La diffusion sur le réseau ABC trois soirs de suite des entrevues par le
chef d'antenne du réseau, Charles Gibson de la candidate à la vice-présidence
pour le Parti républicain, Sarah Palin, a dévoilé l'ignorance et les politiques
d'extrême droite de la candidate, tout en brodant autour de certaines des
questions les plus cruciales à la base de son improbable candidature.
La réaction de la campagne d'Obama et du Parti démocrate est tout autant
révélatrice. Ils ont laissé Palin dire ce qu'elle voulait durant les entrevues
sans réagir, sauf lorsqu'elle a tenté de s'identifier à la sénatrice Hillary Clinton,
candidate à l'investiture démocrate. Une réaction colérique en guise de
réponse, transmise par la congressiste de la Floride, Debbie Wasserman Shultz,
avait plus l'allure d'une contestation contre l'utilisation illégale d'une
marque de commerce plutôt qu'une réponse substantielle aux positions de Palin.
Les démocrates ont ignoré dans leur réponse à la présentation de Palin ses
vues politiques significativement plus à droite que celle de l'administration
Bush, incluant une position en politique étrangère qui pose clairement la
menace d'une troisième guerre mondiale nucléaire.
Par son ton, l'entrevue était sans contredit l’un des échanges les
plus particuliers ayant été tenue dans l'histoire récente de la politique
américaine.
L'approche de Gibson ressemblait parfois à celui d'un professeur impatient
et sceptique testant un de ses mauvais élèves. Pour sa part, Palin semblait
agir en automate, clairement, elle régurgitait les réponses que les
responsables de la campagne républicaine lui ont fait apprendre durant la
courte période de deux semaines depuis son élection-surprise comme colistière du
sénateur John McCain.
Il fait peu de doute que sur les quelque dix millions de téléspectateurs qui
ont écouté les entrevues, beaucoup ont été motivé par une curiosité morbide,
pour voir si la gouverneure de l'Alaska, pratiquement inconnue jusqu'à ce jour
et sans expérience, allait sérieusement se ridiculiser à la télévision
nationale.
Palin a trébuché sur quelques questions et est demeurée complètement figée
lorsque lui a été posée la question sur la « doctrine Bush », une
chose avec laquelle elle n'était clairement pas familière, même après que
Gibson, pour l'aider, lui eut expliqué de quoi il s’agissait.
Derrière l'image fabriquée, les éléments qu'apporte Sarah Palin à la
politique américaine sont la bigoterie religieuse et l'hostilité à l'égard des
droits démocratiques, l'anti-intellectualisme, un faux semblant de populisme de
droite et un appui inébranlable au militarisme américain, en bref, le fond de
commerce de la droite républicaine.
Les dangers que soulève ce type d'ignorance, d'idées arriérées et de
perspective réactionnaire lorsqu'ils sont fusionnés aux pouvoirs d'Etat sont devenus
clairs dans l'entrevue d'ABC.
Après que Palin eut déclaré son appui à l’admission des anciennes
républiques soviétiques de l’Ukraine et de la Géorgie au sein de
l’OTAN, Gibson demanda si cela signifiait que les Etats-Unis seraient obligés
d’aller en guerre contre la Russie si Moscou envoyait encore des troupes
dans la région.
« Peut-être que oui » répliqua Palin, comme si cela allait de soi,
suggérant que la guerre entre deux pays contrôlant des armes nucléaires en
quantité suffisante pour incinérer le monde était la solution la plus évidente à
une crise géopolitique. « Je veux dire, c’est l’entente
lorsque vous êtes un allié de l’OTAN, si un autre pays vous attaque, vous
allez vous attendre à être appelé en renfort pour de l’aide »,
a-t-elle ajouté.
Elle a répété que les actions de la Russie en Géorgie n’avaient
« pas été provoquées », et cela, même si le département d’Etat
de l’administration Bush lui-même a prétendu avoir mis en garde la Géorgie
contre toute tentative de reprendre par les armes les régions autonomes
alignées sur la Russie de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie.
Questionnée sur ses connaissances particulières concernant le pays contre
lequel elle est si joyeusement prête à aller en guerre, Palin prétendit, erronément,
que l’on pouvait apercevoir la Russie de certaines régions de l’Alaska.
Pareillement, Palin a été questionnée sur l’attitude que Washington
devrait adopter à l’égard d’une décision d’Israël de mener
des frappes aériennes contre le programme nucléaire embryonnaire d’Iran.
« Bien, premièrement, nous sommes amis avec Israël et je ne crois pas que
nous devrions critiquer les mesures qu’Israël doit prendre pour se défendre
et pour assurer sa sécurité », répondit Palin.
Alors que Gibson insista sur ce point, elle s’accrocha obstinément à
cette position, répétant à deux reprises qu’il ne fallait pas « critiquer »
les actions d’Israël.
Le Washington Post doit régulièrement « critiquer » de
telles décisions – malgré l’indéniable et extraordinaire influence exercée
par Israël et le lobby sioniste sur la politique étrangère américaine —
mais cette question ne s’est apparemment jamais posée à Palin. Pas plus, semblerait-il,
qu’une telle attaque israélienne ferait certainement l’objet de
représailles iraniennes dont de possibles attaques contre les troupes de
l’occupant américain en Irak, incluant son propre fils, qui y est
déployé depuis le 11 septembre.
Ensuite, il y eut l’échange sur la « doctrine Bush », à
propos duquel beaucoup a été dit dans les médias. Les premières paroles
maladroites de Palin sont compréhensibles. Gibson lui demanda, « êtes-vous
d’accord avec la doctrine Bush » et elle répondit en indiquant
qu’elle croyait qu’il faisait référence à sa « vision du monde ».
Cependant, lorsque Gibson poursuivit en indiquant que, non,
il parlait plutôt de « la doctrine Bush, celle annoncée en septembre 2002,
avant la guerre en Irak », il devint évident que Palin n’avait
aucune idée qu’il faisait référence à la doctrine de « guerre
préventive » avec laquelle Bush et l’impérialisme américain se sont
arrogé le droit d’attaquer militairement tout pays perçu comme une menace
aux intérêts de ce dernier.
Palin balbutia quelques paroles sur son accord avec les
efforts de Bush visant à « débarrasser ce monde de l’extrémisme et
des terroristes islamiques qui veulent à tout prix détruire notre nation »
et affirma que les « erreurs » commises pourraient être corrigées par
l’élection d’un nouveau leadership.
Néanmoins, même du point de vue son ignorance, les réponses
de Palin ont clairement démontré qu’elle soutenait essentiellement la
« doctrine Bush » : un militarisme américain débridé.
Lorsqu’on lui demanda si les Etats-Unis avaient le
droit de mener des attaques au-delà de la frontière, contre le Pakistan, sans
la permission du gouvernement de ce pays — ce qui se produit déjà sous
les ordres de la Maison-Blanche de Bush — Palin a répondu :
« Afin de stopper les extrémistes islamiques, ces terroristes qui
cherchent à détruire les Etats-Unis et nos alliés, nous devons faire tout ce
qui est nécessaire sans hésiter, Charlie, en prenant ces dures décisions, à
savoir où aller et même qui prendre pour cible. »
Voilà le corollaire de Palin à la doctrine Bush :
aller n’importe où et cibler n’importe qui, il ne faut simplement
pas hésiter.
Sur les questions nationales, un mélange d’ignorance
et de duplicité a caractérisé les réponses de Palin. Lorsqu’on lui parla
de ses désaccords avec McCain sur le réchauffement climatique, elle nia
l’existence de tels désaccords et déclara qu’elle croyait que
« les activités de l’homme pouvaient certainement contribuer au
problème du réchauffement et des changements climatiques ».
Toutefois, pas plus tard que l’an dernier, elle
répétait fidèlement les mots de l’extrême droite et du lobby du pétrole,
affirmant à un quotidien de l’Alaska que, « Je ne suis pas un Al
Gore, ni un prophète de malheur environnementaliste qui rejette le blâme des
changements climatiques sur l’activité humaine. »
Palin a réitéré son opposition bien connue à
l’avortement, exigeant que soit invalidée la décision de la Cour suprême
dans l’affaire Roe v. Wade et exprimant sa croyance selon laquelle
l’avortement devrait être interdit, même dans les cas de viol et
d’inceste. Bien que Palin ait décrit cette position comme une
« opinion personnelle », Gibson n’a pas tenté d’insister
sur le fait qu’elle ne fait pas que défendre une approche Etat par Etat
pour l’avortement, mais plutôt qu’elle tente de l’interdire
partout au pays, indépendamment des sentiments des femmes pro-choix
qu’elle prétend « respecter ».
Gibson a ensuite soulevé la question du fait solidement établi
que, en tant que mairesse nouvellement élue de Wasilla, elle avait fait
pression sur le bibliothécaire de la ville pour qu’il retire des livres
jugés inacceptables par la droite chrétienne. Son déni, qualifiant cette
histoire de « conte de bonne femme », n’a pas été remis en
question.
Significativement, les nombreux liens de Palin avec
l’extrême droite et le fondamentalisme chrétien n’ont pas du tout
été explorés dans l’interview de Gibson. Aucune question n’a été
soulevée sur sa relation avec le Parti de l’indépendance de
l’Alaska, ni sur ses participations aux conférences de son mari, membre
du parti. Ce parti, qui appelle à la sécession de l’Alaska des
Etats-Unis, est affilié au Constitution Party, un parti électoral de
l’ultra-droite dont le programme incorpore la perspective d’un
fascisme biblique.
Aucune question ne fut posée sur l’attitude de Palin
envers le dominionisme, la doctrine des fondamentalistes chrétiens de droite
selon laquelle les Etats-Unis constituent une « nation chrétienne »
et que toutes ses lois et institutions devraient être régies selon la loi
biblique.
La seule référence aux perspectives religieuses et
politiques de Palin fut faite par Gibson concernant les paroles prononcées à
son église selon lesquelles les troupes américaines menant la guerre criminelle
de type colonial en Irak remplissaient « une tâche divine ». Gibson
lui demanda si elle croyait que les Etats-Unis « menaient une guerre
sainte ».
Réponse incroyable de la candidate : elle ne faisait
que répéter une déclaration de Lincoln. Bien que les républicains traînent
régulièrement le nom de Lincoln dans la boue, ce cas est plutôt extrême, étant
donné le mépris bien connu de ce dernier pour la religion organisée.
Les médias ou les démocrates n’ont aucun intérêt à
révéler cet infâme secret de la politique américaine que la plus importante
« base » populaire du Parti républicain — le plus fidèle
défenseur des corporations et du capital financier — est formée
d’éléments fascistes et de l’extrême droite, y compris des tendances
les plus réactionnaires du fondamentalisme chrétien.
Dans des circonstances normales, l’ignorance de Palin
sur les relations internationales et sa compréhension politique limitée
l’auraient disqualifiée de la nomination à la vice-présidence d’un
des deux principaux partis de la grande entreprise. La seule raison pour
laquelle McCain l’a choisie en tant que colistière était dans le but de
« revigorer » sa base ultra-droite.
Les démocrates ont décidé d’ignorer complètement
cette question. Ils n’ont pas davantage réagi aux déclarations de Palin
concernant une guerre contre la Russie et l’Iran. Ayant exprimé son
parfait accord avec « l’intensification » en Irak, Obama ne
fait d’aucune façon campagne sur une plateforme anti-guerre, mais plutôt
en tant que défenseur d’un militarisme américain plus stratégique et même
plus robuste. Ainsi, il a lui-même dirigé ses propres déclarations belliqueuses
contre la Russie, l’Iran et le Pakistan.
Le fait que Palin puisse être envisagée comme la candidate
à la vice-présidence du Parti républicain témoigne non seulement de la
trajectoire vers l’extrême droite du parti lui-même, mais aussi de la
pusillanimité des démocrates et de leur incapacité et réticence à mener toute
attaque sérieuse contre le Parti républicain ou l’extrême droite.
L’élite dirigeante américaine est clairement en
appréhension face à cette stratégie et les dangers d’avoir une personne
comme Palin à « un battement de coeur » d’une présidence qui
serait occupée par un homme de 72 ans avec d’importants problèmes de
santé. Le Washington Post a publié un éditorial sur les entrevues, les
qualifiant de « troublantes ». Sa performance, affirme le journal,
« ne l’a pas disqualifiée, mais était loin d’être
rassurante ».
(Article original anglais paru le 15 septembre 2008)