Mercredi, le Sénat américain, à majorité démocrate, a
approuvé une version légèrement modifiée du plan de sauvetage de Wall Street,
ressuscitant ainsi l’aubaine de 700 milliards $ pour les riches deux jours
seulement après le rejet de celle-ci à la Chambre des représentants. Pour ce
vote, 74 pour et 25 contre, le candidat présidentiel démocrate Barack Obama et
le candidat présidentiel républicain John McCain ont voté en faveur du plan.
De nombreux démocrates libéraux en vue ont aussi entériné
le projet de loi, le plus important transfert d’argent vers l’élite financière
de l’histoire des Etats-Unis, y compris le candidat démocrate à la
vice-présidence Joseph Biden, Hillary Clinton, le candidat présidentiel
démocrate de 2004 John Kerry, le chef de la majorité Harry Reid, le whip de la
majorité Richard Durbin, Charles Schumer de New York, ainsi que Dianne
Feinstein et Barbara Boxer de Californie. Seulement quelques démocrates se sont
opposés au projet de loi en compagnie d’une vingtaine de républicains
conservateurs.
48 heures à peine après le rejet du plan de sauvetage à la
Chambre des représentants, en partie en raison de l’énorme impopularité de ce
plan dans la population américaine, les leaders du Congrès tentent maintenant
de façon antidémocratique de faire passer le projet de loi malgré l’opposition
de masse.
Démontrant l’attitude du Congrès envers la population, les
serveurs informatiques redirigeant les courriels destinés aux congressistes ont
été fermés, sous prétexte d’un trafic trop élevé, faisant ainsi en sorte que
les électeurs ne pouvaient plus envoyer de courriels pour s’opposer au plan de
renflouement.
Le chef de la majorité Reid, un démocrate du Nevada, a usé
de son pouvoir pour lier le plan de sauvetage à un projet de loi sans lien avec
ce dernier, un projet de loi obligeant un traitement équitable des maladies
mentales et physiques par les assureurs. Cette manœuvre parlementaire a permis
au Sénat de contourner la mesure constitutionnelle exigeant que tout projet de
dépense provienne de la Chambre basse.
La Chambre des représentants devrait voter le projet de loi
vendredi et les chefs démocrates et républicains se sont engagés à gagner
suffisamment de votes dans chaque parti pour renverser le précédent vote de 228
contre 205 qui avait rejeté le plan de renflouement. Lundi, les démocrates
avaient fourni plus des deux tiers des votes en faveur du plan, 140 démocrates
et 65 républicains l’appuyant, 95 démocrates et 133 républicains le rejetant.
Comme ce fut le cas durant les deux semaines de crise
politique entourant le plan de sauvetage, la direction du Parti démocrate s’est
associée avec l’administration Bush pour satisfaire les demandes de l’élite
financière. Le résultat est un plan de sauvetage, à la veille d’être accepté,
essentiellement identique au plan de trois pages initialement proposé le 19
septembre par le secrétaire au Trésor Henry Paulson.
Paulson aura ainsi le pouvoir de racheter des quantités
illimitées « d’actifs en difficulté » détenus par diverses
institutions financières, à la condition que le Trésor ne détienne pas plus de
700 milliards de dollars de ces actifs à la fois et que les rachats soient
signalés à un comité de supervision et publiés sur Internet. Le comité n’aura
pas le pouvoir de renverser les décisions de Paulson.
Les mesures superficielles ajoutées au projet de loi le
week-end dernier — concernant les salaires et les « parachutes
dorés » des cadres, le comité de supervision, et des suggestions que le
secrétaire au Trésor traite avec indulgence les propriétaires qui vont perdre
leur maison — n’ont pas été renforcées dans le projet de loi du Sénat,
contrairement à ce qu’avaient affirmé certains congressistes libéraux, mais
sont plutôt demeuré inchangées.
Concessions
à la droite républicaine
Les seules concessions significatives pour
obtenir un vote favorable de la Chambre des représentants vont aux opposants de
la droite du Parti républicain. Le sauvetage adopté par le Sénat comprend plus
de 100 milliards de dollars en diminutions d’impôts, une mesure qui a été
adoptée dans une autre motion adoptée par le Sénat la semaine passée. Cette
motion fut bloquée par la Chambre des représentants parce que les diminutions
d’impôts n’étaient pas contrebalancées par des augmentations d’impôts ou des
diminutions des dépenses, tel que requis par les règles du Congrès sur le
budget.
Le gros des diminutions d’impôts, 78
milliards $, élargit les allègements fiscaux aux compagnies et encourage
l’adoption de sources d’énergie renouvelable. Il y a aussi 8 milliards $
en allègements d’impôts pour les victimes de désastres naturels, y compris
l’ouragan Gustave et l’ouragan Ike, et la prolongation d’un programme
d’allégement fiscal qui bénéficie surtout aux familles de la classe moyenne
aisée.
L’autre changement important fait à la
motion qui a été rejetée par la Chambre des représentants est une augmentation
de la protection des dépôts bancaires par la Corporation de l’assurance-dépôt
fédérale (FDIC, Federal Deposit Insurance Corporation), qui passera de 100 000 $ par compte à
250 000 $ par compte. Cette mesure n’aura aucun impact pour la vaste
majorité des familles pour qui les montants épargnés en banque n’atteignent pas
cette somme.
Selon un reportage du Wall Street
Journal, il sera aussi permis à la FDIC d’emprunter des sommes illimitées
de la réserve fédérale dans le but de stopper les faillites bancaires après
l’effondrement d’une série de grandes banques, tel Washington
Mutual, Wachovia et IndyMac pour ne nommer que les plus importantes.
Alors qu’une cinquantaine de démocrates de la
Chambre des représentants a voté contre le sauvetage parce qu’il était trop
favorable à Wall Street et qu’il n’aidait pas les propriétaires de maison et
les chômeurs, il n’y a aucune concession dans la motion sur cette question. Au
contraire, la principale préoccupation des dirigeants du Parti démocrate au
Congrès a été qu’une section des démocrates conservateurs de la Chambre des
représentants, appelée les Blues Dogs, pourrait s’opposer à la nouvelle version
du sauvetage parce que les mesures fiscales violent les règles budgétaires
interdisant au gouvernement d’effectuer des emprunts. Plusieurs Blue Dogs se
sont opposés au sauvetage original lors du vote de lundi dernier.
On trouve une autre preuve du soutien des deux
partis au sauvetage dans le fait que le président de l’association des
gouverneurs démocrates, Joe Manchin de la Virginie de l’Ouest, s’est joint au
président de l’association des gouverneurs républicains, Rick Perry du Texas,
pour faire parvenir une lettre au Congrès pressant ce dernier de voter en
faveur du sauvetage.
Obama
soutient le sauvetage
Le fait le plus significatif politiquement
parlant du débat sur le sauvetage au Sénat ce mercredi a été le discours qu’a
donné Obama dans lequel il réitérait son soutien à cette mesure.
Obama a dit que ce n’était pas le moment
d’identifier les causes ou de trouver les coupables de la crise, la comparant à
une maison en feu. La communauté doit agir de concert pour éteindre l’incendie
avant de déterminer ce qui l’a causé. C’est une analogie remarquablement faible
puisque le sauvetage ne vient pas en aide aux millions de propriétaires qui
font face à une saisie de leur maison, mais récompense grassement les pyromanes
de Wall Street.
Obama a dit qu’une fois que le sauvetage serait approuvé, il
serait nécessaire de sauver les familles de « Main Street » qui
éprouvent des difficultés à payer leurs factures en raison du chômage, du prix
de l’essence et des coûts des soins de santé en hausse. Mais, il n’a pas expliqué
la priorité : pourquoi les besoins des milliardaires de Wall Street sont
beaucoup plus urgents que ceux des chômeurs, des travailleurs à faibles
revenus, de ceux qui ne sont pas assurés et de ceux qui font face à des saisies
et à des expulsions.
De plus, comme il le sait très bien, l’allocation de ce qui
grimpera probablement à plus d’un billion de dollars en fonds publics pour
absorber une partie des pertes de Wall Street va rendre le gouvernement fédéral
insolvable. Une des raisons pour laquelle lui et le leadership démocrate au
complet s’efforcent de faire adopter le sauvetage avant l’élection est qu’après
le jour de l’élection, advenant une victoire du Parti démocrate, Obama sera en
mesure de déclarer qu’il a les mains liées et qu’il n’a d’autres choix que de
répudier ses promesses de campagne et d’adopter des mesures d’austérité.
Le candidat démocrate a averti que l’adoption du sauvetage
était nécessaire pour « empêcher que la crise ne devienne une catastrophe »,
ajoutant que « nous ne pouvons nous permettre de prendre le risque que
l’économie mondiale soit plongée dans un trou très profond ».
En réalité, le sauvetage ne résoudra pas ce qui est une crise
systémique du système capitaliste ou ne préviendra pas que la crise frappe des
millions de personnes aux Etats-Unis et partout dans le monde. Les sections les
plus puissantes de l’élite financière américaine utilisent la crise comme une occasion
pour passer leurs mauvaises dettes au gouvernement et imposer le fardeau de la
crise financière sur la classe ouvrière. Il y a déjà plusieurs commentaires
dans les médias et parmi les économistes quant au fait que ce sauvetage n’est essentiellement
qu’une mesure provisoire et que des sommes encore plus importantes de richesse
destinées à Wall Street seront requises.
Obama a admis : « Même si nous mettons ce plan en
œuvre, nous pourrions encore avoir d’énormes problèmes et nous aurons probablement
d’énormes problèmes dans les prochains mois et même au-delà. »
Il a ensuite déclaré, comme il l’a fait dans de nombreux
discours et dans son débat avec McCain la semaine dernière, que le coût du
sauvetage nécessitera des coupures dans nos futurs plans de dépenses dans les
programmes sociaux fédéraux. Les programmes qu’il a promis au cours de la
campagne électorale « pourrait être retardés ou étalés », a-t-il dit.
Il a ajouté qu’une administration Obama mettrait de l’avant un programme de
coupes dans le budget et d’austérité fiscale.
Dans un discours plus tôt dans la journée à La Crosse dans le
Wisconsin, Obama a entretenu des illusions dans le sauvetage en disant à son
audience : « Ce n’est pas un plan seulement pour donner 700 milliards
de dollars de votre argent à quelques banques. Si c’est fait correctement, nous
allons, espérons-le, regagner une bonne partie ou tout notre argent — nous
pourrions même faire un profit sur les investissements du gouvernement — chaque
cent de celui-ci reviendra directement à vous, l’investisseur. »
De tels mensonges ne font que montrer la réalité politique de
la campagne de 2008 : la classe ouvrière n’a pas de choix entre Obama et
McCain, les deux étant des défenseurs indubitables de la grande entreprise
américaine. Obama émerge à ce point-ci comme le gagnant probable de l’élection,
non pas en proposant un quelconque programme pour défendre les intérêts de la
grande majorité du peuple américain, mais en se présentant à la grande
entreprise comme un défenseur plus conséquent et efficace des intérêts de
l’élite dirigeante américaine.