La bataille qui a fait rage pendant des mois en Allemagne entre les constructeurs
automobiles Volkswagen et Porsche est finie. Elle s’est achevée par un
financement d’urgence de Porsche par Volkswagen qui maintient ainsi le
constructeur de voitures de sport en activité. On se mit aussi d’accord
pour intégrer Porsche au trust Volkswagen. Porsche deviendra donc la dixième
marque du groupe, ce qui renforcera la position dominante de Volkswagen sur le
marché.
Les grands propriétaires des deux trusts appartiennent à une même et très
riche dynastie industrielle qui commença son ascension sous les nazis, mais qui
se querelle depuis des années, le clan Porsche-Piëch. La lutte pour le pouvoir
qui, dans le passé, avait pris la forme d’une dispute entre les familles
de ce clan, et qui avait pour objet des participations majoritaires, des
profits à hauteur de millions d’euros et aussi des vanités personnelles,
avait de plus en plus été, au cours de ces derniers mois, dominée par les
répercussions de la crise internationale dans l’industrie automobile.
On avait appris, peu avant la réunion décisive du conseil
d’administration de jeudi dernier, que l’endettement de Porsche
avait atteint 14 milliards d’euros, bien plus que ce qui avait été généralement admis jusque-là. Selon le magazine Spiegel
sans une nouvelle injection de capitaux, Porsche se serait
trouvé en faillite dans les deux semaines. « Le directeur de la Deutsche
Bank, Josef Ackermann, a présenté la gravité de la situation au
copropriétaire du trust, Wolfgang Porsche, au cours
d’une conversation privée », écrit ce magazine dans sa dernière édition.
Afin d’éviter la faillite qui se profilait, on s’est mis
d’accord sur le scénario suivant : à la mi-août Porsche et
Volkswagen signeraient un soi-disant « contrat de fondations » où est
stipulé que VW acquiert 49,9 pour cent de Porsche ; puis que
l’Emirat du Qatar deviendrait un des copropriétaires
de Volkswagen. Dans un troisième temps, les familles Porsche et Piëch devraient
assurer une augmentation du capital de la Porsche Holding, qui serait ensuite
rattachée à Volkswagen en 2011.
Malgré les conflits existant encore entre les cousins Ferdinand Piëch et
Wolfgang Porsche, tous deux siègeront au conseil d’administration de
Volkswagen. A la place du directeur de Porsche licencié Wendelin Wiedeking et de
son directeur financier Holger Härter, ce seront Oliver Porsche et Michel Piëch
qui entreront dans le conseil d’administration de Porsche. Outre le Land
de Basse-Saxe (qui possède 20 pour cent des actions) et l’Emirat du Qatar
(près de 20 pour cent), le clan Porsche-Piëch possèdera plus de 30 pour cent
des actions de Volkswagen et sera ainsi son principal actionnaire.
Un des plus grands trusts industriels existants et employant presque 370000 salariés est ainsi dominé par une famille industrielle
qui a ses racines dans le régime nazi et qui impose sa politique industrielle
de concert avec les instances gouvernementales et en étroite collaboration avec
le syndicat de la métallurgie IG Metall.
Les plans d’acquisition du constructeur de voitures de sport de Stuttgart
ayant échoué et ayant presque conduit à la faillite du groupe, le clan
Porsche-Piëch essaie à présent d’atteindre son but par les moyens
opposés.
Le PDG de Porsche Wiedeking avait commencé son opération de prise de contrôle
de Volkswagen en 2005. A la fin de 2008, Porsche possédait déjà 42 pour cent
des actions de base de Volkswagen. Wiedeking et son directeur financier
s’étaient procuré l’argent par des spéculations boursières à haut
risque. La production automobile en était devenue une activité secondaire. La
course effrénée aux profits rapides et à l’enrichissement personnel devint
le Leitmotiv de la politique du groupe.
Tous les protagonistes étaient satisfaits et profitaient de cette situation :
Wiedeking encaissait un traitement annuel de 80 millions d’euros, Härter
un petit peu moins. Le président du comité d’entreprise Uwe Hück, connu
pour sa fidélité de vassal vis-à-vis de Wiedeking, soutint les plans de prise
de contrôle de Volkswagen avec l’argument « mieux vaut Porsche
qu’un investisseur étranger sans scrupules » et espérait lui-même
une ascension rapide. Les propriétaires Wolfgang Porsche
et Ferdinand Piëch considéraient que leurs intérêts étaient bien représentés et
collaboraient.
Même au milieu de la crise économique et financière, le clan Porsche-Piëch
se sentait des ailes et risqua délibérément, avec ses plans, des dizaines de
milliers d’emplois. Le but à atteindre consistait à prendre le contrôle
de 75 pour cent des actions de Volkswagen, afin de pouvoir faire valoir un
soi-disant « contrat de domination » et de « versement de
bénéfices ». Afin de pouvoir acheter une autre tranche d’actions de
8,2 pour cent, Porsche dut s’endetter à hauteur de six milliards
d’euros supplémentaires.
Ce fut le début de la fin. Plusieurs banques perdirent confiance dans les
plans de Porsche. Elles considérèrent que leur argent était en danger,
rendirent donc plus difficile le renouvellement des crédits et insistèrent sur
des remboursements à court terme. Elles exigèrent des hypothèques sur des actions
de Volkswagen et même des sécurités basées sur la fortune privée des familles
Piëch et Porsche.
Dans ces conditions, les disputes au sein du clan Porsche-Piëch
s’intensifièrent et finalement c’est Ferdinand Piëch, le président du
conseil d’administration de Volkswagen qui s’imposa. Il se vit
forcé de sauver Porsche avec l’argent de Volkswagen et de
l’intégrer au trust. Wendelin Wiedeking fut licencié avec son jongleur de
grand argentier. On prit congé de lui de façon théâtrale et il reçut une prime
de départ princière de 50 millions d’euros.
Selon les dernières nouvelles, les problèmes financiers de Porsche sont loin
d’être surmontés et pourraient même entraîner dans la tourmente le trust
Volkswagen tout entier.
La dynastie Porsche
La dynastie Porsche-Piëch ne doit pas seulement sa gloire et sa richesse aux
inventions spectaculaires d’un Ferdinand Porsche. Bien avant que ne soit
produite la voiture de sport bien connue, Ferdinand Porsche construisait, pendant
la Première Guerre mondiale, des moteurs d’avions et
des mortiers. Puis il développa pour l’industrie d’armement des
nazis le véhicule tout-terrain « Kübelwagen ». En 1935 déjà, Hitler
se servit des « capacités du brillant constructeur Porsche » et le
chargea de développer une « petite voiture appropriée ». A cause de
la guerre, on ne construisit qu’un nombre réduit de
coccinelles Volkswagen, mais on monta la gigantesque usine Volkswagen de
Wolfsburg. Les nazis se sont approprié le capital de base
de 50 millions de marks que cela nécessita en prenant l’argent
confisqué aux syndicats qu’on avait cassés en 1933.
La fille de Ferdinand Porsche épousa en 1928 l’avocat viennois Anton
Piëch (le père de Ferdinand Piëch), qui fut directeur des usines Volkswagen de
Wolfsburg sous les nazis, de 1941 à 1945.
On attribue généralement le récent « succès » du constructeur de
voitures de sport, qui remonte aux années 1990, au dernier directeur de
Porsche, Wiedeking. Lorsque celui-ci devint chef du conseil
d’administration, la firme se trouvait dans une crise sérieuse. Wiedeking
imposa, en collaboration avec le comité d’entreprise, un cours brutal de
rationalisations, élimina 3000 emplois et introduisit la production
« just-in-time ».
Il fit créer des modèles de luxe de style moderne. Ceux-ci se vendirent
extrêmement bien, surtout aux Etats-Unis, parce qu’à l’époque se
développait une couche de nouveaux riches, qui obtenait son argent
principalement à travers la spéculation financière. Beaucoup ne savaient pas
que faire de leurs millions et finançaient des objets de luxe, comme les
Porsches, grâce à leur note de frais. Dans le même temps, des millions de gens
se voyaient condamnés à des salaires de misère et à la pauvreté.
Le directeur de Porsche était donc considéré comme un manager modèle. Son
manque de scrupule et son exigence à percevoir un traitement de plusieurs
dizaines de millions d’euros étaient alors considérés dans les milieux
économiques et politiques comme le nouveau standard et comme la plus haute
expression de l’économie de libre marché. Wiedeking, qui dit de lui-même
qu’il avait déjà résolu à 15 ans qu’il serait millionnaire au plus
tard à trente ans, se fit assurer par contrat une part de 0,9 pour cent des
bénéfices. Il devint par là le manager le plus payé en Allemagne. En 1994 il
était élu « manager de l’année » et en 2008 il fut même élu
« manager européen de l’année ».
Lorsqu’il y a quatre ans, Wiedeking avait commencé à organiser
l’entrée de Porsche chez Volkswagen, il escomptait que l’Union européenne allait annuler la soi-disant Loi Volkswagen, mais jusque-là cela ne s’est pas produit. Cette loi, passée en
1960, dit que les pouvoirs publics doivent pouvoir exercer une influence
déterminante, même s’ils ne disposent que d’une minorité
d’actions (le Land de Basse-Saxe possède par exemple
20 pour cent des actions de Volkswagen). Elle dit encore qu’aucun
possesseur de capital ne peut exercer de droits excédant vingt pour cent des
voix. Cela doit empêcher les prises de contrôle hostiles ou les minorités de
blocage. Le droit de veto du Land de Basse-Saxe avait ainsi empêché une
participation rapide de 75 pour cent à Volkswagen, qui aurait permis à Porsche
d’obtenir un accès direct aux bénéfices et au capital de Volkswagen.
Le rôle de l’IG-Metall et des comités d’entreprise
Tant les membres du comité d’entreprise de Porsche à Stuttgart que
ceux de Volkswagen à Wolfsburg ont soutenu inconditionnellement
« leur » trust dans la bataille pour la prise de contrôle.
D'un côté, il y a une alliance entre le gouvernement régional
de Basse-Saxe, le comité d’entreprise de Volkswagen et le chef du conseil
d’administration Ferdinand Piëch contre Porsche. Une bonne partie du
gouvernement allemand a également soutenu Volkswagen. Il suffit de rappeler la
manifestation qui a servi à acclamer la chancelière allemande Angela Merkel
(CDU, parti conservateur) en septembre dernier et à laquelle avaient
convié l’IG Metall et le chef du Comité d’entreprise Bernd Osterloh
(membre d’IG Metall et du SPD, le parti social-démocrate). On offrit à la
chancelière chrétienne-démocrate et au ministre-président de Basse Saxe Wulff
(CDU lui aussi) une tribune de laquelle ils proclamèrent que « Volkswagen,
c’[était] l’Allemagne ».
Ils prononcèrent des discours nationalistes et essayèrent de donner
l’impression que le gouvernement fédéral, le trust Volkswagen et les
travailleurs de Volkswagen avaient les mêmes intérêts. Osterloh s’en prit
« aux attaquants venus du sud et de Bruxelles » et fit l’éloge
du gouvernement, qui était selon lui du côté des travailleurs. En vérité
Merkel, Wulff et Piëch ne se présentent comme des défenseurs de Volkswagen et
de la Loi Volkswagen que parce qu’ils considèrent que les intérêts
économiques nationaux et régionaux (les profits) sont menacés.
Cette forme de nationalisme économique ne sert qu’à mettre les salariés
d’un Land ou d’un site de production contre ceux des autres Lands
ou des autres sites de production. Il s’agit ainsi de diviser les intérêts
des travailleurs et de les subordonner aux intérêts de « leur »
patron.
Quant au président du comité d’entreprise de Porsche, Uwe Hück qui est
aussi le vice-président du conseil d’administration de Porsche, il a prit
fait et cause pour la suppression de la Loi Volkswagen. Hück, une sommité de
l’IG Metall est membre du SPD et jouit du soutien du ministre-président
de Bade-Würtemberg, Günther Oettinger (CDU). Lorsqu’il défend le site de
production de Porsche et qu’il s’en prend verbalement à Volkswagen,
Hück a, tout aussi peu qu’Oettinger, en vue les intérêts des salariés,
mais bien les prébendes des membres du comité d’entreprise. Grâce à la
co-gestion, les membres du comité d’entreprise de Volkswagen, tout comme
ceux de Porsche, ont non seulement les fonctions de co-managers, ils touchent
encore le traitement d’un manager. Hück a pour voitures de service une Porsche
Cayenne et une Porsche modèle spécial 355 CV. Si la prise de contrôle de
Volkswagen avait réussi, Hück serait devenu le président de comité
d’entreprise le plus puissant d’Allemagne.
Après la décision de l’intégration de Porsche, le trust de Wolfsburg
laissa entendre qu’il voulait maintenant, en tant que plus grand constructeur
automobile européen, se placer en tête au niveau mondial et dépasser Toyota. La
marque Porsche sera intégrée progressivement en tant que 10e marque
de Volkswagen et en tant qu’entreprise autonome dans la nouvelle
entreprise géante.
La première réaction de l’IG Metall à la reprise de Porsche par
Volkswagen a été de revendiquer une participation des salariés de 10 pour cent.
Le président de l’IG Metall, Berthold Huber, salua l’union des deux
trusts automobiles et dit : « Nous sommes prêts à participer de
façon constructive au processus auquel nous allons assister ». Et comme
chez Opel, l’IG Metall a l’intention d’imposer des participations
directes au capital pour les fonctionnaires de l’IG
Metall et les membres des comités d’entreprise. Huber dit à ce
propos littéralement : « Outre l’extension
de la co-gestion nous aspirons à une participation au capital. » Les
salariés devaient selon lui être « de façon substantielle » partie
prenante du nouveau trust.
Lorsqu’on leur parle de « participation des salariés au
capital », les salariés de Volkswagen et de Porsche devraient faire
attention. Chez Opel l’IG Metall et les comités d’entreprise ont
soutenu l’entrée du trust Magna, parce qu’ils avaient convenu avec
cet investisseur une participation des salariés au capital d’environ un
milliard d’euros. Cela s’accompagne de la suppression de plus de 10 000 emplois. On a déjà, dans
le dos des salariés, fixé dans le menu détail, la façon dont l’argent
serait obtenu, c’est-à-dire grâce à la suppression du « salaire
vacances » et du treizième mois. Cet argent doit être ensuite « géré »
exclusivement par les fonctionnaires de l’IG Metall.
La fusion de Volkswagen et de Porsche introduit une nouvelle vague de
concentration d’entreprises dans l’industrie automobile et
s’accompagnera de fortes attaques contre les salariés. Les signes
existent déjà que Volkswagen se sert de son influence sur le gouvernement pour
pousser Opel à la faillite, au plus tard après l’élection fédérale de
septembre. On aurait ainsi éliminé un concurrent gênant dont Volkswagen
pourrait reprendre les parts de marché.
Les membres du comité d’entreprise de Wolfsburg disent déjà
qu’il faut tout faire pour qu’après la suppression de la prime à la
casse, la baisse des ventes soit aussi faible que possible pour le trust.