De nouvelles
informations ont été révélées concernant l'embuscade du 18 août qui a fait 10
victimes et 23 blessés parmi les soldats français en Afghanistan dans la vallée
d'Uzbeen.
D'après l'édition du
25 août de l'hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné, connu pour ses
révélations sur les mensonges d'Etat, 4 soldats ont été capturés par des
Afghans dès le début des combats et « exécutés » par la suite. De
plus, le journal affirme que le traducteur afghan qui aurait dû accompagner les
soldats avait « disparu » quelques heures avant la patrouille, un
indice d'une éventuelle embuscade qui aurait été négligé par le commandement.
Le ministre de la Défense
français Hervé Morin a rapidement publié un démenti de l'article du Canard enchaîné,
et selon le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, « une procédure d'enquête
est en cours ». Le général Christian Baptiste, porte-parole adjoint du ministère
de la défense a déclaré sur l'antenne de France-Info que le traducteur
manquant était en fait mort pendant les combats, mais il n'a pas expliqué
pourquoi sa mort n'avait pas été rapportée en même temps que celle des autres
soldats.
Le général
Jean-Louis Georgelin, chef de l'état-major français, a répliqué vertement que
les soldats « ne se sont pas laissé faire…
On a perdu dix hommes, mais les insurgés en ont perdu huit fois plus [durant
l'attaque et les opérations des jours suivants] ». Le général Benoît Puga
a abondé dans son sens en déclarant le 28 août « les adversaires…
ont pris une sacrée raclée », ajoutant qu'il considérait que la mission
était un succès malgré les pertes humaines.
Les opérations des
jours suivants autour d'Uzbeen ont causé des dizaines de morts chez les civils
selon l'agence de presse Pajhwok.
Le porte-parole de
la coalition, le colonel Rumi Nielson-Green, a froidement dénigré les
inquiétudes quant aux civils afghans tués dans les combats : « Je ne suis pas certain qu’ils étaient directement
impliqués dans l’attaque contre les Français.Ça n’a aucune importance, ils étaient certainement au
moins complices. »
Joël le Pahun, père
de Julien le Pahun, l'un des dix soldats tués lors de l'attaque, a déclaré sur
l'antenne de RTL le 29 août qu'il était « choqué » par les paroles
des généraux et a refusé de considérer que la mission puisse être un succès, concluant :
« La question qui se pose, c'est pourquoi ils sont morts ? »
Une large majorité
de Français rejette cette guerre. Les forces américaines et celles de
l’OTAN ont utilisé la guerre contre le terrorisme comme prétexte pour
l’invasion et l’occupation du pays, alors qu’en fait cette
guerre était liée à des intérêts géostratégiques bien définis des élites
dirigeantes américaine et européenne.
Cherchant à contenir
la colère de la population, suite à la mort des soldats, le président Nicolas Sarkozy
a réagi vigoureusement à l'annonce de cette attaque. Il s'est envolé
immédiatement pour l'Afghanistan et il accorde maintenant le droit –
exceptionnel – aux familles des soldats de se rendre sur le champ de
bataille où leurs proches sont morts.
L'article du Canard
enchaîné constitue la deuxième série de révélations sur cette affaire.
Juste après l'embuscade, il avait été révélé que les autorités françaises avaient
tu le fait que les soldats avaient attendu les renforts pendant quatre heures,
et des allégations de tirs amis avaient été publiées.
Les députés français
doivent voter sur le maintien des troupes en Afghanistan le 22 septembre.
Cependant, le Parti
socialiste (PS) a déjà réagi au mécontentement de l'opinion publique en
réaffirmant son engagement en faveur du déploiement français en Afghanistan. Le
premier secrétaire du PS, François Hollande, a déclaré qu'il voulait éviter le
dilemme entre « retrait total et immédiat ou
envoi de renforts, synonyme d’enlisement ». L'expert en politique
internationale du PS, et candidat à la direction du parti, Pierre Moscovici a
déclaré le 24 août à la Fête de la Rose, une Fête traditionnelle du PS, « Nous
voulons autant que la droite lutter contre le terrorisme. »
Jean-Louis
Bianco, lui aussi membre du PS, et proche de l'ex-candidate à la présidentielle
Ségolène Royal, a déclaré le 20 août sur son blog personnel, qu’« En 2001, il s’agissait pour la
France de combattre le régime des talibans et d’aider à la reconstruction
du pays. » Cela semble suggérer une sorte de détournement de l'opération par
les intérêts Américains, mais il n'en dit pas plus et se prononce simplement en
faveur de quelques changements de stratégie.
La dirigeante du
Parti communiste français, Marie-Georges Buffet a déclaré sa sympathie pour les
familles des victimes et sa solidarité avec l'armée. Remettant en question la
stratégie de Sarkozy, mais pas l'implication de la France, elle a affirmé « Il faut mener la lutte contre les talibans » et
demandé « un débat sur les objectifs de la présence française en
Afghanistan ».
En effet, les
critiques voilées de la part du PS sont complètement hypocrites étant donné que
l'invasion de l'Afghanistan avait été décidée par le Premier ministre
socialiste Jospin. Le seul membre d'envergure du PS à remettre en question
l'implication en elle-même de la France en Afghanistan est Henri Emmanuelli. Il
est allé jusqu'à déclarer au quotidien Le Monde : « Qui est M. Karzaï, une marionnette installée au pouvoir par
ses puissants parrains ? » Il semble vouloir donner l'impression
qu'il commence seulement à se rendre compte des faits, quand il dit de façon malhonnête,
« Je crois que l’on nous cache beaucoup de choses sur la réalité en
Afghanistan. »
Pour sa part,
Nicolas Sarkozy a déjà promis à ses alliés que l'implication de la France en
Afghanistan va augmenter. Il l'a déclaré le 27 août lors de l'ouverture de la
conférence des ambassadeurs (une réunion sur trois jours entre le gouvernement
et les ambassadeurs de 180 pays, organisée chaque année depuis 1993). Sarkozy a
dit que le monde entrait dans « une période radicalement différente, qui
va durer plusieurs décennies et que je qualifierai d’"ère des
puissances relatives" ». Dans cette ère « d’énergie rare et chère »,
a-t-il dit, « l'intérêt général passe loin derrière la défense vigoureuse
des priorités nationales ».
Concernant
l’Afghanistan, Sarkozy a poursuivi, « la nouvelle stratégie des
alliés définie à l'initiative de la France au sommet de Bucarest [Le sommet
annuel de l'OTAN qui s'est tenu du 2 au 4 avril cette année] […] reste
valable : un engagement dans la durée ; une approche globale civile et
militaire avec une coordination accrue de l'aide » à l’Etat afghan.
Il a mis en garde : « Une retraite militaire serait suivie du
retour des talibans et d'al-Qaïda et sans doute de la déstabilisation du
Pakistan voisin. »
De plus, il a rendu
encore plus clair l’engagement militaire de la France en Afghanistan en déclarant :
« J'ai voulu situer, franchement et nettement, la France au sein de sa
famille occidentale, restaurer une relation confiante avec le peuple et les
dirigeants américains et rénover notre relation avec l'Alliance Atlantique. »
Le point de vue de
l'establishment français avait été donné en des termes très clairs une
semaine plus tôt dans le quotidien de droite Le Figaro. Luc de Barochez
y avait écrit dans son éditorial du 20 août : « Il s'agit [pour la
France]... d'apporter un témoignage de solidarité transatlantique. Il ne
faut pas y voir un geste hâtif en direction d'une Administration Bush
finissante. Car il y a dans la crise afghane une convergence d'intérêts entre
les deux rives de l'Atlantique. Si Barack Obama et John McCain sont unis sur un
point, c'est bien celui-là : l'Afghanistan est le front central de la
lutte contre le terrorisme ; il le restera dans les années à venir. »
De Barochet poursuit en insistant sur le fait que « l'Europe de la
défense, que la France a tant contribué à lancer, doit saisir l'occasion pour
prouver sa capacité à projeter sa force militaire dans une région sensible.
L'engagement français a longtemps été ambigu, en étant cantonné à la sécurité
de la capitale, Kaboul. Le président Nicolas Sarkozy lui a redonné son sens en
plaçant notre contingent aux côtés de nos alliés, en terrain ardu. »
Après de telles
preuves de fidélité, l'élite dirigeante française se doit de trouver un moyen
d'habituer les Français aux pertes humaines inévitables. La cérémonie funéraire
qui s'est déroulée à l'église des Invalides cherchait exactement à faire cela. Sarkozy
avait déclaré « Perdre la vie de cette manière, c'est aussi une manière de
réussir sa vie. »
Le ministre des Affaires
étrangères Bernard Kouchner a déclaré sans ambages lors d'un entretien télévisé :
« Bien sûr, il faut s'attendre à de nouveaux morts » et a qualifié
les opérations en Afghanistan d'« opérations de police », les mots mêmes
qui avaient désigné la guerre coloniale en Algérie de 1956 à 1962.