Les manifestations se poursuivent contre le plan de
sauvetage des banques du gouvernement islandais aux dépens de la population
laborieuse. Le 13 août, 3000 personnes s’étaient rassemblées devant le
parlement à Reykjavik, il s’agissait de la plus importante manifestation depuis
le renversement en janvier de l’ancien gouvernement conservateur dirigé par
Geir Haarde.
La colère des manifestants visait en premier lieu
l’accord mis en avant pour la résolution du conflit d’IceSave qui obligera
l’Etat islandais à indemniser les épargnants d’un certain nombre de pays
européens qui avaient placé leur argent dans des opérations bancaires en ligne
de Landsbanki. L’accord a été débattu à plusieurs reprises le mois dernier au
parlement avec des indications donnant à penser que le gouvernement s’efforcera
de trouver une majorité qui soutiendra l’affaire.
L’accord a été le résultat de négociations qui ont duré des mois entre
des responsables d’Islande, de Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Selon les
termes de l’accord, l’Islande empruntera 5,5 milliards d’euros aux deux pays
pour couvrir les coûts de la facture assortie d’un taux d’intérêt annuel de 5,5
pour cent. Cette somme correspond à plus de la moitié du BIP de l’Islande. Le
montant que l’Islande devra rembourser est supérieur au pourcentage du PIB que
l’Allemagne avait été obligée de payer en réparations conformément au Traité de
Versailles après la Première Guerre mondiale.
La colère a été attisée par le sentiment largement répandu que l’accord
a été imposé à l’Islande par les puissances européennes, et aussi par
l’indication du FMI que le reste du montant du prêt de 2,1 milliards de dollars
avec Reykjavik a pour condition l’approbation de l’accord IceSave. L’accord
doit encore être soumis en seconde et troisième lecture au parlement et la
commission parlementaire des finances a accepté la semaine passée plusieurs
amendements à l’accord.
En vue d’apaiser la colère de l’opinion publique, le nouveau premier
ministre, Johanna Sigurdardottir, a fait des déclarations disant qu’elle
faisait preuve de compréhension face à l’opposition grandissante. Le 4 août
elle écrivait dans le Financial Times, « Les Islandais qui ne se
sentent pas responsables de la crise bancaire mondiale, sont prêts à faire des
sacrifices pour sauvegarder les relations normales et le commerce avec le
monde. Mais ils sont en colère d’avoir à porter le fardeau des indemnités pour
les dépôts réalisés auprès de la banque en ligne IceSave de Lanbanski, une
banque commerciale privée qui a fait faillite et qui avait attiré des centaines
de milliers d’épargnants britanniques et néerlandais grâce à des taux d’intérêt
élevés. »
En dépit d’une telle attitude, son gouvernement tient à compenser
intégralement les pratiques spéculatives et, dans certains cas, totalement
criminelles de ces banques privées aux dépens de la population islandaise.
Le 14 août, le gouvernement a annoncé des projets finalisant les termes
de la recapitalisation de deux des trois banques qui avaient fait faillite,
Kaupthing et Islandsbanki (anciennement Glittnir), Kaupthing sera recapitalisée
à hauteur de 72 milliards de couronnes (400 millions d’euros) et Islandsbanki
recevra 65 milliards de couronnes (360 millions d’euros) avec un ratio Tier 1
[ratio de solvabilité en termes de fonds propres]. Ces sommes seront la
garantie que les banques pourront reprendre leurs activités spéculatives aux
dépens des contribuables. Le ministre des Finances et dirigeant du Mouvement
gauche-verts, Steingrimur J. Sigfússon, a déclaré, « La capitalisation
d’Islandsbanki et de New Kaupthing représente un pas de plus vers le
rétablissement d’un système bancaire stable en Islande. »
Sigfússon et le Mouvement gauche-verts ont
joué un rôle crucial en fournissant une caution de gauche à l’application de
l’agenda politique droitier de la coalition. Tout comme ils ont contribué à la
recapitalisation des banques ils ont apporté leur soutien critique en appuyant
les démarches du gouvernement pour l’adhésion à l’Union européenne bien
qu'officiellement ils soient contre l’adhésion à l’Union européenne (UE.)
Reflétant l’hostilité grandissante de la population contre les mesures
d’austérité réclamées par l’UE, les chiffres indiquent que seul un tiers des
Islandais est à présent favorable à son entrée dans l’UE contre 40 pour cent en
début d’année.
Le Mouvement gauche-verts accepte pleinement
le « pacte de stabilité » conclu en juin entre le gouvernement, les
syndicats et les associations patronales. L’accord qui respecte complètement
les exigences du FMI et du capital financier international, prévoit des
réductions des dépenses publiques de l’ordre de 70 milliards de couronnes (390
millions d’euros) sur trois ans ainsi qu’une hausse des impôts sur le revenu et
une augmentation des taxes sur les produits courants.
Le FMI persiste à refuser le second
versement du prêt consenti à Reykjavik. Tout en s’abstenant de critiquer
ouvertement le gouvernement, il a clairement fait entendre que d’autres
empiètements doivent être effectués dans les dépenses publiques et que les
contrôles affectant le capital en vue de défendre la couronne doivent être
levés aussi vite que possible.
La banque centrale a révélé le 5 août ses
projets de lever les contrôles affectant le capital par étapes à commencer le 1er
novembre. Selon des évaluations, des fonds s’élevant à 1,7 milliard d’euros
appartiennent à des investisseurs qui veulent retirer leur argent d’Islande
aussi vite que possible. Les conséquences d’une telle démarche sont sérieuses
pour la couronne étant donné que les gens voient augmenter les prix des
produits de la vie quotidienne en raison de la chute de la monnaie.
Causée par la politique du gouvernement, la
colère de l’opinion publique s’accroît du fait de la révélation continue de la
criminalité de l’élite financière. Au début du mois, des documents étaient
apparus sur internet révélant le volume des prêts accordés à Kaupthing qui
avaient été versés à ses propres employés. La banque, qui avait bénéficié d’un
renflouement de l’ordre de 5 pour cent du PIB avant son effondrement en octobre
dernier, avait octroyé plus de 200 prêts d’un montant allant de 45 millions à
1,26 milliard d’euros à des particuliers tantôt employés de la banque tantôt
des personnes entretenant des relations avec la banque. Ces prêts qui souvent
n’étaient pas garantis par des actifs avaient ensuite servi à racheter des
parts de Kaupthing.
La banque avait recouru à une ordonnance
d’injonction pour taire l’affaire à la radio et télévision islandaise (RUV) et
ne pas révéler cette information le 1er août dans sa principale
émission d’actualités du soir. Ceci n'a pas vraiment empêché la propagation des
détails, mais a encouragé largement la critique des politiciens et des médias.
Dans une déclaration informant de son intention de ne pas se soumettre
totalement à l’injonction du juge, RUV avait précisé, « L’ordre avait été
donné par le commissaire de Reykjavik, un dénommé, Runar Gudjonsson. Il se
trouve que le fils du commissaire de Reykjavik, Gudjon Runarsson, est le
directeur de l’Association islandaise des services financiers et le
porte-parole principal des banques en faillite. Il s’était entre autres battu
pour la suppression du fonds immobilier [qui accorde des prêts abordables au
grand public] de façon à ce que les banques jouissent de l’exclusivité sur le
marché des prêts immobiliers. »
Les révélations concernant Kaupthing ont
incité Eva Joly, qui est chargée d’enquêter sur les circonstances dans
lesquelles les banques ont fait faillite, à lancer un appel à coopération à la
Grande-Bretagne. L’organisme britannique chargé de la lutte contre la grande
délinquance financière, Serious Fraud Office (SFO), a fait connaître sa volonté
d’aider à l’enquête, un indice que des sociétés sises au Royaume-Uni pourraient
être impliquées.
Joly a à plusieurs reprises critiqué les
puissances européennes pour la situation dans laquelle se trouve l’Islande en
faisant remarquer que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas en particulier avaient
été négligents dans leur réglementation concernant les filiales de Kaupthing et
de Landsbanki implantées dans leur pays. Le recours de la Grande-Bretagne aux
lois antiterroristes contre le gouvernement islandais et Landsbanski en octobre
dernier continue à provoquer du ressentiment.
Étant donné que le gouvernement a fait
comprendre qu’il renflouera l’élite financière malgré sa corruption et sa
criminalité, la colère exprimée par la population lors des récentes
manifestations est tout à fait légitime. Toutefois, la direction du mouvement
de protestation n’offre aucunement une perspective viable à la population
laborieuse en quête d’une issue à la crise actuelle.
Les toutes dernières manifestations ont été
organisées par un groupe appelé InDefence, qui a été créé en octobre dernier
pour s’opposer à l’utilisation de la loi antiterroriste par le gouvernement
britannique contre l’Islande. Dans le même temps, ce groupe avait concentré ses
efforts sur la défense de la réputation de l’Islande au sein de la communauté
internationale, en appelant à une soi-disant « normalisation » des
relations internationales.
Un communiqué publié par le groupe pour
annoncer ces dernières manifestations a réclamé « un accord IceSave
équitable que l’Islande est en mesure de payer. » Le groupe aurait des
liens avec l’opposition, le Parti du progrès, et dont le dirigeant actuel,
Sigmundur David Gunnlaugsson, a joué un certain rôle au sein du groupe avant
son élection au parlement en avril dernier. InDefence a également aidé
Kaupthing à recruter des avocats pour la banque dans le but de vérifier s’il
était possible d’engager une action en justice contre le gouvernement
britannique pour avoir gelé les actifs des filiales de Kaupthing, Singer et
Friedlander, en octobre dernier.
Alors que le groupe appelle à un
« accord IceSave équitable », la réalité pour les gens ordinaires est
qu’on leur demande de sauver l’élite financière. L’accord IceSave n’en est
qu’une partie qui s’ajoute à la recapitalisation des banques et aux attaques
lancées à l’encontre des dépenses publiques sur demande du FMI. Plutôt que de
s’opposer à un prétendu « excès » de l’une ou de l’autre mesure, la
classe ouvrière doit rejeter la demande d’avoir à payer pour une crise dont
elle n’est pas responsable. Cela ne peut se faire qu’en rompant définitivement
avec les partis politiques établis, y compris le Mouvement gauche-verts, qui
ont tous prouvé qu’ils défendaient la clique dirigeante.