplois et les conditions de travail. Il était, selon le classement
de Forbes, au 181e rang dans la ligue des plus hauts salaires de PDG en 2008,
engrangeant 17 millions de dollars. Il avait soutenu le rival républicain de
Barack Obama, John McCain lors de la course à la Maison-Blanche. Ceci n'a pas
empêché Obama de le nommer à l'Economic Recovery Advisory Board (Conseil
consultatif pour la reprise économique) avec pour tâche de restaurer la
profitabilité des grandes entreprises par la destruction des acquis sociaux et
du niveau de vie de la classe ouvrière.
En janvier, en réponse à la dégradation des
perspectives économiques, Caterpillar qui a fait état de 3,5 milliards de
dollars de profit l'an dernier, a annoncé la suppression immédiate de 5 000
emplois, dont 733 en France et la suppression totale de 22 000 postes dans le
monde. L'entreprise prévoit une chute de 55 pour cent des commandes entre 2008
et 2009.
Nicolas Polutnik, PDG de Caterpillar France
a affirmé à maintes reprises que les usines françaises ne pourront être sauvées
que grâce à ces suppressions d'emplois. Il a dit à la presse : « Il
faut absolument que nous gardions les intérêts de l'entreprise sous peine de
gérer non pas 733 suppressions d'emplois, mais la totalité. »
Mercredi, la direction a accepté de reprendre
les négociations et proposé de ne pas faire de retrait de salaire pour les
trois jours de grève si les syndicats mettaient fin à la grève. La direction
propose en guise d'indemnité de licenciement 60 pour cent du salaire mensuel
par année travaillée, avec un plafonnement à 10 000 euros.
Le conflit démontre aussi l'échec total de
la réponse syndicale face à l'ampleur de la catastrophe confrontant la classe
ouvrière.
Les délégués de la CGT (Confédération
générale du Travail) proche du Parti communiste, ont dit qu'ils maintenaient
leur demande d'une somme globale de 30 000 euros d'indemnité de licenciement
pour tous les travailleurs licenciés, quelle que soit leur ancienneté, plus
trois mois de salaire pour chaque année travaillée, ainsi que la garantie que
l'entreprise ne ferme pas.
Comme on le voit clairement avec la
focalisation des syndicats sur la négociation des indemnités de licenciement,
ils n'ont aucune perspective pour combattre les pertes d'emplois. Leur faillite
apparaît clairement dans « l'appel solennel » à Sarkozy lancé par
l'intersyndicale de Grenoble mercredi matin. Il en appelle au président Sarkozy
pour le déblocage des fonds prévus par le Fonds européen d'ajustement à la
mondialisation pour les victimes des licenciements, un fonds disposant de 500
millions d'euros par an, pour « soutenir la possibilité d'un redémarrage
rapide de notre entreprise et de nos sous-traitants. »
Cet appel lu à la presse demande à Sarkozy
une modification des textes législatifs concernant le déblocage des fonds afin
qu'ils puissent être utilisés pour financer un contrat négocié avec Caterpillar
« sous forme de prêt. » Actuellement, le règlement subordonne le
déblocage à une demande de subventions uniquement affectées à la réinsertion
professionnelle des travailleurs licenciés.
Ce document poursuit, « Sans un effort
du groupe américain et de l'Union européenne aucun débouché ne pourra être
trouvé pour réduire les licenciements et permettre à ceux qui le souhaitent de
partir dans la dignité. »
Sarkozy a rapidement réagi à l'appel de
l'intersyndicale de Caterpillar, promettant sur radio Europe1, « Je vais
sauver le site. Je recevrai cette intersyndicale puisqu'ils m'ont appelé au
secours (...) On ne les laissera pas tomber. »
Les travailleurs de Caterpillar France devraient
se souvenir des promesses faites par Sarkozy le 4 février de l'année dernière
aux sidérurgistes de l'aciérie Arcelor Mittal de Gandrange où 575 d'entre eux
devaient être licenciés. Ces mêmes travailleurs ont aujourd'hui perdu leur
emploi et mardi ils manifestaient dénonçant « l'imposture et la
trahison » de Sarkozy et du PDG d'Arcelor, Lakshmi Mittal. Sarkozy a
déclaré, « C'est quand même pas de ma faute (...) si, comme il y a moins
de croissance, il y a moins de consommation de fer. »
Imprégnés d'une culture de
« défense » des intérêts des travailleurs par la défense des intérêts
des patrons et des représentants politiques du capital, les syndicats mettent
en avant la perspective que pour s'opposer au chômage il faut aider la classe
capitaliste à faire des profits.
Il ne peut y avoir d'issue positive que si
les travailleurs de Caterpillar rompent avec la connivence existant entre les
syndicats et le gouvernement et les patrons. Rejetant tout accord fondé sur
l'acceptation des pertes d'emplois, les travailleurs doivent construire des
organisations de lutte de classes, indépendantes, dans leurs usines et sur leur
lieu de travail, s'associant à d'autres travailleurs par delà les frontières.
De telles organisations doivent s'armer d'un
programme pour la réorganisation socialiste de l'économie et l'appropriation
sociale d'usines comme Caterpillar qui doivent être gérées comme des services
publics sous le contrôle démocratique des travailleurs.