Début juillet, l’Institut Travail et Qualification (IAQ) de l’université
Duisbourg-Essen publiait une étude montrant qu’il y avait eu une expansion
sensible du secteur des bas salaires en Allemagne. Il existe actuellement 6,5
millions de salariés à bas salaire. Entre-temps, plus d’un cinquième de
l’ensemble des travailleurs sont employés à moins de 9,62 euros de l’heure en
Allemagne de l’Ouest et à moins de 7,18 euros dans l’Est du pays.
Ces chiffrent sont établis sur la base de critères fixés par l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE).
Le nombre de salariés à bas salaire en Allemagne a augmenté de 2,1 millions
depuis 1995. Un tiers de l’ensemble des travailleurs à bas salaire est employé à
mois de six euros de l’heure, tandis que 1,2 millions gagnent moins que cinq
euros de l’heure. Les travailleurs intérimaires ne sont pas les seuls à recevoir
des bas salaires. Près d’un tiers des salariés à bas salaire travaillent à plein
temps et sont obligés de vivre avec moins de 800 euros par mois.
Les conditions politiques préalables à cette considérable expansion d’emplois
à bas salaire furent posées par l’ancienne coalition gouvernementale du SPD
(sociaux-démocrates) et des Verts (1998-2005) dirigée par Gerhard Schröder (SPD)
et Joschka Fischer (Verts) et qui introduisit les lois Hartz IV et la politique
antisociale de l’Agenda 2010. Ces mesures furent poursuivies et intensifiées par
l’actuelle grande coalition constituée par le SPD et les partis conservateurs
CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate et Union chrétienne-sociale).
A l’origine, l’expansion du secteur des bas salaires en Allemagne fut
justifiée par les politiciens influents du SPD et des Verts qui avaient affirmé
que ceci permettrait aux salariés moins qualifiés et aux chômeurs de réintégrer
le marché du travail. Cette argumentation fut toutefois rapidement discréditée.
De nombreuses entreprises et institutions à but non lucratif supprimèrent tout
simplement les emplois à plein temps pour les remplacer par du personnel
intérimaire qui, non seulement était moins bien rémunéré, mais était aussi moins
bien assuré au niveau de la couverture sociale. Les mesures introduites par le
SPD et les Verts servirent exclusivement à miner les emplois à plein temps et
les conventions collectives.
La récente étude de l’IAQ montre que le pourcentage de travailleurs à bas
salaire disposant d’une qualification professionnelle reconnue est passé de 58,5
pour cent au total en 1995 à 70,8 pour cent en 2007. Si l’on ajoute les diplômés
de l’enseignement supérieur, le total s’élève à 80 pour cent.
Une fois contraint d’accepter un emploi à bas salaire il est impossible d’en
réchapper. L’étude de l’IAQ constate que le salaire moyen payé pour de tels
emplois a en réalité baissé au cours des douze dernières années. Si l’on tient
compte que la dernière année prise en considération pour l’étude était 2007,
c’est-à-dire avant l’éruption de l’actuelle crise financière et économique
internationale, alors on est en droit de supposer qu’il y a eu, dans
l’intervalle des deux ans qui se sont écoulés, un énorme accroissement du nombre
de salariés à bas salaires.
Une autre étude publiée récemment par le DGB (Confédération des Syndicats
allemands) montre que les jeunes travailleurs âgés de 15 à 24 ans et les
travailleurs âgés de plus de 55 ans sont le plus durement touchés par le
chômage. Dans les deux groupes le chômage a augmenté environ trois fois plus
vite que la moyenne.
En mai, le taux de chômage était de 5,3 pour cent plus élevé que l’année
précédente mais le taux chômage parmi les travailleurs jeunes et les
travailleurs plus âgés était de 16,1 pour cent et de 17,3 pour cent plus élevé
respectivement. Les chiffres du mois de juin indiquent une détérioration à tous
égards par rapport au mois précédant.
Les jeunes travailleurs sont souvent les premières victimes en cas de
licenciements parce ce qu’ils ne disposent souvent que d’un contrat de travail à
temps partiel. Beaucoup d’autres ne sont pas recrutés à l’issue de leur contrat
d’apprentissage ou sont employés par une agence d’intérim. Les travailleurs plus
âgés qui, en raison de leur ancienneté dans l’entreprise, devraient bénéficier
de plus de protection sont souvent obligés de partir en retraite anticipée parce
qu’aux dires de l’étude du DGB, ils sont « aux yeux des employeurs moins
productifs ». Durant les cinq premiers mois de cette année, 380 000 travailleurs
de plus de 50 ans ont perdu leur emploi.
Les retraites obligatoires rehaussent le taux de pauvreté parmi les personnes
âgées. Jusqu’en 2007, les personnes de plus de 58 ans pouvaient demander des
allocations chômage sans être officiellement inscrites à l’Agence nationale pour
l’emploi (ANPE) s’ils s’engageaient à partir en retraite le plus tôt que
possible. La situation a changé drastiquement lorsque l’actuel gouvernement a
accepté la proposition du dirigeant du SPD, Franz Müntefering, de porter à 67
ans l’âge légal de départ à la retraite. D’un coup, il était devenu impossible à
des millions de travailleurs âgés de planifier et de financer leur retraite.
Alors que l’étude du DGB montre clairement les conséquences dramatiques que
ces tendances du marché du travail ont pour les travailleurs jeunes et plus
âgés, elle ne dit mot sur le rôle que jouent les syndicats eux-mêmes. C’est en
fait la politique pro-patronale des syndicats et des comités d’entreprise qui
ont mené à cette situation désastreuse des travailleurs. A lire entre les
lignes, on s’aperçoit que l’étude du DGB n’est rien moins qu’une déclaration de
faillite du mouvement syndical qui a toujours bénéficié de relations politiques
étroites avec le SPD.
Alors que les grandes banques et les institutions financières reçoivent des
milliards du gouvernement et que les patrons des banques et des grands groupes
se sont gratifiés d’énormes primes, les chômeurs sont informés qu’il n’y a pas
d’argent pour payer des prestations sociales et des salaires décents. Au lieu de
cela, le gouvernement projette en coulisses d’autres coupes massives dans les
budgets sociaux pour couvrir les coûts des plans de sauvetage des banques.
Dans le même temps, les représentants des associations patronales se
préparent à intensifier leur propre campagne de pression sur le gouvernement
pour qu’il active davantage encore les coupes dans les acquis sociaux,
indépendamment de la composition du gouvernement qui sortira des élections
législatives de fin septembre.
La fédération patronale de l’industrie métallurgique a nommé Hubertus
Pellengahr, ancien porte-parole de la fédération allemande du commerce de détail
(HDE), au poste de secrétaire général de la Nouvelle initiative sociale de
Marché (INSM). Cette organisation projette de transférer en janvier 2010 son
siège dans le voisinage du gouvernement allemand dans le but d’optimiser son
travail de lobbying.
L’objectif déclaré de l’INSM est davantage de marché et moins d’Etat. Selon
la fédération patronale de l’industrie métallurgique « c’est surtout
l’Initiative qui a aidé à promouvoir l’Agenda 2010. Maintenant, à l’heure de la
crise, l’appel en faveur de l’intervention de l’Etat se fait plus pressant. Et
c’est précisément ce à quoi l’Initiative doit s’opposer », a rapporté le journal
Frankfurter Rundschau. Pellengahr, quant à lui, a dit, « Toutes les
interventions de l’Etat en dehors du secteur financier vont trop loin. »
Alors que les politiciens cherchent à éviter que des détails n’émergent quant
à l’ampleur réelle des attaques planifiées, il existe cependant un certain
nombre d’indices indiquant ce que le gouvernement projette d’imposer à la
population après les élections.
C’est ainsi que, selon un sondage de l’Institut Ifo de Munich, un quart des
entreprises allemandes projettent de réduire leurs effectifs dans les prochains
six mois. Dans la production industrielle ce chiffre passe même à 34 pour cent.
Près des deux-tiers des entreprises employant plus de 1000 salariés ont
l’intention de supprimer des emplois.
Le 21 juillet, l’hebdomadaire économique Wirtschaftswoche faisait état de
la crainte du chômage de masse. D’après un influent représentant gouvernemental,
Wolfgang Franz, plus d’un million de travailleurs perdront leur emploi au cours
des dix-huit prochain mois. Il a ajouté, « Le pire est à venir. » Même le
recours massif au chômage partiel dans l’industrie allemande n’a pu empêcher les
licenciements de masse.
Le magazine a également cité Oliver Burkhard, patron de la fédération de
Rhénanie du syndicat IG Metall, qui a déclaré, « un tiers des 5000 entreprises
auxquelles s’appliquent la convention collective de la région envisagent le
licenciement économique ».
Heidelberger Druck, le leader mondial des machines d’imprimerie, projette
présentement de se débarrasser du quart de ses 20 000 salariés. Les experts
estiment aussi qu’une suppression massive d’emplois aura lieu dans la sidérurgie
dans la seconde moitié de cette année. Des pertes importantes d’emplois sont
également attendues chez Siemens où 19 000 salariés sur un effectif de 131 000
ont été au chômage technique ces derniers mois.