Le 22 septembre, l’Assemblée nationale et le Sénat ont voté en
faveur d’une motion gouvernementale approuvant la poursuite de la présence du
contingent militaire français en Afghanistan. La proposition est passée avec
343 voix pour, 210 contre et 10 abstentions. Le Parti communiste (PCF) et les
Verts se sont alignés au principal parti d’opposition, le Parti socialiste (PS)
pour voter contre. Quatre députés PS ont voté pour, aux côtés de l’UMP (Union
pour un mouvement populaire), et deux se sont abstenus.
Ont aussi voté avec l’UMP leurs alliés du Nouveau centre ainsi
que le Mouvement démocratique (MoDem) de François Bayrou. On retrouve au Sénat un
décompte similaire des voix, avec 209 en faveur de la motion et 119 voix
contre.
Tous les partis au parlement acceptent cette idée que le rôle
des forces d’intervention militaire est de lutter contre le terrorisme et de
venir en aide au peuple afghan.
Aucun débat ni reportage des médias n’a jamais fait remarquer
que l’élite politique américaine se préparait depuis bien longtemps déjà à des
interventions militaires en Asie centrale, avant même que les attentats
terroristes du 11 septembre ne leur fournissent un prétexte. Le but était
d’avoir la main mise sur les ressources de gaz et de pétrole de la région et
ainsi continuer à dominer les principaux concurrents des Etats-Unis, à savoir
l’Europe, le Japon et la Chine. Le soutien de l’impérialisme français, ainsi
que celui des autres puissances, était un soutien entièrement prédateur
souhaitant s’assurer de n’être pas écarté et d’avoir sa part du butin.
Le Parti socialiste s’est donné beaucoup de mal pour exprimer
clairement qu’il était fondamentalement en accord avec l’UMP sur la question de
la politique française en Afghanistan. Le chef de file du groupe socialiste à
l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault a dit aux députés UMP, « la cause
nous réunit, les moyens d’y parvenir nous séparent. »
Il a insisté, « Je veux le dire d’emblée: la France ne
peut pas, au regard des valeurs qu’elle défend, se désengager brutalement de
l’Afghanistan…Nous ne votons pas contre la poursuite de l’engagement de la
France en Afghanistan. Nous votons contre une conception politique et militaire
qui nous a conduits dans une impasse. »
Le porte-parole du PS sur les affaires étrangères, le sénateur
Didier Boulaud a affirmé, « On n'a pas dit qu'il fallait se retirer
d'Afghanistan, on sait bien que c'est impossible, on a dit qu'on voulait mettre
un terme à cette escalade aveugle dans ces conditions. »
Libération rapporte que,
contrairement à la position du PS, le vote « non » des 24 députés PC
et Verts était « un non clair ». Le journal cite le député Vert Noël
Mamère, « Il faut se rendre à l’évidence, la coalition a perdu la guerre. Nous
demandons le retrait des troupes. »
En fait, ces deux partis appellent à l’intervention des soldats
des Nations Unies, dont une bonne partie serait constituée des mêmes forces impérialistes,
mais porteraient des casques bleus. Le PCF et les Verts étaient dans le
gouvernement de gauche plurielle du premier ministre PS Lionel Jospin
(1997-2002) qui avait envoyé les forces françaises en Afghanistan.
François Fillon, lançant un appel à l’unité nationale puisque « la
France n’est pas à l’abri du terrorisme » en a appelé aux députés PS pour
qu’ils respectent « l’engagement » pris aux Nations Unies par le
président gaulliste de l’époque Jacques Chirac et son premier ministre Lionel
Jospin et a évoqué le « l’engagement moral » envers l’Afghanistan. Il
faisait référence à la coalition « Enduring Freedom » conduite par
les Américains, qui avait envahi le pays suite à l’attentat d’Al-Qaïda sur le
World Trade Centre. La France avait envoyé une contribution de 500 soldats à la
force d’intervention des Nations Unies, l’ISAF (Force internationale
d’assistance à la sécurité.)
L’éditorial du 23 septembre du quotidien conservateur Le
Figaro reproche aussi au PS d’oublier « les appels à "l’unité
nationale" lancés par Lionel Jospin il y a sept ans dans ce même Hémicycle. »
Un article de Médiapart décrit de façon très imagée la manière
dont, lors du débat à l’Assemblée nationale, chaque parti essayait de se montrer
comme le meilleur représentant du militarisme français. Lorsque Fillon a
mentionné les 10 soldats morts dans une embuscade organisée par la résistance
afghane le 18 août dernier, « Ace dernier mot, de premiers
applaudissements se font entendre sur les bancs de l’UMP et du Nouveau centre.
La clameur gagne les travées, gonfle pour embraser l’hémicycle. Et c’est alors
toute la représentation qui applaudit aux héros… il fallait des deux côtés de
l’Assemblée démontrer que les soldats n’étaient pas tombés pour rien.»
Le débat a été marqué par la poursuite de la controverse sur
les circonstances de la mort de ces 10 soldats. L’armée a essayé de réfuter les
allégations des soldats impliqués dans l’action selon lesquelles les soldats
étaient insuffisamment équipés et n’avaient pas bénéficié d’un soutien adéquat.
Un récent rapport de l’OTAN va dans le sens de ces allégations. Cherchant à
calmer la situation, Fillon a annoncé à l’Assemblée nationale que 100 soldats
supplémentaires seraient envoyés pour y rejoindre les 2600 soldats déjà en
poste là-bas, ainsi que des hélicoptères et d’autres équipements.
Un document sur le site Internet du PS, « Le conflit en
six questions » daté du 17 septembre explique : « La France fut
le premier pays à manifester son soutien aux États-Unis après le 11 septembre.
À partir de 2003, sur la base d’un consensus politique, la France participe à
l’ISAF. Un équilibre rompu par Nicolas Sarkozy qui a décidé, en avril dernier,
de renforcer les troupes françaises et de prendre part aux opérations
militaires. »
L’« opposition » nouvelle du PS reflète le désir
d’une partie grandissante de sections de la bourgeoisie française et européenne
de se distancer des Etats-Unis dont l’armée est au bout de ses ressources en
Irak et en Afghanistan, menace l’Iran et est engagée dans de dangereuses
confrontations avec la Russie sur la question de la Géorgie. L’effondrement de
la bourse de Wall Street et le danger d’une récession de l’économie américaine
affectant le monde entier minent encore davantage la position de l’impérialisme
américain.
Le document du PS précédemment cité déclare aussi :
« Ensuite, outre la faiblesse de moyens, la coalition pâtit également d’un
manque de stratégie et du poids écrasant des États-Unis. Cette domination gêne
la coalition dans le dialogue avec les pays influents de la région (Iran,
Chine, Russie), mais aussi en matière de crédibilité du gouvernement Karzaï. Il
apparaît donc urgent et nécessaire de réviser l’approche stratégique. Il s’agit
notamment d’établir le dialogue entre le gouvernement de Kaboul et les talibans. »
L’éditorial de Libération du 23 septembre exprime des
inquiétudes similaires: « Un gouvernement élu, mais incapable de garantir
un minimum d'ordre et de sécurité dans des régions entières, des actions
militaires qui frappent souvent une population innocente, une coalition qui est
considérée par un nombre croissant d'Afghans comme un oppresseur et non comme
un libérateur: voilà qui aurait dû faire réfléchir les stratèges américains,
qui sont les vrais patrons des troupes engagées. Une position plus nette de la
France peut aider en ce sens. »
Le journal Les Dernières nouvelles d’Alsace l’exprime ainsi :
« Le poids de l'Europe, qui a plus d'effectifs sur le terrain (45 pour
cent des troupes de l'OTAN) que les États-Unis (39 pour cent seulement) lui
offre l'opportunité de contester une stratégie américaine dont on peut douter
de la justesse et de l'efficacité. »
C’est une position adoptée par la plupart des médias en France,
mais la critique exprimée au début de l’éditorial de Libération l’est
tout autant : « Quitter aujourd’hui l’Afghanistan, sans gloire ni précautions ?
Non. »
(Article original anglais paru le 25 septembre 2008)