On reconnait souvent la véritable orientation
de classe d’un parti à la façon dont il réagit aux événements politiques,
à sa capacité d’estimer les situations nouvelles et de fournir une
orientation politique correcte. A en juger par la réaction de la LCR (Ligue
communiste révolutionnaire) en France à la récente crise géorgienne, il est
clair que les conceptions de ce parti en matière de politique étrangère
correspondent en grande partie à celle de l’élite dirigeante du pays.
La LCR, fondée en 1969, est en train de se
muer en un « Nouveau parti anticapitaliste » (NPA). Elle présente ce
parti comme une alternative socialiste aux partis politiques bourgeois et qui
serait entièrement indépendante du Parti socialiste qui est lui, complètement
discrédité. Mais sa réaction à la guerre en Géorgie ne se distingue que peu de
celle du gouvernement français soutenue aussi par le Parti socialiste.
Ce qui est à remarquer d’abord,
c’est que la LCR accorde très peu d’importance à un événement qui
domine pourtant l’actualité depuis des semaines et qui nous rapproche
dangereusement d’un possible conflit armé entre la Russie et les
Etats-Unis, deux puissances nucléaires. Sur leur site internet, qui prend
position quotidiennement sur des questions sociales et politiques et qui
informe des dernières interventions de son porte-parole, Olivier Besancenot, on
ne trouve sur la guerre dans le Caucase qu’un bref communiqué d’une
vingtaine de lignes. Et celui-ci est si bien caché qu’on ne peut le
trouver qu’à l’aide d’une recherche.
Par son contenu, la prise de position de la
LCR se fait l’écho de l’attitude adoptée par les gouvernements
européens, qui s’inquiètent de l’éclatement d’hostilités dans
le Caucase et soutiennent le président français Sarkozy qui, en sa qualité de
président du Conseil de l’Union européenne, a négocié un cessez-le-feu.
Comme Sarkozy et l’Union européenne, elle prend l’attitude de celui
qui est au-dessus des partis et veut la paix et elle présente sous les couleurs
les plus favorables le rôle joué par ces derniers.
A la manière de Salomon, elle déclare :
« Mais les raisons de ce conflit sont multiples et les torts
partagés » et déclare tous les protagonistes responsables au même degré.
Elle écrit, avec compréhension, à propos de
l’attaque de l’Ossétie du Sud par la Géorgie ayant déclenché la
guerre : « L’offensive, probablement mal calculée, lancée par
les responsables géorgiens est motivée à la fois par la volonté de faire
respecter l’intégrité territoriale d’un Etat aux contours contestés
et celle de se s’affirmer politiquement et militairement face au voisin
russe. »
La LCR reproche aux dirigeants russes de
vouloir « montrer à l’UE et aux Etats-Unis qu’ils sont de
retour comme force impérialiste de premier plan, qu’ils revendiquent le
rôle de gendarme régional et que l’entrée dans l’OTAN de plusieurs
pays et régions anciennement membres du Pacte de Varsovie constitue à leurs
yeux une menace. »
Et quant à la responsabilité de l’OTAN,
elle écrit avec mansuétude : « De ce point de vue, la responsabilité des
dirigeants occidentaux est engagée, eux qui font le choix d’élargir
l’OTAN, organisation à laquelle la Géorgie entend adhérer. »
Finalement, la LCR dit des dirigeants russes
et géorgiens qu’ils présentent de fortes similitudes : « Les
deux sont ultranationalistes, autoritaires et militaristes et la majorité de la
population de ces pays n’a rien à gagner dans un tel conflit. »
Le communiqué se termine sur un appel général
à la fraternité des peuples : « Par-delà les frontières, les intérêts
du monde du travail sont partout les mêmes. La fraternité doit s’imposer,
ce qui passe par le respect du droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes…
Tout cela rend nécessaire la construction d’un mouvement de solidarité
internationale entre les peuples. »
Ce genre d’appel à la compréhension
entre les peuples est, au fond, pacifiste, et tout à fait compatible avec la politique
étrangère de Sarkozy et de son ministre des Affaires étrangères, Bernard
Kouchner.
La LCR escamote toutes les questions
essentielles : les conséquences catastrophiques de la dissolution de
l’Union soviétique, provoquant une nouvelle éruption de conflits
nationaux, manipulés et exploités par les grandes puissances ; la marche
agressive de l’impérialisme américain et européen vers les réserves de
gaz naturel et de pétrole de la mer Caspienne et de l’Asie centrale et
l’encerclement militaire de la Russie qui l’accompagne ; la
responsabilité des Etats-Unis et de leur marionnette géorgienne, Saakachvili
qui ont provoqué cette guerre par l’attaque nocturne de la capitale de
l’Ossétie du Sud ; et finalement, la complicité de la France, de
l’Allemagne et des autres puissances européennes qui défendent leurs
propres intérêts stratégiques dans la région et qui, malgré leurs différences
tactiques, ont nettement pris parti pour les Etats-Unis.
Le régime russe de Poutine et Medvedev ne
mérite évidemment ni confiance ni soutien. Ce régime représente les intérêts de
la classe dirigeante des nouveaux riches qui a détruit et pillé l’Union
soviétique et qui réprime la classe ouvrière. Mais en gommant les causes de la
guerre dans le Caucase, en faisant partager la responsabilité de celle-ci de
façon égale à tous, et en accompagnant cela d’appels généraux à la
fraternisation des peuples, la LCR désarme la classe ouvrière face aux énormes
dangers qui la menace de la part de la politique agressive de l’impérialisme
américain et européen. Elle donne de la crédibilité à la politique du
gouvernement français, qui cache, lui aussi, ses desseins impérialistes
derrière des généralités sur la paix, la fraternité des peuples et
l’autodétermination.
Ce n’est pas la première fois que la
politique étrangère de Sarkozy jouit du soutien de la LCR. La séparation du
Kosovo de la Serbie que le ministre des Affaires étrangères français Kouchner
avait fait avancer de façon déterminante, avait été soutenue sans réserve par
la LCR.
Kouchner est d’ailleurs une vielle
connaissance du fondateur de la LCR, Alain Krivine. Dans les années 1960, tous
deux se trouvaient à la direction du CVN (Comité Vietnam national). Kouchner a
plus tard rejoint le Parti socialiste et après le succès électoral de Sarkozy,
il est passé dans le camp de celui-ci. Krivine est lui, resté jusqu'à
aujourd’hui un dirigeant déterminant de la LCR.
Balkanisation
du Caucase
Le communiqué de la LCR porte la date du 12
août — cinq jours après l’attaque de Tskhinvali par la Géorgie.
Voilà près d’un mois qu’elle ne s’est pas exprimée sur le
conflit géorgien, bien que les événements se soient précipités et que la
présidence française de l’Union européenne y ait joué un rôle extrêmement
actif. Ce silence est, lui aussi, une forme de complicité.
Seule l’édition du 4 septembre de Rouge,
le journal de la LCR (qui ne paraît pas au mois d’août), contient un
autre bref article sur le conflit caucasien, qui n’est pas de sa rédaction,
mais consiste en extraits d’une prise de position du groupe russe Vpered
(En avant).
Vpered décrit la guerre dans le Caucase comme
un conflit entre deux blocs impérialistes et met la Russie et les Etats-Unis
sur le même plan. S’efforçant de toute évidence de prendre ses distances
vis-à-vis du régime de Poutine, ce groupe écrit : « Nous refusons
toute solidarité avec l’impérialisme russe, ainsi que tout soutien à
l’État de Poutine et Medvedev. »
Vpered se dit en même temps « partisan[s]
d’une solidarité entière et inconditionnelle avec le peuple ossète »
et dit soutenir « le droit de l’Ossétie du Sud à
l’autodétermination, jusqu’à la séparation de la Géorgie et à la
création d’un État indépendant ou à l’unification avec
l’Ossétie du Nord, comme composante de la Fédération de Russie ».
La position de Vpered souffre d’une
contradiction insoluble, car elle confie la protection des Ossètes à ce régime
russe même vis-à-vis duquel elle prend ses distances. L’article
dit : « Ainsi, le rapport de force concret à l’échelle
internationale — ainsi que la grande faiblesse du mouvement ouvrier
international et géorgien — fait qu’aujourd’hui la population
d’Ossétie n’a pas d’autres défenseurs que les armées de la
Russie impérialiste. »
L’édition de septembre du magazine en
anglais du Secrétariat unifié dont fait partie la LCR, International
Viewpoint, contient également deux articles sur le conflit caucasien :
le texte déjà cité de Vpered et un article rédigé par le magazine britannique Socialist
Resistance.
Ce dernier qualifie lui aussi le conflit du
Caucase de « guerre impérialiste opposant les impérialismes russe et
américain, la Géorgie étant le représentant des Etats-Unis » ; il
donne cependant aux Etats-Unis une responsabilité nettement plus grande que ne
le fait Vpered.
Mais les deux articles se rejoignent dans
leurs conclusions. Vpered et Socialist Resistance se déclarent sans
réserve en faveur du principe de l’autodétermination nationale, soutenant
« inconditionnellement le combat des Ossètes pour
l’autodétermination », comme le dit Vpered.
Une réalisation conséquente de ce principe
aurait pour résultat la balkanisation totale du Caucase, sa division en
innombrables petits Etats à base ethnique et en conflit perpétuel à propos de
leurs frontières, réprimant et pourchassant les minorités ethniques et devenant
— étant donné qu’ils ne sont pas viables dans une économie
mondialisée — le jouet des grandes puissances. Elle déclencherait un
scénario terrible semblable à celui qui se déroule dans les Balkans depuis la
dissolution de la Yougoslavie et tel qu’on l’observe dans une
partie du Caucase.
Les marxistes défendent depuis longtemps le
point de vue que la solution de la question nationale est inséparable de la
révolution socialiste. Ce n’est qu’une fédération socialiste qui
puisse garantir une existence pacifique et équitable des nombreuses
nationalités vivant dans le Caucase.
La Révolution d’octobre a fourni une
telle solution, qui fut cependant vite sabotée par le chauvinisme grand-russe
de la bureaucratie stalinienne montante. Déjà Lénine s’était, peu avant
sa mort, brouillé avec Staline à propos de la question géorgienne. Avec la
dissolution de l’Union soviétique, les conflits nationaux se sont
enflammés et furent utilisés par les puissances impérialistes pour pénétrer
dans le Caucase et en Asie centrale.
Il est révélateur que la LCR et ses amis
politiques au plan international ne prennent même pas en considération une
solution socialiste ni ne font référence à l’expérience de
l’Union soviétique. Cela en dit long sur leur orientation sociale. L’insistance
sur la formation d’un Etat à soi est devenue la marque de fabrique des
éléments petits bourgeois qui aspirent à l’ascension sociale et à une
relation privilégiée avec les puissances impérialistes.